Espace rural : des distances à combler

Xavier Godinot

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Xavier Godinot, « Espace rural : des distances à combler », Revue Quart Monde [Online], 177 | 2001/1, Online since 05 August 2001, connection on 19 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1612

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Monde rural

Le vingtième siècle a été marqué par l’expansion des villes. En 1906, la France comptait encore deux millions six cent mille journaliers agricoles dont beaucoup vivaient dans des conditions misérables. L’exode rural a été massif dans les pays riches comme dans les pays pauvres. Selon les projections de la division de la population de l’ONU, notre terre comptera trente-trois agglomérations de plus de huit millions d’habitants en 2015, dont vingt-sept dans les pays en développement, surtout en Asie. Les métropoles des pays les plus pauvres gonfleraient le plus, en partie par extension des bidonvilles : Lagos, Kinshasa, Dacca, Karachi, Bombay, Pékin, Manille... La lutte contre la misère sera donc de plus en plus urbaine. Mais comprendre les racines des populations urbaines les plus pauvres, renouer des liens entre les enfants errant dans les rues et leurs parents villageois nécessitera toujours une présence en milieu rural.

Partout, le monde rural a vécu des mutations irréversibles. En Europe, il ne se confond plus avec le monde agricole : en France par exemple, les agriculteurs ne composent plus aujourd’hui que 13% de la population rurale. Mais Constantina Safiliou-Rotschild montre une réalité très diverse selon les pays : ainsi, 75% des paysans en Grèce et 57% en Pologne cultivent moins de cinq hectares. L’adhésion espérée à l’Union européenne et à sa politique agricole commune provoquera un choc important pour l’agriculture polonaise, morcelée à l’extrême : certains affirment que sur deux millions d’exploitants agricoles, 700 000 pourront se maintenir dans le meilleur des cas. Combien seront rattrapés par la misère ?

L’agriculture s’est modernisée : elle n’a pas échappé au productivisme et à ses méfaits sur l’environnement et la qualité de l’alimentation, si décriés aujourd’hui. Mais Marie-Thérèse et Gérard Mouquod rappellent que des agriculteurs ont toujours résisté à l’uniformisation, et maintenu à prix fort une qualité de relation avec la nature et avec les hommes, y compris les plus défavorisés d’entre eux.

Plusieurs formes de pauvreté coexistent dans les campagnes d’Europe occidentale. A côté de la pauvreté agricole traditionnelle des petits paysans, on trouve des agriculteurs en difficulté dans des exploitations modernisées et surendettées : 7 000 exploitants agricoles bénéficient du revenu minimum d’insertion en France (RMI). Dans son état des lieux, la Mutualité sociale agricole souligne aussi la pauvreté de bien des salariés agricoles et la forte prévalence du suicide en pleine force de l’âge dans ce groupe. Philippe Sahuc mentionne également les ménages « réfugiés de la ville » qui arrivent à la campagne sans moyen et sans projet et peinent à y trouver une place. Colette et Bernard Berthet rendent compte de leurs efforts de médiation pour soutenir l’intégration dans un village d’une famille très défavorisée d’origine urbaine. Jean Augereau dit la présence séculaire en milieu rural de familles du voyage, et leurs difficultés à y trouver une activité reconnue et rémunérée.

Albert Harte et Fabien Lardinois témoignent que le logement permanent dans les campings en Belgique a représenté un espoir ou un refuge précaire pour des milliers de familles en difficulté, fuyant la cherté des villes. Mais les politiques actuelles de revalorisation des espaces de loisir ont tendance à considérer les plus pauvres comme des gêneurs et à les chasser. Ainsi sont-ils à nouveau acculés à une itinérance entre ville et campagne qui n’a jamais vraiment cessé.

Nombreuses sont les initiatives prises pour combattre la pauvreté en milieu rural. Elza Chambel évoque le programme national de lutte contre la pauvreté mis en œuvre au Portugal. Pierre Mainguy décrit la mobilisation des énergies dans une action de développement local en Haut-Anjou. Josette Rannou, Nathalie Gendre et une mère de famille qui a préféré garder l’anonymat évoquent l’action culturelle menée par les membres d’ATD Quart Monde dans le canton d’Antrain, en Bretagne : pré école familiale, ateliers d’écriture, renouvellement de la coutume des réunions conviviales pour développer l’amitié entre les gens. Les distances géographiques ou culturelles représentent pourtant un obstacle considérable à la participation des habitants comme le rappelle Michel Lahogue, maire d’Antrain.

L’expérience et les réflexions de Vincent et Fanchette Fanelli, qui ont choisi il y a cinq ans d’habiter dans les Appalaches, ouvrent à une compréhension plus fine de ce que la présence et l’action en milieu rural peuvent apporter de spécifique à la lutte contre la misère. Cette région des Etats-Unis présente certaines caractéristiques des pays dits « sous-développés ». Y découvrir et y rencontrer les familles les plus pauvres nécessite beaucoup de temps et d’inventivité. Agir avec elles sans les stigmatiser ne peut se faire qu’avec l’accord de la communauté, où tout le monde se connaît. Prendre le temps de créer cet accord sur la manière de promouvoir ensemble la liberté, la justice et la paix, c’est se donner des antidotes contre toutes les formes perverties de la relation d’aide que furent l’assistance condescendante, le paternalisme, le colonialisme, etc. Parce qu’elles sont beaucoup plus soumises au regard de tous qu’en milieu urbain, la présence et l’action en milieu rural incitent à se comporter comme membre partenaire d’une communauté humaine. En ce sens, la vie en monde rural demeure une bonne école de formation pour tous.

CC BY-NC-ND