Revue Quart Monde : Monsieur Wieviorka, l'ensemble de vos recherches et de vos écrits, qui nous ont permis de vous connaître, sont surtout orientés vers les conflits, le racisme, l'intolérance en général. Pourquoi ce choix ?
Michel Wieviorka : C'est vraiment un choix, ce n'est pas le hasard. J'ai la chance de pouvoir transformer mes préoccupations personnelles en activité professionnelle, en recherches.
Je suis profondément démocrate, et par ailleurs convaincu qu'une société démocratique est une société capable de reconnaître ses conflits et ses problèmes, capable de les poser et de les gérer. Une société plate, sans conflit n'existe pas. J'ai la hantise de la violence, de voir les gens et les groupes se déchirer d'une manière violente au lieu de débattre, de négocier, de s'affronter sur le mode du conflit. Donc j'ai choisi d'étudier le racisme, la haine, car si je comprends à quelles conditions tout cela se développe, je pourrai peut-être comprendre comment tout cela peut régresser. J'ai des préoccupations politiques et éthiques, qui se fondent sur une certaine image de la société où j'aimerais vivre, et j'essaie de voir à quelles conditions la société pourrait aller dans le sens des valeurs qui sont les miennes.
J'essaie d'être vraiment sociologue, de ne pas être conseiller ni expert mais essentiellement de contribuer à produire des connaissances. Ceci dit, si ces connaissances ne servent à rien, si elles ne servent pas à informer les acteurs collectifs, les associations, les personnes, je m'arrête tout de suite et je fais autre chose. Je me considère engagé dans la vie sociale par mon travail de sociologue. C'est un engagement. Je n'ai pas un intérêt immense pour les grandes organisations, pour les choses qui ne me semblent pas problématiques. Je vais là où la société a mal, là où il y a les choses problématiques dont nous parlons : l'exclusion, la grande pauvreté, les drames sociaux, la violence.
Revue Quart Monde : Que pensez-vous de la notion de « seuil de tolérance » ?
La réponse est simple : pour un sociologue, cela n'existe pas. On peut observer des phénomènes tellement différents, des situations où, avec peu d'étrangers, il y a de graves problèmes, et d'autres où, avec beaucoup d'étrangers, il n'y a pas de problèmes, ou tout le contraire... Pour un sociologue, les problèmes résident dans ceux que peuvent vivre les gens, en termes par exemple d'insécurité, d'incivilité, de violence, et non en fonction d'un soi-disant seuil prédéterminé. Ce qui est toujours fonction d'une alchimie particulière propre à telle ou telle situation. Tout peut changer parce qu'il y a ou non un travailleur social intelligent, des militants d'ATD Quart Monde, un commissaire de police raciste ou au contraire très ouvert. Tout est fonction de tant de facteurs que l'id‚e de seuil de tolérance est absurde à mes yeux.
Elle devrait être absurde aussi pour un homme politique parce qu'elle signifie l'existence de lois inéluctables qui font que cela ne vaut pas la peine de faire quoi que ce soit à partir d'un certain seuil. Or la politique est de savoir agir dans des situations éminemment difficiles. Cette notion est donc inacceptable.
Revue Quart Monde : Que mettriez-vous sous le mot de tolérance ?
Pour réfléchir à la notion de tolérance, il faut la replacer dans le débat actuel en France qui porte sur la République, sa crise, le modèle d'intégration française et, en opposition ou en complément à ces catégories, les notions de multiculturalisme. Je m'explique.
La France depuis très longtemps s'inscrit dans ce qu'il est d'usage d'appeler le modèle républicain : liberté, égalité, fraternité. Or ce modèle républicain est aujourd'hui, premièrement en crise, et, deuxièmement, interprété de deux manières différentes.
Premièrement, en crise : je veux dire que, de toute évidence, les institutions à travers lesquelles ce modèle s'applique ont de plus en plus de mal à fonctionner. L'école publique qui normalement socialise les enfants, les fait devenir sujets de leur propre existence et entrer dans la citoyenneté, est en crise. Les écoles ne sont plus identiques ; elles sont considérées comme bonnes ou mauvaises par les parents, selon qu'il s'y trouve beaucoup ou peu d'enfants issus de l'immigration. L'armée républicaine est remise en question, la police va mal, la justice va mal, les grandes entreprises qui incarnent le mieux le service public ont d'énormes difficultés parce qu'elles sont prises dans des logiques commerciales.
