Ce matin, Karina nous accueille chez elle. Elle habite un îlot d’habitations informelles au coeur d’un quartier populaire de Mexico. C’est dans sa ruelle que le samedi les enfants se retrouvent pour la bibliothèque de rue animée par Jimena, Geo, Julieta, Matt et les autres. Mais aujourd’hui, c’est réunion !
Nous sommes une vingtaine, à l’arrière de sa maisonnette. Karina a posé une planche recouverte d’une nappe sur un rondin de bois, sorti quelques chaises. Des voisins en ont prêté d’autres. Quelqu’un a apporté de la limonade, il y a aussi des oranges bien mûres que l’on se partage. Olga, dont le papa fait partie des rares personnes à posséder le terrain sur lequel est construit sa maison, nous raconte l’histoire du quartier qui s’est développé entre une décharge et la briqueterie. Pour des salaires de misère, les ouvriers y cuisaient les briques dans de grands fours chauffés au bois et au mazout. La fumée noire et nocive envahissait le quartier. D’autres habitants recyclaient les déchets. Les enfants allaient chercher l’eau très loin.
Aujourd’hui, les fours se sont éteints, le chômage est important, des hommes se font maçons, des femmes tiennent de petits commerces ou font le ménage chez d’autres. Plusieurs personnes ont travaillé dès l’enfance. Pour tous, la vie est restée pleine de défis, de courage et de résistance face au dénuement et aux discriminations. Une maman récupère les bouteilles en plastique qu’elle empile par rangées de couleurs pour les revendre, une autre vend des vêtements d’occasion. Ici, on a rarement les moyens d’acheter du neuf. « Porter des vêtements usagés en classe, c’est difficile pour ma fille, mais je lui dis : l’important, c’est le savoir que tu mets dans ta tête » dit Karina. « D’ailleurs – dit Javier – le monde ne peut pas continuer à tourner ainsi. Ce gaspillage, c’est de la folie ». Pour tout le monde, ce qui compte c’est l’entraide, qu’on s’encourage et qu’on soit attentif à celui qui a le plus de difficultés. C’est cela aussi que les parents aiment à la bibliothèque de rue : « Elle enrichit nos enfants. Ils ont davantage confiance en eux à l’école. Ils apprennent à lire et aussi à tenir ensemble, sans laisser personne à l’écart. C’est important parce qu’on est tous égaux ».
Et si nous aussi, nous nous mettions à l’école de celles et ceux qui les premiers ont été obligés d’affronter l’injustice environnementale, de vivre sobrement, de créer à partir de ce qui est mis au rebut, de tenir ensemble dans de grandes difficultés, pour continuer d’apprendre à vivre ensemble, à être courageux et inventifs pour relever les défis de notre temps ?