Protection de l’enfance et participation des parents

Julie Chapeau

p. 38-42

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Julie Chapeau, « Protection de l’enfance et participation des parents », Revue Quart Monde, 241 | 2017/1, 38-42.

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Julie Chapeau, « Protection de l’enfance et participation des parents », Revue Quart Monde [En ligne], 241 | 2017/1, mis en ligne le 15 septembre 2017, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/6800

La politique de la protection de l’enfance est passée progressivement d’une tradition hygiéniste à une injonction tendant à imposer la participation des parents aux politiques dont ils sont les destinataires. Cela ne va pas sans questionner les nouvelles pratiques à mettre en œuvre pour réussir ce passage vers une autre citoyenneté des parents1.

« J’ai l’impression que la parole d’une mère ne vaut rien ». Ces quelques mots d’une maman d’enfants placés ont inspiré cette recherche sur la participation des parents en protection de l’enfance. Issus d’une enquête réalisée en Moselle auprès de 58 parents, ils révèlent la complexité des liens entretenus entre les parents et les professionnels de la protection de l’enfance.

Faut-il le rappeler, cette politique sociale tient une place à part dans le spectre du champ social, et plus encore celui dédié à l’enfance. De l’imbrication d’une logique judiciaire et administrative, à une sociohistoire pour le moins inédite dans la tradition hygiéniste de l’Etat-providence français, la protection de l’enfance est encore aux prises d’impératifs contradictoires, reposant sur une logique de risque omniprésente, et la volonté de conserver les liens de l’enfant avec sa famille.

De fait, la participation des parents se révélait bien plus épineuse que dans d’autres domaines de l’action publique, malgré les injonctions faites dans le cadre du récent Plan d’action en faveur du travail social et du développement social2. Et si l’émergence d’instances citoyennes en devenir, des conseils citoyens consacrés avec la loi Lamy de 2014 aux comités d’usagers du champ médico-social3, laissait croire au développement d’instances de participation pour les parents de la protection de l’enfance, cela reste encore aujourd’hui très embryonnaire. Le « nouvel impératif participatif4 », proclamé par les partisans d’une démocratie ouverte aux personnes les plus démunies, s’arrête ainsi aux portes de l’Aide sociale à l’enfance.

L’objectif de cette recherche était alors de comprendre en quoi la spécificité de la protection de l’enfance, et notamment de son public de « parents » rendait impossible l’association de ses usagers, non seulement à une échelle individuelle mais également collective. Les parents ne sauraient pour l’heure être considérés unilatéralement en tant qu’acteurs de la construction, la mise en œuvre et l’évaluation de la politique publique dont ils sont destinataires.

Trois départements ont été choisis pour cette étude : la Moselle, l’Isère et l’Essonne pour leurs expériences participatives. Les entretiens menés auprès de cadres, de travailleurs sociaux, de chercheurs mais aussi d’artisans de la participation, qu’ils soient professionnels de la protection de l’enfance ou associatifs tels qu’ATD Quart Monde, ont permis de comprendre les ressorts d’une participation presque utopique.

Une impensable participation des parents en protection de l’enfance

Selon Abdia Touahria-Gaillard, la protection de l’enfance fait partie des champs où la participation ne peut pleinement avoir lieu postulant que :

le « registre des relations entretenues avec l’administration ou la justice relève moins d’une négociation des positions tenues par les acteurs en présence que d’une imposition des dénominations et des décisions5 ».

La difficile relation entre parents et professionnels semble être bel et bien le principal frein à la participation des parents, au-delà des contraintes matérielles, temporelles et techniques pesant sur les travailleurs sociaux.

