Adieu, Jacqueline !

Martine Hosselet-Herbignat

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Martine Hosselet-Herbignat, « Adieu, Jacqueline ! », Revue Quart Monde [En ligne], 230 | 2014/2, mis en ligne le 04 octobre 2019, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5942

La revue Quart Monde rend hommage à Jacqueline Chabaud, membre de son comité de rédaction pendant de longues années, décédée en ce début 2014.

Notre collaboratrice et amie, Jacqueline Chabaud, nous a quittés le 14 février 2014. Ces dernières années, elle était spécialement en charge des rubriques Revue de presse et Livres ouverts où s’exerçaient sa vigilance et son engagement sans faille aux côtés des plus pauvres.

Née en 1932, journaliste de formation, elle a pris des responsabilités au sein de la Jeunesse Étudiante Chrétienne Féminine (JECF) et de l’Association internationale des journalistes de la presse féminine et familiale, quand elle rencontre le père Joseph Wresinski.

En 1997, elle témoigne de cette première entrevue par ces mots :

« J’ai rencontré le père Joseph Wresinski en 1967-1968, dans l’Est de la France, au cours d’une session Économie et Humanisme qui traitait de la pauvreté dans la société de consommation. J’y avais été envoyée pour représenter à titre personnel la direction du journal Ouest-France. Cette rencontre a été déterminante parce que, au bout de deux jours, l’animateur de la session a dit qu’il y avait là un prêtre qui pensait que nous n’étions pas du tout au niveau de la pauvreté et qu’il allait donc lui donner la parole.

J’ai vu arriver sur l’estrade le père Joseph, dont j’ignorais tout. Il a commencé à parler de la souffrance des familles au camp de Noisy-le-Grand, puis il s’est arrêté et il a pleuré. J’ai été stupéfaite et je me suis dit : ‘Quelles souffrances peuvent vivre ces familles pour qu’un homme en pleure ?’ Je n’ai eu de cesse que d’aller à sa table et, dans l’une des premières conversations, il m’a dit : ‘Le Christ est né hors de la cité, dans une étable. Il est mort hors de la cité, sur la croix. Souvenez-vous en toujours : c’est le destin des pauvres’.

Finalement, de 1968 à 1978, je peux dire qu’on s’est beaucoup rencontré, moi comme journaliste amie, soit dans des manifestations organisées par le Mouvement, soit dans des conférences de presse, jusqu’au jour où il m’a demandé de le rejoindre pour venir travailler comme journaliste.

Au départ, ma propre vision était qu’il fallait faire disparaître les conditions matérielles de la misère, et le père Joseph s’est effectivement battu pour des réformes politiques. Mais j’ai appris de lui que si ces réformes étaient indispensables, elles ne suffiraient pas. Il avait trop expérimenté dans sa jeunesse le caractère intolérable de l’humiliation et de l’exclusion subies par les plus pauvres pour ne pas considérer que la vraie réponse à la misère fût la fraternité.

J’ai eu l’occasion de vérifier la pertinence de cette conviction. Au début de mon travail au journal Feuille de route1, j’ai été amenée à m’entretenir avec de nombreuses personnes qui m’ont toujours étonnée lorsqu’elles me disaient ‘Quand j’étais dans la misère…’, alors qu’à mes yeux elles y étaient encore ! Mais j’ai compris un jour que pour elles, la misère était déjà finie à partir du moment où elles n’étaient plus seules, à partir du moment où d’autres croyaient en elles… »2.

Jacqueline a toujours cherché à faire en sorte que ce journal Feuille de route soit un journal lisible par tous. Depuis 1979, elle en a assuré la rédaction pendant vingt ans, avant de rejoindre le comité de rédaction de la Revue Quart Monde en 19883.

Travaillant avec elle ces six dernières années au sein du comité de rédaction, je peux à mon tour témoigner de ses talents relationnels et de sa compétence professionnelle au service du Mouvement ATD Quart Monde, inchangés malgré la dégradation de sa santé. Elle cultivait des liens d’amitié avec tous les membres du Mouvement, ne se privait jamais d’une critique éclairée par sa connaissance du père Joseph et des plus pauvres. Jacqueline était très entourée par sa famille, dans la maison de Saint Germain-en-Laye qu’elle n’avait pas quittée depuis son enfance. Pendant les dernières semaines de sa vie, alors que son corps la trahissait, elle n’avait eu de cesse de faire installer internet dans sa chambre d’hôpital, pour être à même de fournir la matière de ses rubriques dans les délais…

Jacqueline, adieu ! Nous relevons le flambeau de la vigilance qui était la tienne.

1 Journal mensuel d’ATD Quart Monde France.

2 Merci à Daniel Fayard pour sa recherche de sources.

3 Hors ses rubriques régulières, elle a signé six articles (N°150 : De quel amour blessé ; N°156 : La culture, c'est le refus de la misère ; N°213 :

1 Journal mensuel d’ATD Quart Monde France.

2 Merci à Daniel Fayard pour sa recherche de sources.

3 Hors ses rubriques régulières, elle a signé six articles (N°150 : De quel amour blessé ; N°156 : La culture, c'est le refus de la misère ; N°213 : Théophraste Renaudot ; N°214 : Glanage à travers l'Europe ; N°216 : Lettre à un ami volontaire ; N°227 : Rire à la vie avec les autres). On peut lire ou relire ces contributions dans la rubrique « archives » du site http//:www.revuequartmonde.org

Martine Hosselet-Herbignat

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