Guatemala : pour donner des ailes aux jeunes

José Dimas Pérez

Traduction de Cristina Jeangrand

p. 27-31

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José Dimas Pérez, « Guatemala : pour donner des ailes aux jeunes », Revue Quart Monde, 253 | 2020/1, 27-31.

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José Dimas Pérez, « Guatemala : pour donner des ailes aux jeunes », Revue Quart Monde [En ligne], 253 | 2020/1, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 19 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8442

Au Guatemala, les adolescent·e·s et les jeunes qui vivent dans des conditions de pauvreté et de très grande pauvreté sont en situation de vulnérabilité qui les met en danger et crée un handicap face aux autres. Leurs réflexions visent à changer le regard et la manière de penser de la société.

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Guatemala

Au cours de ces dernières années, en accompagnant les jeunes lors de visites et de rencontres dans leurs communautés et à la maison du Mouvement ATD Quart Monde, nous avons appris de leurs problèmes divers ou des situations qu’ils doivent affronter : abandon de leurs études, recrutement pour faire partie des gangs, consommation de drogues, violence, grossesse des adolescentes1. La situation économiquement difficile de la famille les pousse à chercher un travail pour lequel ils ne sont pas reconnus.

En effet, selon le Rapport de référence sur l’état des droits de la jeunesse au Guatemala, mené par le Bureau du Procureur des droits humains (PDH) et le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) :

« Les jeunes entre 13 et 29 ans ont un accès limité aux services publics et leurs droits sont violés en permanence, perpétuant ainsi la transmission de la pauvreté intergénérationnelle, concentrée sur 82,2 % de la jeunesse.

Selon l’Enquête Nationale sur les conditions de vie (ENCOVI) réalisée en 2014, le Guatemala comptait près de 15,9 millions d’habitants, dont 34,3 % avaient entre 13 et 29 ans.

La majorité des jeunes entre 13 et 29 ans voit ses conditions de pauvreté augmenter au Guatemala, 59,5 % vivaient dans un foyer pauvre en 2014 et 22,7 % vivaient dans un foyer très pauvre.

L’analyse réalisée confirme que dans le taux de participation économique, sur un total de jeunes qui ont entre 14 et 29 ans, la proportion qui travaille ou cherche du travail représente 57 % ; et 98 jeunes sur 100 insérés dans le marché du travail ne bénéficient pas des conditions minimales qui garantissent l’accès à un travail décent.

La violence dont souffrent les adolescent·e·s et les jeunes est directement liée à la négation de la jouissance de leurs droits humains fondamentaux ; ces carences les exposent à d’éventuels risques qui les convertissent en victimes quand ils font l’objet de menaces, ou en agresseurs quand le milieu social les entraîne vers les bandes de jeunes, les gangs, le crime organisé, achevant de les criminaliser à un jeune âge. »

Difficultés et défis

Les parents ne cessent de soutenir leurs enfants car ils veulent pour eux autre chose que ce qu’ils ont connu, ils veulent qu’ils aient de meilleures chances, qu’ils puissent se former, qu’ils puissent mieux se débrouiller dans la vie.

« En ce qui concerne l’emploi, les portes sont fermées pour nos jeunes, ils disent que les jeunes ne sont pas formés » dit Blanca Méndez, tandis que Brenda ajoute :

« Si, les jeunes sont formés, mais ils n’ont pas d’expérience, et comment vont-ils en acquérir si on ne leur en donne pas l’opportunité ? »

Les adolescent·e·s et les jeunes cherchent très tôt du travail et effectuent des travaux très durs. Voici quelques expériences dont ils nous ont fait part au cours de notre accompagnement :

« J’ai été vendeur dans un local de vente de disques, de chaussures et autres, j’ai appris comment on gagne de l’argent en travaillant de 8h à 21h pour un salaire de 300 Q.2
J’ai travaillé dans le recyclage et la collecte de boîtes de conserve, de verre et autres, c’était très dur, je travaillais de 6h du matin à 7h du soir pour un salaire de 200 Q. par semaine mais ils me donnaient seulement la moitié, 100 Q. »
, Anayeli Ramirez.

Le salaire minimum décrété pour l’année 2019 est de 2992,37 Q. par mois, ce qui ne couvre pas les frais de subsistance des familles. Le panier moyen de la ménagère – qui est l’ensemble des produits alimentaires nécessaires à satisfaire a minima les besoins de la famille – était en 2019 d’environ 3597 Q.

« … Dans la restauration, on souffre parfois de brûlures ; parfois on vend, parfois non, alors on perd le capital… », Sindi Sequen.