Si les récentes évolutions législatives, en particulier la loi du 5 mars 2007 associant plus largement les parents aux mesures administratives, ont réinterrogé la place des parents dans le dispositif, elles n’ont pour l’heure permis de fluidifier cette relation « pactisée » et asymétrique encore teintée de crainte et de méfiance de part et d’autre. L’épée de Damoclès de la transmission au judiciaire ou du placement n’est que l’incarnation de la présomption de défaillance portée sur les parents. Nous faisons ainsi l’hypothèse que cette présomption, porte d’entrée du dispositif de protection de l’enfance matérialisée par l’information préoccupante, constitue l’obstacle majeur à la participation institutionnelle des parents.

En effet, la participation progressive des parents aux mesures et à la formalisation du Projet pour l’Enfant, n’a pas été l’occasion de favoriser leur participation à des instances consultatives au sein d’établissements d’accueil de leurs enfants, les Conseils de vie sociale6 ou bien même à des comités d’usagers à l’échelle départementale, à en croire leur faible nombre de nos jours. Du « faire avec » au « faire ensemble », la route est encore longue pour considérer les parents dits « défaillants » comme des citoyens à part entière.

Reconnaître les parents en protection de l’enfance en tant que citoyens

Être parent au sein du dispositif de protection de l’enfance revêt une dimension particulière. L’intervention des services sociaux dans la sphère intime et familiale altère la reconnaissance de la fonction parentale, indépendamment des mesures appliquées. Ce que Serge Paugam appelle la « disqualification parentale » se traduit d’abord par une intériorisation du stigmate du « parent défaillant ». Si aujourd’hui la mobilisation des compétences parentales se fait plus grande dans l’action auprès des familles, ces dernières restent considérées à l’aune de leurs incapacités et difficultés. Dès lors, alors que les parents restent détenteurs de l’autorité parentale, il arrive régulièrement que ce droit, dont ils bénéficient encore auprès de leurs enfants, soit remis en cause dans l’intervention des professionnels de la protection de l’enfance. Plus encore, l’autorité parentale est maintes fois considérée comme un devoir plus qu’un droit, en témoigne le rappel à la responsabilité parentale qui dépasse d’ailleurs le champ de la protection de l’enfance.

Ainsi les parents de la protection de l’enfance restent perçus comme objets d’intervention sociale plus que sujets de droit. Si les droits de l’enfant font l’objet d’un intérêt grandissant et sont portés nationalement par le défenseur des enfants, qu’en est-il du droit des parents ? La mise en avant de l’intérêt supérieur de l’enfant, qu’il n’est pas question ici de juger, tend cependant à occulter l’intérêt des familles. Leur droit d’être informées, consultées, de visiter leurs enfants est dans les faits trop souvent ignoré bien que prévu dans la loi. La méconnaissance de ceux-ci, la complexité des démarches pour faire valoir leurs droits, et le manque de reconnaissance juridique, sociale, politique dont elles pâtissent entravent ainsi leur citoyenneté. Or comme le précise Catherine Sellenet :

« Le droit est un maillon fondamental de la bientraitance, mais pour que le droit fonctionne, il faut qu’il soit intériorisé par ceux qui sont censés en être les dépositaires et le faire fonctionner7 ».

En outre, la reconnaissance individuelle des droits et l’injonction à la responsabilité diluent l’expression de la citoyenneté dans la sphère privée, pour reprendre les termes de Roland Janvier.

Pourtant la place des parents a considérablement évolué ces dernières années. D’une politique de suppléance parentale, la protection de l’enfance a glissé peu à peu vers une politique parentaliste consacrée dans la loi du 5 mars 2007. Quelques années auparavant la loi du 6 juin 1984 puis la loi 2002-2 relative au droit des usagers ont constitué un réel tournant, en érigeant les parents au même titre que les enfants comme usagers de la protection de l’enfance. Toutefois, il réside encore de nombreuses contradictions juridiques entre les articles du Code de l’Action Sociale et Familiale et du Code Civil8 qui régissent l’intervention des services sociaux, la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 et la Convention européenne des droits de l’Homme. De la défense de la vie privée et familiale, de l’obligation des Etats à assurer aux parents les moyens d’élever leurs enfants à la protection de l’enfant du danger et la reconnaissance de son intérêt supérieur, l’interprétation de ces textes est bien souvent laissée à la subjectivité des professionnels.