Deuxièmement, dans cette crise de la République et de ses valeurs, deux discours proposent des interprétations opposées de l'idéal républicain. Le premier discours que j'appellerais « républicaniste et assimilationniste » consiste, en gros, à dire : « Dans l'espace public français, il n'y a de place que pour des individus ; je ne veux pas entendre parler de groupes, de particularismes culturels, d'affirmations identitaires, qui demanderaient à exister dans l'espace public ». Le deuxième discours est le discours tolérant qui consiste à dire : « La République ne reconnaît dans l'espace public que des individus. Mais elle sait que des gens veulent être reconnus pour leurs identités collectives ; par exemple religieuses, ethniques, artistiques… Elle ne leur donne pas une reconnaissance pleine et entière, mais les tolère, ce qui aboutit à dire : « Je veux bien que vous soyez israélite si cela reste privé, ou que vous soyez homosexuel si vous ne défilez pas dans les rues pour le faire savoir… »
Le principe de la tolérance est ce que la République a inventé de meilleur. Elle a toujours été tolérante avec des moments de crispation intolérante bien sûr…. Vous pouvez par exemple avoir des aumôneries dans les écoles publiques, dans l'armée, dans les prisons à Mais aujourd'hui, la République de la tolérance est prise dans la crise et a beaucoup de peine à fonctionner. Ses limites deviennent évidentes : les limites de la tolérance c'est qu'elle n'est pas la reconnaissance. Si je vous dis, « je vous tolère », je veux dire que je suis ouvert, que je ne suis pas une brute, mais que, néanmoins, vous n'êtes pas dans la ligne normale des choses. Etre toléré est être considéré comme appartenant à une catégorie qui mérite plus ou moins la stigmatisation. La limite de la tolérance, c'est qu'elle ne met pas tout le monde sur un pied d'égalité. D'où le d‚bat contemporain entre ceux qui disent, « je ne suis pas un assimilationniste, je tolère les identités particulières » et ceux qui disent, « la tolérance ne suffit pas, il faut inventer autre chose »
Mais on entre là dans un autre danger, celui du communautarisme. Si je fais plus que tolérer, si je dis, « tout le monde a le droit de mettre en avant une identité collective, de dire je suis musulman, je suis catholique, je suis athée, je suis homosexuel, je suis sourd à et je me regroupe dans une communauté », cela peut conduire à deux catastrophes.
Première catastrophe : à l'intérieur de la communauté, les individus sont soumis à la loi du groupe et n'ont plus le droit d'exister en tant que tels - les femmes dans l'islam le plus dur par exemple.
Deuxième catastrophe : le choc des communautés. C'est ce que l'on observe dans l'ex-Yougoslavie ou au Liban. Cela risque de conduire à une double négation : négation de l'individu sujet de son existence et négation de la démocratie.
Le problème pour moi est là : comment éviter les limites du modèle de la tolérance, qui deviennent intolérables, sans basculer dans les excès mortels du communautarisme ?
Revue Quart Monde : Néanmoins, l'expérience de terrain que rapporte un autre article de notre dossier se rapportant à Marseille montre que l'identité culturelle bâtit les gens. Et quand ils ne l'ont plus, ils ne peuvent plus exister en tant qu'individus.
Je suis tout à fait d'accord mais il reste le danger du communautarisme qui est la fermeture de l'identité sur elle-même. Personne, je crois, ne devrait accepter les idées totalement assimilationnistes ni les idées totalement communautaristes.
Revue Quart Monde: Pour qu'entre ces deux extrêmes puisse se faire jour une tolérance positive, évoluant vers la reconnaissance, quelles seraient les conditions favorables, voire nécessaires ?
