Qui sont nos meilleurs miroirs ?

Shuw Shiow Yang-Lamontagne

p. 39-40

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Shuw Shiow Yang-Lamontagne, « Qui sont nos meilleurs miroirs ? », Revue Quart Monde, 236 | 2015/4, 39-40.

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Shuw Shiow Yang-Lamontagne, « Qui sont nos meilleurs miroirs ? », Revue Quart Monde [En ligne], 236 | 2015/4, mis en ligne le 20 juin 2016, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/6505

À partir de son expérience et des références en usage dans son pays d’origine, utilisant à plusieurs reprises (et dans différents sens) la métaphore du miroir, l’auteure se demande sur quoi il faudrait fonder la gouvernance du Mouvement ATD Quart Monde. Elle y répond de cette façon : ATD Quart Monde cherche une gouvernance enracinée dans la vie, enracinée dans des relations de personnes engagées auprès d’une population d’hommes et de femmes méprisés, et enracinée dans la fidélité à la pensée du fondateur.

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Gouvernance

À Taipei une mère nous disait ceci :

« Sans enfant je serais livrée à moi-même. L’enfant est mon miroir, et ma sécurité. J’ai tout simplement besoin d’une famille. Or ceci me semble un luxe dans le monde d’aujourd’hui.
Ma situation est difficile. Il y a partout des cafards au troisième étage où j’habite. J’ai des plaies plein les mains, car une fois endormie après avoir avalé des somnifères, les cafards me dévorent. Ils viennent d’un magasin d’alimentation au premier étage. Ils sont si nombreux que je vais être obligée de déménager à nouveau. Je suis obligée de déménager en permanence... Je ne connais pas l’administrateur local ni le sénateur du quartier, mais je me demande s’ils ne seraient pas méprisants envers les mères monoparentales et les plus vulnérables comme moi ? »

Pour cette mère, l’enfant est son miroir.

Miroir

Si, pour comprendre la nature de notre engagement, nous relisons le très beau livre Les pauvres sont l’Église du père Joseph Wresinski, nous pourrons dire de notre côté que le Quart Monde est notre miroir, car il a dit :

« L’Église est condamnée, si j’ose dire, à travers son histoire, à se rappeler, à reprendre conscience de cette réalité qu’elle est pauvreté, mépris, exclusion ; qu’elle est la mal aimée, la refusée du monde. En cela elle est obligée de rejoindre la population la plus dépréciée, la plus exclue de tous. Le Pape Paul VI disait : ‘Notre miroir à nous, hommes d’Église, c’est Jésus-Christ’. C’est à dire que le miroir de l’Église, c’est l’homme déchu. Elle n’est pas seulement en communion avec les plus pauvres. Elle est les plus pauvres »1.

Pour moi, de cette filiation, je tire la conséquence que le Quart Monde est à la fois notre miroir et le signe de ce que nous sommes capables de faire en terme d’engagement. Les plus pauvres le savent. Ils sont notre chance.

Racine et relation

Mais alors quels seraient les enjeux fondamentaux de la gouvernance ?... Telle est la question posée par M. Chen Yueguang2 ? Il a abordé cette question d’une manière détournée, disant :

« Supposons qu’un jour ATD Quart Monde n’existe plus et que nous soyons réunis pour comprendre pourquoi il a disparu. Sur quoi porterait notre attention ? Certainement pas sur des détails : tels projets qui n’ont pas été bien menés, ou l’éventuelle incompétence de telles personnes, mais nous nous poserions la question de savoir quelles relations ont été établies entre ce Mouvement et ses membres. »

Puis il a continué ainsi :

« Les voies qui mènent à la réussite pour des organismes sont différentes, mais pour nous, il est essentiel de nous attacher à notre racine, qui, pendant un demi - siècle, a permis de rallier un grand nombre de personnes autour de ce Mouvement. Nous devrons savoir si, pour les cinquante ans, voire les cent ans à venir, nous serons capables de sauvegarder cette racine, et plus concrètement, quelles stratégies et quels moyens doit-on mettre en œuvre pour y parvenir. Quand nous œuvrons à la préserver, il est important de souligner que cette racine veut faire des pauvres un miroir ; c’est une condition nécessaire mais non suffisante, il faut que les personnes non pauvres se mettent aussi devant le miroir car si on pose simplement le miroir là sans y faire apparaître également d’autres personnes, aucune substance ne se dégagera de ces effets de reflet.

Lorsque M. Chen Yueguang a échangé avec deux Délégations générales successives (Isabelle Pypaert-Perrin et Eugen Brand), ils se sont demandé quels sont les plus grands défis actuels du Mouvement. M. Chen Yueguang pense qu’en tant que personnes engagées, « Il nous faut réfléchir à la manière dont nous devons comprendre et manier notre relation avec le fondateur, voilà un défi. »

Si nous sommes d’accord avec M. Chen Yueguang, si nous sommes aussi d’accord avec ce que disait le philosophe chinois Laozi il y a plus de deux mille ans, « L’homme du bien suprême est comme l’eau ; l’eau bénéfique à tout n’est rivale de rien. Elle séjourne aux bas-fonds dédaignés de chacun. De la Voie elle est toute proche », alors, évidemment, l’eau aux bas-fonds est le meilleur miroir pour la gouvernance en général.

Il me semble que ce défi de gouvernance réside dans cette question de miroir, racine et relation ; notre relation avec les familles du Quart Monde, ainsi que notre relation avec le fondateur. Sans ces miroirs, sans ces racines, nous serons perdus sur la route et nous serons déracinés au moment des grandes tempêtes.

1 Joseph Wresinski, Les pauvres sont l’Église, Éd. Centurion, 1994, p. 24.

2 M. Chen Yueguang a été vice-président de la Fondation pour le développement de la jeunesse chinoise (FDJC), l’une des plus grandes fondations en

1 Joseph Wresinski, Les pauvres sont l’Église, Éd. Centurion, 1994, p. 24.

2 M. Chen Yueguang a été vice-président de la Fondation pour le développement de la jeunesse chinoise (FDJC), l’une des plus grandes fondations en Chine.

Shuw Shiow Yang-Lamontagne

Shuw Shiow Yang-Lamontagne est volontaire permanente d’ATD Quart Monde, actuellement au Québec, originaire de Taipei (Taïwan).

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