Le canton d’Antrain, situé non loin des côtes normandes et bretonnes, s’inscrit dans une belle région. Aucune ville n'exerçant de véritable « pôle », les dix communes se sont regroupées en une communauté de communes. Ici comme dans beaucoup de zones rurales, la population a diminué en même temps que l’emploi dans l'agriculture, l'artisanat ou le commerce. Elle vieillit. L’insuffisance des transports en commun pèse sur les personnes en grande pauvreté en les privant des moyens de rompre l'isolement et de participer à la vie alentour.
En réponse aux trop nombreux échecs scolaires, une zone d'éducation prioritaire a été créée en 1980. Supprimée en 1988, elle a eu le mérite de permettre une réflexion commune entre collèges, écoles, mairies, services sociaux, associations... Depuis 1990, six bibliothèques municipales ont été ouvertes pour dix communes. La vie associative est principalement développée en direction des activités sportives.
Dix ans de présence d’ATD Quart Monde et la préoccupation de divers partenaires génèrent aujourd’hui une réflexion commune pour proposer des actions qui bénéficieraient à tous, par exemple dans le domaine du transport.
Un atelier d’écriture
L’atelier d’écriture a été créé en 1995 par une équipe d’ATD Quart Monde et par des enfants eux-mêmes qui ont invité leurs camarades à y participer et ont aussi sollicité leurs parents.
Il rassemble des enfants de tous milieux et de tout le canton dans les bibliothèques, le mercredi après-midi, et des jeunes pendant les vacances scolaires. Ils ont le soutien d’un écrivain pour écrire. En complément, un atelier de gravure a rassemblé les enfants dans un collège avec le professeur d’art plastique.
L’équipe a régulièrement visité les parents, les invitant à des rencontres, des fêtes. Grâce à un album photo, mis à leur disposition, ils pouvaient suivre l’évolution de l’atelier.
Certaines caractéristiques du milieu rural peuvent constituer des freins ou devenir des chances.
Ainsi ce constat : « Tout le monde se connaît. » Voilà qui freine lorsque la réputation, bien ancrée, empêche de casser la souffrance de l’isolement. Voici une chance quand l’école, par exemple, sert de tremplin à tous les enfants pour des actions culturelles ou encore quand les enseignants, intégrés à la vie du village, sont plus facilement abordés...
« Quand on n’a pas de voiture, on ne peut pas participer », ou « Quand on ne peut pas rendre, on n’ose pas demander. » Pourtant, le transport organisé pour une action prolonge celle-ci. On se parle librement dans la voiture, on rencontre les parents en allant chercher les enfants. Loin d’être perdu, ce temps approfondit la connaissance et la compréhension.
L’histoire de Julie
Julie Martin habite avec ses parents à quelques kilomètres du bourg au bout d’un chemin sans issue, dans une ancienne maison de pierre sans aucun confort.
Sans moyen de locomotion, sans téléphone, la famille vit dans un très grand isolement.
Les parents font des travaux saisonniers (ramassage de pommes de terre, de fruits...) Parfois, ils obtiennent un travail plus long mais exigeant une résistance physique qu’ils n’ont pas.
M. Martin a connu le Mouvement ATD Quart Monde en 1992 grâce à la directrice de l’école. Trois ans plus tard, il accepte que quelqu’un vienne faire du colportage de livres chez lui. Julie a alors 8 ans, elle a des soucis dans l’apprentissage de la lecture, mais elle a envie d’y arriver. Elle est soutenue par l’institutrice qui encourage les parents également.
Julie a le souci de sa famille. Pendant le colportage, elle se met parfois à faire la vaisselle, le ménage... pour que sa mère n’ait rien à faire en rentrant du travail. Ensuite, elle est disponible pour lire pendant des heures...
Le colportage n’est qu’une étape pour prendre confiance et pouvoir participer à des actions avec d’autres.
L’équipe de colportage propose à Julie de venir à un atelier-conte à la bibliothèque municipale. Mais elle vit le moindre regard de manière agressive et perturbe le groupe qui n’est pas prêt non plus à l’accueillir. L’équipe a brûlé les étapes.
Elle essaye de nouveau une action collective, mais cette fois dans un cadre plus propice pour Julie : elle emmène cinq enfants à Fougères, une ville située à une trentaine de kilomètres. Il s’agit de participer à la décoration d’un bus destiné au Burkina Faso. Là, une connivence se crée entre Julie et une autre fille de son école, grâce au « faire ensemble » et au temps de transport où elles bavardent, rient... Sa mère participe à la fête d'inauguration de ce bus, une occasion de découvrir Fougères où elle n'était jamais allée.
En 1996, Julie présente dans son école l’atelier d’écriture (alors qu’elle n’y participe pas encore) et explique aussi la peinture réalisée sur le bus pour le Burkina Faso. Elle est tellement enthousiaste qu’elle suscite chez certains l’envie de s’inscrire.
En 1997, elle a enfin l’âge de participer. Il faudra malgré tout un an avant que Julie écrive un texte personnel.
Dans l’atelier, les enfants s’aident et se respectent. Julie, rassurée, se fait des amies. Elle peut alors exercer ses dons de mise en relation, de service. Elle devient une messagère de l’atelier, recrute, introduit les enfants, les guide, se soucie que l’équipe aille voir tels parents dont l’enfant veut participer. Ainsi elle fait venir des camarades de tous milieux sociaux comme Vincent et Pierre.
Quand le livre Lorsque je te tiens la main1, aboutissement de l’atelier, est édité, le père de Julie lit avec fierté le texte de sa fille.
En février 1999, l’équipe va avec 21 enfants présenter cet ouvrage aux Journées du Livre contre la misère organisées à La Villette (Paris). Julie est de la délégation. Si elle ne s’exprime pas lors de la présentation, elle est très présente à l’atelier- gravure, montrant aux visiteurs comment faire.
Au retour, elle a du mal à exprimer ce qu’elle ressent, ce qui lui fait dire en un premier temps que c’était nul ! Puis avec Vincent, elle prépare le compte rendu de ce voyage pour son école, et plusieurs enfants viennent à l’atelier à la suite de leur intervention.
A la fête organisée pour la sortie du livre, M. Martin vient avec ses enfants. Il parle avec le père de Vincent, c’est nouveau pour lui. Julie est très fière d’y voir aussi une institutrice de son école. A Noël 1999, son père nous parle d’une famille très isolée, Julie a déjà parlé de l’atelier à Caroline, l’un des enfants. Celle-ci y vient peu après.
Enfin Julie participe à l’atelier-conte de la bibliothèque municipale et cela se passe bien…
Le colportage à domicile a permis aux enfants et à leurs parents de participer à la vie de la commune.