Je publie en ce moment aux Editions de la Découverte, un livre sur ce sujet. C'est un livre collectif réalisé avec différents chercheurs de mon laboratoire et qui s'appelle Une société fragmentée ? et qui apporte diverses réponses aux questions que vous posez. Je crois qu'il y a des conditions très générales, très globales, planétaires, sur lesquelles personne n'a de prise, ou si peu, laissons-les de côté. Je ne veux pas vous r‚pondre en vous parlant du système capitaliste ou de la globalisation économique…
Je voudrais vous parler en me situant uniquement au niveau des acteurs. D'une part ceux qui sont eux-mêmes porteurs d'une identité. D'autre part ceux qui sont confrontés à la question des identités, par exemple les travailleurs sociaux, enseignants, responsables politiques, syndicaux, administratifs, personnes gérant les H.L.M…
Tous les acteurs doivent se dire que ces problèmes seront de plus en plus fréquents, dureront très longtemps, et n'ont pas de solutions techniques pratiques immédiates. Par conséquent, la grande affaire, c'est d'être capable de se fixer une ligne de conduite en se demandant à chaque fois « comment concilier l'inconciliable ». Comment est-il possible de concilier une affirmation identitaire et le respect des valeurs universelles, le droit et la raison ? En permanence, il faut concilier deux registres, refuser leur disjonction.
Pour les acteurs identitaires, c'est très difficile parce qu'il y a des pressions très fortes vers le communautarisme de la part de ceux qui voudraient que le groupe se ferme sur lui-même, comme une secte, qu'il soit intégriste, fondamentaliste. Cela existe partout et pas seulement dans l'islam.
Pour les acteurs qui leur répondent, il y a très souvent des tendances à dire : « Ne me parlez pas de votre identité » Pour se donner la ligne de conduite dont je parlais, « concilier l'inconciliable », il faut aussi une conception ouverte de la démocratie : la démocratie ne doit pas être simplement considérée comme l'expression de la majorité.
Il faut que la démocratie soit capable de gérer en permanence ce genre de situation, ce qui est coûteux, demande du temps, de l'énergie, de la bonne volonté de tous les côtés. C'est une pédagogie. Mais c'est le grand effort que nous devons apprendre à faire pour éviter la fragmentation culturelle et sociale, la violence, la haine, l'extrême droite.
Je vais vous en donner une illustration concrète. Le maire d'une petite ville en région parisienne reçut un jour la plainte de Français de souche, de « Gaulois », habitant une H.L.M. de médiocre qualité. Les musulmans qui habitaient au-dessus égorgeaient des animaux dans leur salle de bain, pour la fête du mouton, et non seulement on entendait tout dans la salle de bain des « Gaulois », juste au-dessous, mais du sang ruisselait à travers le plafond. Vous imaginez leur colère ! Ils allèrent donc trouver le maire. Il leur demanda de lui faire confiance et leur promit de régler le problème au profit de tout le monde. Il entra en contact avec les musulmans en question et des associations liées aux populations d'origine maghrébine. D'une part, il leur demanda de veiller au respect des valeurs universelles de la loi et du droit, donc du code de la santé publique qui, pour des raisons d'hygiène, interdit de telles pratiques. Et, d'autre part, il leur dit qu'il respectait leur tradition, et qu'avec son conseil municipal, il mettrait en place un abattoir où les musulmans pourraient égorger les animaux selon leur religion.
Ainsi les musulmans, à la fois, entrent dans la société française et peuvent affirmer leur identité religieuse. Les Français de souche sont respectés. La loi est respectée. Si tout cela est bien expliqué, tant aux « Gaulois » qu'aux musulmans, on peut éviter de monter aux extrêmes. C'est un travail de discussion, d'adaptation. Et demain, ce sera d'autres questions car les phénomènes d'identité culturelle se transforment en permanence.
Revue Quart Monde: Pour que tout ce que vous dites puisse se faire, ne faut-il pas des conditions économiques minimums, en particulier si on pense à la frange la plus pauvre de la société et à l'intolérance entre « les pauvres et les riches » ?
