La Fondation Apprentis d’Auteuil accueille et accompagne 1 600 Mineurs non accompagnés (MNA) au titre de la protection de l’enfance. Elle est la première association de France en termes de nombre de MNA accueillis1, depuis une quarantaine d’années.
Les jeunes2 que nous accueillons sont répartis dans une trentaine de MECS (maisons d’enfants à caractère social) et une trentaine de dispositifs dédiés (plateforme d’accueil de jour avec hébergement en diffus, dans des appartements, souvent à plusieurs, et accompagnés par une équipe pluridisciplinaire), sur l’ensemble du territoire français. Les plus jeunes (moins de 16 ans) sont généralement accueillis en collectif dans nos maisons. Les plus âgés sont souvent accueillis dans des dispositifs dédiés. Ils vivent alors en autonomie à plusieurs, sont scolarisés, font leurs courses et leurs activités, accompagnés par une équipe éducative, parfois pluridisciplinaire (éducateurs mais aussi chargés d’insertion, conseillers en économie sociale et familiale, etc.) qui les accueille en journée dans le service, leur propose des activités collectives le weekend (sortie, sport, visite, activités) et qui passe régulièrement les voir dans leurs logements (pour partager un repas, vérifier que tout va bien, proposer une soirée de jeux, etc.). Chaque jeune est une personne unique, avec sa richesse, ses fragilités et son parcours de vie. Il grandit chez nous au sein d’un collectif, d’une communauté et nous essayons au quotidien de trouver un équilibre entre l’individualisation de l’accompagnement et l’inclusion au sein d’un groupe, dans lequel le jeune pourra petit à petit trouver sa place, à l’image de ce qu’il devra construire au sein de la société, lui donnant par là un sentiment d’appartenance, pour l’aider à construire ses identités, et à réaliser qu’il compte dans le monde, puisqu’il a de la valeur à nos yeux.
Notre but : « Réussir c’est se rapprocher de son rêve, garder les yeux levés ».
Faire ensemble au quotidien
Le principe fondamental qui doit guider notre action est le « faire ensemble », « penser et agir ensemble » comme on dit à Apprentis d’Auteuil. Cela se traduit à la fois par une organisation concrète des lieux de vie et un accompagnement personnalisé de chaque jeune, la prise en compte des besoins spécifiques, les activités et de manière générale en gardant comme principe fondamental le besoin d’une relation de confiance avec l’autre, en l’occurrence les professionnels. Faire ensemble c’est également lui apprendre concrètement, à ses côtés et avec lui, à devenir autonome et à ne pas rester dans une relation d’assistanat.
Pour entrer en lien avec un jeune, le moyen le plus évident est de mettre en place des activités en fonction de ses compétences et de ses appétences. Nous le constatons chaque jour passé avec les jeunes, en particulier les primo-arrivants qui ne parlent pas encore le français : réaliser une activité concrète, comme cuisiner ensemble, organiser une sortie ou autre, est une excellente occasion d’établir le contact puis de construire une relation. Partager des activités ne nécessite pas de pouvoir bien s’exprimer en français, mais implique un partage dans le réel, qui aide à construire la relation avec le jeune.
Mais ces jeunes nous sont confiés pour des périodes souvent très courtes, entre quelques mois et deux ou trois ans, en moyenne un peu moins de deux ans. Leur accompagnement est donc un défi pour les équipes éducatives car elles doivent avoir traité tous les sujets évoqués plus haut, et notamment la régularisation administrative, dans un temps très, trop court, tout en essayant de prendre le temps de la relation et du partage. Le sentiment d’urgence et de ne pas avoir assez de temps est notre quotidien. Il est par conséquent nécessaire pour le professionnel de se questionner au quotidien sur la pertinence d’agir seul pour gagner du temps ou à l’inverse d’être dans une approche de transmission avec le jeune, pour qu’il soit en capacité de reproduire la démarche. Mais il faut toujours avoir à l’esprit que l’accompagnateur n’est que de passage dans la vie du jeune et que son devoir est de le préparer à s’assumer seul. Le temps « perdu » à le former, à prendre rendez-vous chez le médecin par exemple, sera gagné par la suite car il pourra le faire seul. Le dossier pour la préfecture est aussi un exemple révélateur. Fort d’une culture, d’une histoire, d’un héritage familial, le jeune peut aussi transmettre et apprendre. Nous devons lui permettre cet échange et le valoriser dans ce qu’il est et dans sa capacité à soutenir et à aider les autres quels qu’ils soient. L’idée générale est de faire ensemble au sein d’un groupe, dans lequel chacun apporte ce qu’il est, ses compétences et ses savoirs, adultes référents comme jeunes. Les jeunes expérimentent ainsi la joie de créer et de réussir et peuvent se reconstruire et prendre confiance en eux.
Souvent d’un niveau scolaire faible, les jeunes ont acquis dans leur milieu d’origine et durant leur parcours d’exil des compétences très diverses. L’équipe peut au quotidien observer les différents acquis, pour s’appuyer sur ceux-ci, afin de les aider à poursuivre leur parcours en France. En leur proposant des activités (cuisine, couture, atelier informatique, sorties culturelles), l’équipe développe ainsi une meilleure vision des capacités des jeunes. Il est également possible de leur proposer d’animer des ateliers pour d’autres jeunes, comme des ateliers de couture, de cuisine où interviendrait en plus une dimension de partage interculturel.
