Comment aborder en vérité un destin exceptionnel ? Georges-Paul Cuny l'a fait en artiste, en écrivain capable de pénétrer de l'intérieur le mystère d'un homme, le père Joseph Wresinski1. Sa déchirure et son espérance vont devenir l'acte d'une vie, pour se propager à ceux qu'il rencontrait, des plus méprisés aux plus puissants. Avec eux, cet homme allait « changer le regard du monde », comme le disait Alwine de Vos van Steenwijk.
Georges-Paul nous rend compte de cette nouvelle naissance, depuis l'arrivée sur les hauteurs de Noisy-le-Grand, un 14 juillet 1956, jusqu'au Trocadéro et à Notre-Dame de Paris, trente ans plus tard. Une biographie qui n'ignore pas la première naissance, dans la misère d'un camp d'internement à Angers, le 12 février 1917. Non pas une œuvre d'érudit, bien que la documentation en ait été soigneusement rassemblée ; mais une œuvre de connivence spirituelle, et tout ensemble de dévoilement d'une énigme historique. Énigme que René Rémond nous exprimait de la sorte : comment un humble prêtre sans moyens, avec quelques amis et compagnons de différents milieux, à commencer par les plus oubliés, a-t-il pu, en si peu de temps, changer à ce point la conscience des hommes et des femmes de notre temps, faire advenir publiquement ce « Quart Monde » auquel il a donné son nom et sa vie, son dynamisme, et transformer en profondeur la société environnante ? Au regard de l'historien, il y avait là quelque chose d'incompréhensible, nous confiait-il. Or c'est un coin de ce voile que le livre de Georges-Paul Cuny vient soulever pour nous.
Comprise ainsi de l'intérieur, l'histoire de cet homme hors du commun, profondément enraciné dans son peuple humilié au point de le faire émerger au grand jour, toujours en relation de vérité avec ceux qu'il rencontrait, grands ou petits, capable de faire advenir l'humanité des êtres les plus fermés, les plus hostiles à son projet, cette histoire devient comme transparente, nécessaire, évidente : une prodigieuse énergie, si contenue, si entêtée, si douloureuse souvent, ne pouvait que se propager et venir à bout de tous les obstacles, capables de décourager tout autre que lui. Car « un grand amour ne saurait se garder pour soi » et il est des nécessités intérieures capables d'embraser le monde – si profondément, si discrètement qu'on ne s'en aperçoit que lorsque tout est consommé. C'est à un tel « miracle » de la vie que nous fait assister Georges-Paul Cuny.