Ce problème est d'autant plus aigu et fait d'autant plus l'objet de fantasmes, que la question culturelle se mêle à la question sociale. Les pauvres sont perçus très souvent comme des classes dangereuses. Ils connaissent un double rejet parce que, en plus de leur côté dangereux, ils font honte. Cette représentation de la pauvreté appelle au mieux la tolérance plus ou moins stigmatisante dont je vous parlais tout à l'heure.
La question sociale et la question culturelle se renforcent parce qu'on fabrique une culture de la pauvreté. Les pauvres ne sont pas seulement dans l'inégalité ou moins riches que les riches ou que les gens ayant un emploi qui leur permet de vivre : ils sont différents culturellement. Quand vous dites à quelqu'un, « tu me fais honte, tu deviens pour moi un danger physique et moral », à force de le lui dire, il devient différent, il construit sa propre culture. Les questions culturelles dont je vous ai parlé ne sont pas séparables de la question sociale. Etre pauvre, c'est être rejeté dans une différence qui n'est pas seulement économique. La pauvreté est aussi de l'ordre du rejet, du mépris, c'est quelque chose de terrifiant.
Revue Quart Monde : En effet, la première chose dont les pauvres parlent lorsqu'ils commencent à s'en sortir ne concerne pas leur niveau économique mais le fait de retrouver leur dignité.
Tout cela est vécu au niveau de la personne. Chaque individu le gère bien ou mal selon les ressources psychologiques, familiales à dont il dispose.
Il ne s'agit pas seulement de phénomènes macrosociaux, de questions collectives. La personne pauvre ne se sent pas niée seulement comme membre d'une communauté où il y a des problèmes économiques mais aussi comme être humain, niée dans son être, dans son essence. C'est un problème économique mais cela devient immédiatement, en même temps, un problème de culture et dès lors un problème de personnalité. C'est encore plus terrible pour ceux qui n'ont pas d'identité culturelle d'origine étrangère. Les plus démunis, les moins capables d'agir, de sortir au moins psychologiquement de leur situation sont, je pense, les Français de souche. Ils ont l'impression que tout s'effondre ; alors que, dans d'autres cultures, les gens peuvent au moins essayer de bricoler quelque chose avec leur identité.
Revue Quart Monde : Vous dites dans votre étude sur Roubaix que, chez ceux qui sont les plus pauvres, les plus exclus, même le racisme n'existe pas, la révolte même ne peut plus exister.
Il y a des situations dans lesquelles on est au-delà du racisme. Le racisme est d'autant plus aigu qu'on a encore des ressources, qu'on n'est pas encore tout en bas. On peut se reconstruire par la race. Mais quand on est tout au bout du chemin, s'il y a un bout, on est au-delà de ça. Cela nous est apparu sur le terrain dans diverses situations.
Le racisme est généralement une combinaison de deux logiques : l'infériorisation, « je veux bien que tu sois là mais en dessous de moi », et la différenciation, « tu es différent, tu n'as pas le droit, tu es une menace pour mon identité nationale ». Quand on est soi-même totalement inférieur, complètement en bas avec d'autres gens qui sont manifestement pareils, comment envisager d'inférioriser l'autre ? On est tous dans la même galère. L'un des ingrédients du racisme perd son sens. Quant à la différenciation, peut-être peut-il leur rester des espoirs politiques, que l'Etat prenne des mesures de préférence nationales par exemple ? Non, je crois que les plus pauvres sont au-delà de la politique, ils ne peuvent plus y croire.
Revue Quart Monde : Dans l'extrême pauvreté, il y a aussi une sensibilité à la souffrance de l'autre. C'est peut-être une solidarité développée par la survie. Par là aussi il y a dépassement du racisme. Le Mouvement ATD Quart Monde travaille à ce que les familles de toutes origines culturelles puissent dire cette part d'identité commune venue de leur expérience de vie dans l'extrême pauvreté. Elle doit prendre sens.
Vous pouvez les aider à construire une identité collective qui ne les enferme pas, qui ne soit pas un ghetto mais une sorte de sas, un lieu de repli où ils trouvent de la chaleur, du sens. Dans ce pays aujourd'hui où il y a une perte de sens généralisée, massive, visible, il y a deux lieux de sens : c'est d'un côté la Nation sous la forme nationaliste du Front national, et d'un autre côté l'Islam qui devient lieu de sens pour beaucoup de jeunes, pas seulement ceux issus de l'immigration maghrébine. Ce n'est pas cela que l'on souhaite forcément… Il faut donc reconstruire des lieux de sens où les gens puissent être acteurs, sujets, et non victimes passives. C'est le sens de ce que vous faites.