Les différents risques qu’ils courent, tant au niveau physique qu’au niveau de la perte de leurs petits capitaux, nous en apprennent beaucoup sur les efforts que fournissent ces petits entrepreneurs.

« … Avant, je vendais des bonbons à l’université et par peur de la répression policière – police privée de l’université publique – j’ai arrêté. », Brandon Revolorio.

« … Mes expériences de travail : j’ai été vendeur-ferrailleur, j’ai travaillé au recyclage en zone 3 ; fouiller les déchets est un travail désagréable. On doit sélectionner. Ce que d’autres n’utilisent plus, nous on le prend. C’est une mine d’or, c’est un travail qui n’est pas bien reconnu, un travail discriminé par la société, marginalisé par la société et le gouvernement. », Luis Zepeda.

De la même façon, les jeunes partagent ce que vivent les membres de la famille quand leurs pères reviennent du travail fatigués, en colère parce qu’on les a maltraités, parce qu’on ne les paye pas bien ou pas du tout pour le travail effectué. Il en résulte des disputes à la maison pour manque d’argent et l’ambiance n’y est pas gaie.

Ils nous font savoir que l’on viole leurs droits, ils sont exploités car leurs horaires ne sont pas respectés, ils vivent des discriminations, ils ne reçoivent pas d’aides sociales, ils n’ont pas de vacances, on ne leur paye pas les heures supplémentaires. L’inégalité existe dès le début quand on ne les paye pas le jour convenu ; dès cet instant on ne reconnaît pas leur droit, de là l’importance de l’égalité que l’on doit maintenir ; peu importe le travail que l’on accomplit, car nous sommes des êtres humains qui avons les mêmes droits.

Quelques réflexions sur ce que permet le travail, en dépit d’expériences éprouvantes :

« Le travail est digne mais ils nous exploitent, ils ne nous payent pas bien. Il est digne à partir du moment où ils ne nous maltraitent pas, il est digne car nous gagnons un salaire à la sueur de notre front. Le travail nous permet de subvenir aux besoins de notre famille, pour nourrir et éduquer les enfants. Nous voulons vivre dignement, pour créer un monde meilleur et pour éliminer la pauvreté. », Groupe de jeunes.

« La société doit changer sa manière de penser sur le travail non officiel. Pour moi, il n’y a pas de travail non officiel, car tout travail est digne, qu’importe ce qu’il est. Il nous aide à progresser, non seulement notre famille mais également notre société. La société dit qu’il est non officiel ; … pour nous il est normal car il nous rend dignes. », Luis Zepeda.

Pour réaliser leurs rêves, communs à tous les jeunes

Les parents vivent sous l’emprise de l’insécurité et de la peur dans leurs communautés. C’est pour cette raison qu’ils soutiennent leurs enfants afin qu’ils terminent leurs études, et qu’ils s’assurent qu’ils ne prennent pas de mauvaises habitudes comme le vice ou la drogue.

« Dans ma communauté la drogue atteint les jeunes. Discuter avec eux les aide à ne pas se sentir seuls. », Beronica Madrid.

« L’âge ne devrait pas être un obstacle pour qu’ils puissent étudier et éviter ainsi que la rue les engloutisse et leur apprenne des choses mauvaises. », Maritza López.

Les groupes ou bandes contrôlent l’existence de la population et des jeunes, les empêchant ainsi de circuler facilement dans leur propre communauté.

« Je ne suis pas arrivée (aux rencontres) parce qu’il y a du danger, je ne peux pas descendre parce que ceux qui contrôlent la partie d’en bas nous menacent… », Esmeralda Buendía.

Cette jeunesse vit ainsi dans des conditions de pauvreté, d’insécurité. Ils vivent quotidiennement dans l’inquiétude : l’impossibilité d’étudier ou de terminer leurs études, la peur de redoubler, de ne pas atteindre leurs objectifs, de ne pas pouvoir avoir une formation, de devoir chercher un travail et de ne pas trouver. Ils sont inquiets pour leurs parents, la famille, la jeunesse et l’insécurité dans laquelle vit le pays.

En dépit d’une conjoncture si précaire, ils rêvent d’un monde avec plus d’opportunités, à des niveaux de formation scolaire, à la possibilité d’un métier, d’un travail leur permettant d’être quelqu’un dans la vie et de pouvoir aider leur famille. Ils aiment également tout ce qui touche à l’art, la musique, la danse, la peinture, le théâtre, le sport, les nouveaux lieux. Comme tous les jeunes du monde, ils rêvent de construire un monde sans pollution et ils s’impliquent d’abord dans leur propre communauté en veillant à la propreté de la rue dans laquelle ils vivent, en reconstruisant les rues de leur quartier, maintenant ainsi un environnement agréable.