Difficile ainsi de reconnaître les parents en tant que citoyens et sujets de droit, conditions néanmoins nécessaires à leur participation.

Dépasser la présomption de défaillance

Malgré ces nombreux freins, quelques départements ont favorisé la création de dispositifs de ce type, dont la Moselle et l’Essonne, objets de cette recherche. Le développement de ces dispositifs a été d’abord le fruit d’une volonté politique et institutionnelle forte. Cette volonté a permis d’assumer le projet de comité d’usagers auprès des professionnels de terrain mais d’autant plus de donner les moyens financiers, techniques, organisationnels de cette participation. La culture du collectif n’étant pas inscrite dans l’essence de la protection de l’enfance, de même que l’association systématique des parents, la formation s’est dressée comme un prérequis indispensable. Ce sont dans ces conditions que la participation a pu s’intégrer aux pratiques, d’abord à l’échelle individuelle puis progressivement de manière collective, facilitant également l’inscription dans un parcours de participation ascensionnel. De cette manière, il a été possible de dépasser l’urgence de la protection de l’enfance en laissant aux parents le temps de participer.

Cette politique a permis de fait le changement de représentations et de posture des professionnels vis-à-vis des parents, légitimant ainsi leur parole et leur place dans le dispositif. En effet, la participation faisait auparavant l’objet de réticences des travailleurs sociaux, craignant la remise en cause de leur position, de leur savoir et de leur intervention dans la confrontation des expertises professionnelle et d’usage.

Mais cette révolution des pratiques procède également d’un changement de paradigme d’intervention. Il s’agit de s’intéresser plus largement à l’accompagnement des familles, en décloisonnant l’action sociale envers celles-ci. Or cette évolution majeure a été l’occasion d’atténuer la présomption de défaillance pesant sur les parents. Ce nouveau paradigme d’intervention limite la lecture « psy » et individualisante des situations familiales, reconnaît ainsi les parents dans leur environnement, et non pas dans leur rapport à la norme du « bon parent », et restreint ainsi le contrôle social qui pouvait s’immiscer dans l’intervention. C’est précisément ce qui permet de dépasser le paradoxe de la participation institutionnelle des parents, à savoir leur association à la définition d’une politique qui favorise leur contrôle. En cela, la participation deviendrait émancipatrice et non aliénante.

Pour une participation émancipatrice

Si de nombreux obstacles s’opposent au développement de dispositifs participatifs institutionnels en protection de l’enfance, force est de constater leur impact positif dans les collectivités qui ont assumé leur mise en œuvre. Dans le même sens que les conclusions portées par le CNLE9 sur les Conseils de vie sociale, ce type d’instances permet d’opérer un réel changement de posture des professionnels, encourage le « faire ensemble » mais surtout contribue à favoriser l’accès à la citoyenneté des parents. Il ne s’agit pas tant d’offrir un espace de parole et d’expression à ces familles, souvent mutiques dans une société qui peine à reconnaître la voix des plus démunis, que de leur donner l’opportunité de développer leur pouvoir d’agir. Plus que de les encourager dans leur autonomie, l’objectif est de soutenir leur émancipation et leur réinvestissement dans leur fonction parentale.

La participation est ainsi source d’innovation dans l’accompagnement des familles, bousculant les pratiques et les représentations de part et d’autre ; mais elle est aussi un moyen pour les familles de retrouver leur place dans la cité. Parce qu’elle favorise la reconnaissance d’une légitimité, dans le rôle de parent d’abord puis en tant qu’individu, la participation permet aux parents de reprendre confiance en leurs capacités. L’accès à des conditions socio-économiques plus favorables, à un emploi, l’investissement dans de nouveaux projets personnels sont autant de signes positifs constatés par les collectivités qui ont développé la participation.

