Enseignant la science politique et la sociologie à l'Université Robert Schuman (Institut d'études politiques de Strasbourg), l'auteur a, en 1995, effectué une recherche pour le compte de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) en enquêtant sur les relations de guichet au sein de deux CAF dont la localisation n'est pas révélée dans cet ouvrage qui rend compte de cette investigation.
Il s'est intéressé aux identités et aux rôles sociaux qui se jouent dans les interactions entre le personnel préposé à l'accueil et les visiteurs-allocataires. Comment se régulent les tensions inhérentes à de telles rencontres ? Comment est obtenue l'acceptation des procédures et des réponses institutionnelles de la part d'une population en situation souvent précaire et de surcroît dépendante de l'institution ? Comment cette dernière, représentée par ses guichetiers, est amenée à s'adapter pour gérer des rapports sociaux qui débordent les relations purement administratives, traditionnellement routinières et formelles, standardisées et impersonnelles ?
L'intérêt de cette approche tient en grande partie à la méthode d'observation directe des pratiques professionnelles des guichetiers (22), accompagnés par l'auteur dans l'exercice même de leur face-à-face avec des allocataires (900 au total). Les propos recueillis au cours d'entretiens complémentaires tant avec les guichetiers qu'avec un certain nombre de leurs visiteurs enrichissent l'observation. Des dialogues significatifs sont restitués qui dévoilent ce qui est ressenti par les uns et les autres au cœur des relations singulières qu'ils entretiennent pour faire valoir qui l'état de ses besoins, qui l'état de la législation.
A cela s'ajoute une double analyse : celle du public fréquentant les CAF, qui s'est beaucoup transformé ces dernières années depuis qu'elles ont à gérer le revenu minimum d’insertion (RMI), et surtout celle de la profession de guichetier. Représentant de l'ordre institutionnel, ce dernier est en même temps exposé en première ligne aux difficultés de vie parfois dramatiques des allocataires, ce à quoi il n'est pas toujours préparé et ce qui induit la nécessité pour lui de savoir s'impliquer dans une compassion maîtrisée tout en se préservant des débordements toujours possibles de violence verbale, voire physique.
Il s'en dégage pour le lecteur le sentiment d'une intrusion, presque indiscrète mais hautement instructive, au cœur de ce tête-à-tête privé entre des citoyens-demandeurs et des représentants de la société, qui peuvent satisfaire leurs droits sociaux légaux mais pas enrayer les dysfonctionnements de leur propre administration ou les injustices d'une législation insuffisante.
Vincent Dubois, qui a 29 ans lors de cette recherche, fait preuve de beaucoup de finesse dans son approche de ces relations particulières et de beaucoup d'humanité dans sa manière de rapporter le vécu des personnes. Au point que le lecteur peut aussi bien s'identifier à tels ou tels guichetiers ou à tels ou tels allocataires : il peut se sentir proche des deux types de protagonistes, ce qui n'est pas le moindre mérite de cette étude.
Un livre à recommander à tous ceux qui veulent mieux connaître et comprendre tant la fonction des personnels d'accueil dans les services publics que la nature des demandes adressées à ces derniers par des citoyens en situation précaire.