« Dans les aldeas du Guatemala comme les mornes d’Haïti, les slums d’Afrique ou d’Asie et les bidonvilles d’Europe, partout j’ai entendu les familles qui se débattent dans l’intolérable misère, chanter leur dignité », écrivait en 1987 Joseph Wresinski.
Comment, dans l’histoire humaine, le chant a-t-il été un instrument de libération, l’affirmation d’une dignité inaliénable ?
« Les chants des exploités, des pauvres, des parias […] n’ont que des effets apaisants sur des maladies qu’ils ne savent pas guérir », estime T. Grisar dans ce dossier1. L’action des chants n’est en effet pas immédiate sur les injustices qu’ils évoquent ; en revanche, devenant « chansons à tout le monde », ces hymnes qui accompagnent les luttes diffusent un message contagieux de résistance et de résilience. La vigueur et la souplesse de ces chants, entonnés par plusieurs générations, en divers endroits et multiples interprétations, est remarquable. Appelant à la dignité malmenée mais présente en chaque auditeur et interprète, ils font partie du patrimoine immatériel de l’humanité.
C’est le cas de la Ballade des ouvriers de la forêt, chant des aborigènes de l’ethnie Paiwan à Taïwan devenus bûcherons loin de chez eux sous la pression de la pauvreté, à laquelle nous introduit T. Song, elle-même citoyenne aborigène2. Aux États-Unis, des protestsongs3 ont accompagné l’indignation des artistes militants face à la répression policière à l’encontre des personnes issues de la communauté africaine-américaine, ou à propos de la tragique histoire de Sacco et Vanzetti, militants anarchistes injustement condamnés4.
Aujourd’hui encore, le chant est un chemin de libération. Ici et là, des chorales se sont créées avec des hommes et des femmes sans domicile, en prison, réchappés de l’enfer des migrations forcées, hébergés dans des foyers, dans des quartiers mal réputés à la périphérie de nos villes. Des chefs de chœur et des choristes, professionnels ou amateurs ont voulu transmettre leur bonheur de chanter, refusant que cet art demeure le privilège de quelques-uns. « On n’était pas tous au même rang mais on ne se moquait pas » (Janine). « Être regardée avec bienveillance, sans jugement, voilà ce qui te rend digne d’exister et t’autorise à avancer » (Jacqueline). M. Ouattara s’inspire de sa propre histoire de migrant en Méditerranée dans le très beau texte Naufragé(e)5. La musique permet de transformer les vies. Toutes les frustrations, toutes les difficultés, une fois écrites et chantées, réveillent « tout ce qui est bon en moi »6. Pour canaliser honte, colère et révolte en combats constructifs.