Mais cela pose une question au chercheur, une question de méthode mais aussi d'éthique. Nous avons fait une recherche à Roubaix, relatée dans le livre La France raciste.1 La méthode consistait à mettre en présence des personnes concernées par le racisme et à leur faire vivre un processus de débat. Nous leur avons fait rencontrer un député du Front national, un jeune musulman, le maire de Roubaix… Cela les a mis en position d'analyser leurs problèmes.
L'analyse pour être satisfaisante pour le chercheur comprend cette phase, mais quand on est dans une situation donnée cela ne suffit pas. Car ces petites gens, ces quasi-pauvres, nous les mettons en face d'une analyse qu'ils ont produite avec nous et ensuite nous n'avons plus rien à faire avec eux et ils le sentent. Lorsque nous nous séparons d'eux, d'une certaine manière ils nous le font payer en se montrant plus racistes qu'avant. Ce n'est pas l'analyse qui les rend plus racistes, mais le fait qu'on les laisse tomber. Bien sûr, nous sommes allés les revoir, mais nous ne pouvons rien pour eux.
Nous en avons tiré des leçons plus générales, à savoir qu'il ne suffit pas d'écrire les problèmes ou d'en parler. Il faut s'assurer que ceux qui ont des responsabilités dans le domaine politique ne laissent pas tomber ces gens. La production de connaissance en elle-même ne suffit pas. Les chercheurs doivent se préoccuper en permanence d'accompagner les acteurs, les personnes, les groupes qu'ils étudient. Sinon ils créent des déceptions très grandes, ils peuvent abaisser leur capacité d'action.
Revue Quart Monde : Au niveau de l'action, nous rencontrons ces situations. Les gens nous disent, « on ne vous a pas demandés, vous êtes venus à et bien maintenant ! faites ! » Mais n'est-ce pas nécessaire pour que les gens se mettent debout ?
J'irai même un peu plus loin, un peu trop loin peut-être, en vous disant que, dans la démarche sociologique, si l'on sait dépasser ces moments de très grande tension, de violence, c'est là où des choses vont se faire. Le rejet violent n'est pas que du rejet, il en appelle à autre chose. Quand il n'y a pas cela, on passe à côté de choses très importantes, aussi bien du côté de l'action que du côté de la connaissance.
La tolérance, c'est le refus de ce moment un peu dramatique où l'on s'affronte, où l'on débat. La mise en relation présente nécessairement des difficultés. C'est à nous, chercheurs ou militants, de le savoir et de se préparer à l'encaisser pour bien la dépasser. Il m'est arrivé très souvent d'être dans une situation très difficile ; je ne savais pas à l'avance quand je la connaîtrais mais je savais que je la connaîtrais. C'est cela qui est bon si je puis dire.
Revue Quart Monde : En fait, même si la tolérance n'est pas accompagnée de mépris, de stigmatisation, elle n'est pas toujours la ligne de conduite à suivre dans une situation concrète.
Il vaut mieux la tolérance que l'intolérance, nous sommes d'accord là-dessus, mais je crois que la tolérance, c'est ce qui permet d'esquiver le rapport, d'esquiver le conflit, d'esquiver la relation à l'autre. On peut parler de la tolérance comme d'une valeur, mais moi, je crois qu'il faut en parler comme d'une pratique. Elle comporte du négatif et du positif. Il faut parler concrètement de ce qui se joue derrière.
Si vous opposez la tolérance à l'intolérance, bien sûr nous sommes tous tolérants. Si vous opposez la tolérance à la reconnaissance, il y a là un vrai débat entre ceux que j'ai appelés au début des républicains tolérants et ceux qui seraient davantage multiculturalistes, au bon sens du terme. Je veux donc réfléchir du côté de la reconnaissance et non de la tolérance.