Ils veulent être écoutés

Ils demandent des espaces d’écoute, de formation, afin de connaître des personnes nouvelles, des idées nouvelles traitant des valeurs, des droits humains. Ils veulent parler de la violence, des thèmes importants pour les jeunes, de sexe, de santé sans addiction, de maternité et paternité responsables, de sexualité, de respect, de participation citoyenne.

Des espaces où ils puissent être partie prenante et pas seulement participants, où ils fassent partie de ; où ils puissent avoir des copains, des amis ; des lieux où ils puissent se prendre en main ensemble.

« Nous voulons des espaces où nous ne restons pas muets, où nous pouvons parler et oublier notre timidité, où nous pouvons parler aux gens, où nous avons l’appui des autres. », Ismael López.

Lors des différents entretiens, ils rappellent l’importance qu’a eue pour eux la liberté d’expression.

« Nous, les jeunes, nous pouvons parler et ils prennent en compte nos opinions. », Groupe de jeunes.

« J’ai passé un moment super, c’est là que j’ai pu m’exprimer le plus et oublier la peur de parler devant les autres. », Ismael López.

« Très créatifs, avec la liberté de donner son point de vue et en plus la liberté de participer. », Kevin García.

Changer le regard de la société sur les jeunes

La jeunesse n’est pas un groupe prioritaire pour l’État car il existe un manque d’accès à l’éducation, la formation, à un travail digne et à une sécurité physique. De plus, il est nécessaire d’inclure l’idée de faire participer les jeunes les plus fragiles qui viennent de familles pauvres ou très pauvres et vivant dans des contrées appelées « zones rouges ». Dans ces zones il n’y a pas d’institutions ou d’organisations pour les aider car ces zones sont dangereuses ; elles ont peur d’y agir et pensent qu’ils font tous partie de gangs.

« Il n’y aucune institution qui soit proche de nous et qui présente un type de proposition semblable à celle qu’apporte le Mouvement Quart Monde. », Ismael López.

Les jeunes souhaitent se rencontrer entre eux, ils ont besoin de se parler, de s’écouter, d’oublier la peur.

« Nous avons vécu diverses expériences, nous avons acquis des connaissances et échangé des réflexions. Nous avons interagi avec différents jeunes venant de zones diverses ce qui est important pour pouvoir dialoguer et avoir une perception différente de chacune des zones. », Luis Zepeda.

Ce sont eux la force pour motiver d’autres jeunes, et ils souhaitent des espaces où ils puissent se découvrir, grandir et créer des liens entre eux, proposer des idées et entreprendre des actions sociales afin de construire une meilleure communauté.

Luis Zepeda : « … Mener une campagne pour nettoyer les rues c’est une façon de montrer aux gens qui vivent dans la communauté que nous les jeunes nous faisons quelque chose… »

Sharon González : « … Montrer à d’autres jeunes d’autres opportunités est une façon de leur donner des ailes pour leur prouver qu’ils ne sont pas seuls et qu’il existe des opportunités… »

Les jeunes souhaitent être reconnus en tant que bâtisseurs d’une nouvelle communauté, d’une nouvelle société, ils veulent se donner aux autres, ils veulent être actifs dans un projet.

À l’occasion du 17 octobre, les jeunes étaient là très tôt pour monter la scène de la Journée mondiale du refus de la misère, événement qui s’est déroulé en même temps que l’échange de la Rose de la Paix, démontrant ainsi qu’ils participaient et n’étaient pas là seulement en invités. Les reconnaître, c’est mettre en valeur tout ce qu’ils entreprennent, c’est le ferment de leur autonomisation.

1 Article traduit de l’espagnol par Cristina Jeangrand.

2 Le quetzal guatémaltèque, est l’unité monétaire du Guatemala. Cette dénomination provient de l’oiseau symbole national, le quetzal resplendissant. L

1 Article traduit de l’espagnol par Cristina Jeangrand.

2 Le quetzal guatémaltèque, est l’unité monétaire du Guatemala. Cette dénomination provient de l’oiseau symbole national, le quetzal resplendissant. L’unité monétaire est divisée en 100 centavos. Un quetzal équivaut à 0,12 euro (janvier 2020).

José Dimas Pérez

Guatémaltèque, José Dimas Pérez, est volontaire permanent du Mouvement ATD Quart Monde depuis 1988. Il est co-responsable des actions d’autonomisation des militants et d’accompagnement des jeunes dans l’équipe du Guatemala.

CC BY-NC-ND