Près de quinze ans après La belle verte, Coline Serreau continue à nous introduire dans l’entendement de l’état de santé de notre planète. Patiemment se détricotent au fil des images les convictions les plus largement véhiculées par les médias partisans et par l’opinion publique aveuglée. Une gestion de l’alimentation mondiale qui marche sur la tête, une biodiversité gravement menacée, l’énergie naturelle de la terre contrecarrée plutôt que canalisée au profit de tous. Les terres cultivables agonisent, épuisées par les pesticides et engrais à hautes doses, par les rythmes de cultures frisant l’inconscience et surtout par la stratégie de profits des grands groupes financiers régissant le monde agricole mondial. Nombre d’agriculteurs, rendus dépendants des grands semenciers, se suicident ou vont s’agglutiner dans les bidonvilles des grandes métropoles ; le pétrole sur lequel repose tout l’édifice de l’agriculture à outrance se raréfie inéluctablement…
Alors ? Sombrer une fois de plus dans la culpabilité paralysante ? Pas du tout. Tout cela est dit, démontré, expliqué, avec patience, bon sens, humour, par des personnes engagées depuis des dizaines d’années dans un autre développement, d’autres rapports sociaux. En Europe, en Ukraine, au Maghreb, au Brésil, en Inde, … elles parlent des rythmes naturels de la terre, du savoir-faire transmis par des anciens plus proches de la nature, d’une consommation familiale et locale maîtrisée. Et s’impose au spectateur la conviction que cette voie est tout à fait praticable, réaliste et déjà débroussaillée. Ces « résistants » ont souvent payé leur savoir d’un prix très lourd, ont fait face à l’incompréhension, aux moqueries, subi la torture, comme dans le cas des paysans sans terre au Brésil. Les regarder pailler la terre, en égrener les mottes « en graines de couscous » dans leurs mains pour en apprécier la santé ; les voir associer plusieurs cultures « amies », « en mandala » pour un meilleur rendement, recueillir, traiter et épandre les engrais naturels produits par l’élevage associé à toute culture ; lire dans les yeux délavés d’une vieille paysanne ukrainienne sa fierté de nourrir toute sa famille avec ses propres semences … est un encouragement sans bornes pour tous ceux qui cherchent un autre avenir et une réponse irréfutable aux assoiffés de pouvoir et de centralisation financière. Des preuves vivantes du bien fondé de leurs choix durement assumés. « La meilleure façon de lutter contre les multinationales quelles qu’elles soient, [...] c’est de s’en passer » dit Dominique Guillet, président fondateur de Kokopelli, association qui milite pour la sauvegarde de la biodiversité des semences. Les penseurs sérieux, ceux qui se préoccupent véritablement de la faim dans le monde et de l’avenir de la planète sont là, dans leur simplicité et leur sagesse. Questions sociales et questions écologiques intimement mêlées.
La nécessité de retrouver le côté féminin et maternel de cette planète est évoquée par beaucoup d’entre eux. Terre-mère qui ne demande qu’à nous nourrir et que les derniers siècles de masculinité à outrance ont forcée, violée, créant famines et rapports de forces insupportables. On pourrait s’en impatienter, dénoncer l’écueil de clichés faciles. Mais encore une fois, rien d’idéologique dans ce film limpide et pédagogique : on voit vivre dans la sobriété des gens courageux et heureux ; des liens se font, chemin faisant et appelés par le simple bon sens, entre agriculture, sociologie, philosophie, économie, remettant l’être humain au centre des systèmes qui se réfléchissent pour l’avenir. Nous sortons de la salle de cinéma debout, recentrés, conscients que chacun, là où il se trouve, est responsable de sa petite part de changement, et a la possibilité de rejoindre les réseaux existants partout dans le monde, qui travaillent à remettre le développement à l’endroit.