Attention néanmoins à ne pas faire de la participation un nouveau mode d’intervention auprès des familles. Elle ne doit être une injonction, ni une preuve d’adhésion à la mesure, de responsabilisation ou d’autonomisation. Pour ce faire, les parents doivent être reconnus comme des acteurs du dispositif auxquels ils appartiennent, en veillant au sein des instances participatives à ce que l’asymétrie relationnelle disparaisse au profit d’un réel échange. La participation n’est pas ici une fin en soi ou une vitrine mais une démarche volontaire de co-construction avec les parents, en reconnaissance de leur expertise d’usage. Elle doit aussi prendre en compte les besoins, les impératifs et le langage des parents. La structuration des dispositifs participatifs ne peut s’opérer sans eux.

La participation des individus aux politiques desquelles ils sont destinataires, loin d’être une lubie démocratique, est nécessaire et constitue un réel besoin notamment pour les familles en situation de vulnérabilité ou d’exclusion. En cela, elle devrait faire l’objet d’un intérêt plus grand au sein des départements.

1 Voir : https://www.atd-quartmonde.fr/la-participation-institutionnelle-a-lepreuve-de-la-protection-de-lenfance/

2 « Les citoyens doivent participer à la conception et à la mise en œuvre des politiques sociales », 2015, p. 4

3 Les Conseils de la vie sociale de la loi 2002-2 rénovant l’action sociale et médico-sociale ou les Conseils consultatifs des personnes accueillies

4 Loïc Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie : actualité de la démocratie participative, Éd. du Seuil, Paris, 2008, p. 15.

5 Abdia Touahria-Gaillard, « La force des liens dématérialisés. Associations de parents d’enfants placés, technologies de l’information et

6 L’obligation formelle quant à la mise en place de CVS ne concerne pas les établissements accueillant des enfants de moins de onze ans.

7 Catherine Sellenet, « De la bientraitance des enfants à la bientraitance des familles ? » (en ligne), Spirale 2004/1 (nº 29), p. 73.

8 Article 375 du Code civil, Article L112-3 et L221-1 du Code de l’action sociale et des familles.

9 CNLE, Recommandations pour améliorer la participation des personnes en situation de pauvreté́ et d’exclusion à l’élaboration, à la mise en œuvre

1 Voir : https://www.atd-quartmonde.fr/la-participation-institutionnelle-a-lepreuve-de-la-protection-de-lenfance/

2 « Les citoyens doivent participer à la conception et à la mise en œuvre des politiques sociales », 2015, p. 4

3 Les Conseils de la vie sociale de la loi 2002-2 rénovant l’action sociale et médico-sociale ou les Conseils consultatifs des personnes accueillies qui émergent dans le secteur du logement.

4 Loïc Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie : actualité de la démocratie participative, Éd. du Seuil, Paris, 2008, p. 15.

5 Abdia Touahria-Gaillard, « La force des liens dématérialisés. Associations de parents d’enfants placés, technologies de l’information et mobilisations ». In Reconfigurations de l’État social en pratique : les interactions entre institutionnels, professionnels et citoyens dans le champ de l’intervention sociale, Presses Universitaires du Septentrion, 2011, pp. 265-280.

6 L’obligation formelle quant à la mise en place de CVS ne concerne pas les établissements accueillant des enfants de moins de onze ans.

7 Catherine Sellenet, « De la bientraitance des enfants à la bientraitance des familles ? » (en ligne), Spirale 2004/1 (nº 29), p. 73.

8 Article 375 du Code civil, Article L112-3 et L221-1 du Code de l’action sociale et des familles.

9 CNLE, Recommandations pour améliorer la participation des personnes en situation de pauvreté́ et d’exclusion à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des politiques publiques, octobre 2011, p. 34.

Julie Chapeau

Diplômée en 2016 du master Villes, Territoires, Solidarités à Sciences-po Grenoble, Julie Chapeau est aujourd’hui chargée de recherche au sein du groupe Eneïs, spécialisé dans le conseil en politiques publiques.

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