L’illustration de la richesse de ce type d’approche est l’atelier cuisine. Les jeunes sont amenés à travailler de manière concrète sur de nombreux aspects différents. L’interculturalité est présente par le fait de choisir les menus ensemble, en variant les plats des pays des uns et des autres et les plats français. Ils apprennent à s’intéresser à d’autres cultures et à d’autres goûts. Ils découvrent par ailleurs la cuisine et la culture françaises. En élaborant le menu avec eux, nous travaillons aussi l’équilibre alimentaire. En déchiffrant des recettes ils travaillent la lecture. En calculant les proportions nécessaires nous travaillons le calcul. En faisant les courses ensemble nous travaillons l’autonomie, la gestion d’un budget, comment se repérer dans un magasin, lire les étiquettes, comment conserver les aliments dans de bonnes conditions.
En cuisinant ensemble ils apprennent les règles d’hygiène, de sécurité, la coopération en équipe. Cet atelier donne également lieu à des discussions sur leur culture, le lien avec leur pays, avec leur famille et en particulier avec leur mère (qui les nourrissait), ce qui permet parfois que des jeunes qui ne parlent pas beaucoup de leur famille puissent s’ouvrir, et l’on peut, le cas échéant et si besoin, recréer des liens symboliques ou réels avec leur famille par la suite. La richesse de ce type d’activités est pratiquement sans limite.
Travailler en partenariat et ancrer le jeune dans un territoire
Le temps de passage court au sein de nos établissements incite à penser la sortie des jeunes dès leur arrivée. Par ailleurs, pour que la fin de l’accompagnement ne soit pas synonyme de rupture et de retour à l’isolement, l’implication de bénévoles est pour les jeunes l’occasion de créer des liens avec d’autres adultes, dans un type de relation différent, ce qui n’est pas le seul intérêt de faire appel à des bénévoles. Cela permet également aux jeunes de se constituer un réseau et des soutiens pour que la transition avec l’extérieur, à la fin de la prise en charge, soit la plus fluide possible. Le travail en partenariat permet également d’anticiper la sortie et d’avoir des partenaires externes à qui passer le relai, ce qui peut permettre d’éviter les « sorties sèches » sans solution.
L’autonomie au-delà des aspects matériels
Nous le voyons, le parcours des MNA est semé d’embuches, ils sont obligés de réussir, d’être performants à l’école, au sein de nos maisons et dispositifs, de trouver un travail, d’obtenir leurs papiers. Dit autrement, ces jeunes subissent une pression extrêmement importante, pression de se former sur les métiers en tension que ne veulent pas occuper les Français, au détriment parfois des envies réelles de ces jeunes et de leurs potentiels, pression d’avoir coché toutes les cases avant le couperet des 18 ans afin de pouvoir espérer obtenir des papiers, pression enfin d’une certaine forme d’« autonomisation forcée » afin de pouvoir se débrouiller seul dès 18 ans, ce que l’on ne demande à aucun autre jeune en France. Néanmoins, les équipes tiennent bon car leur motivation à accompagner ces jeunes est très forte.
L’accompagnement dans la vie quotidienne, en faisant avec eux, est un grand facteur de réussite matérielle, dans le sens où leurs conditions de vie futures seront plus stables, ils sauront se débrouiller tout seuls en France, interagir avec l’administration, prendre soin de leur santé, renouveler leurs papiers en Préfecture.
Mais notre objectif est plus large, puisque nous essayons également d’en faire des citoyens du monde, ayant envie de participer à la vie de la Cité, de donner à leur tour. Nous voulons faire en sorte qu’ils soient à l’aise avec leur spiritualité, de manière apaisée, de même qu’ils puissent continuer à se construire dans une double culture, la leur et celle de leur pays d’accueil, sans se renier, sans être clivés. Le travail d’accompagnement psychologique durant leur passage chez nous est à ce titre primordial pour qu’ils se sentent à peu près équilibrés et bien dans leur vie, et qu’ils puissent se projeter.
Notre réalité est souvent plus compliquée, par manque de moyens et du fait des pressions institutionnelles, voire des injonctions contradictoires de la part des pouvoirs publics. Les équipes peuvent parfois souffrir du décalage entre leur désir de bien faire et la réalité des difficultés rencontrées dans l’accompagnement quotidien.
Le travail avec ces jeunes est un défi à bien des égards, mais c’est également une chance pour nous, professionnels, et pour notre société. Ces jeunes nous renvoient beaucoup de choses sur ce que la société française est devenue, sur notre hospitalité, notre manière d’accueillir l’Autre. La manière dont ils observent les différences entre nos grandes valeurs « Liberté, Égalité, Fraternité », ou encore sur la laïcité et la réalité de ce qu’ils vivent au quotidien, est extrêmement riche d’enseignements. Ils nous questionnent sans forcément le vouloir sur les valeurs de la France, sur notre Histoire. Ils sont également en demande d’une véritable relation, de liens de confiance, de temps partagé.
Dans un pays en plein repli identitaire, à l’heure du consumérisme débridé (qui serait notre seul horizon et qui nous empêche de penser), dans une société qui vit de plus en plus dans le rejet de l’Autre et dans la violence symbolique et de plus en plus réelle des politiques subies, nous pouvons rêver avec eux de rebâtir un monde plus ouvert, plus solidaire et plus fraternel, bref, un monde plus humain.