« Libérés de la terreur et de la misère... »

Eugen Brand

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Eugen Brand, « « Libérés de la terreur et de la misère... » », Revue Quart Monde [En ligne], 180 | 2001/4, mis en ligne le 01 juin 2002, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1815

Alors que passent et repassent encore sous nos yeux les images des Twin Towers qui s’écroulent, alors qu’une riposte armée « s’allie » avec une aide humanitaire, nous ne pouvons pas ne pas questionner notre mémoire. Le 10 décembre 1948, au Palais de Chaillot à Paris, sous l’impulsion d’une poignée de femmes et d’hommes déterminés à ce que l’égale dignité ne soit plus jamais niée à aucun être humain, la communauté des nations a adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme. Son préambule affirme : « L’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme. »

A vrai dire, la terreur a toujours continué à se manifester sous diverses formes en de nombreux points du globe mais aujourd’hui elle semble franchir un nouveau palier en ayant recours à des moyens destructeurs plus performants et en se mondialisant. Tandis que perdure la misère, l’autre fléau fratricide qui empêche des êtres humains de participer et de croire en un avenir. N’a-t-on pas trop longtemps ignoré le combat à mener simultanément contre la terreur et la misère ? Et, pour ce que nous en pressentons à travers l’actualité, le risque est grand qu’une fois encore nous fassions la même erreur : nous croire capables de décourager toute forme de fanatisme sans nous attaquer ensemble à la misère.

Le 17 octobre 1987, lors de l’inauguration de la Dalle à l’honneur des victimes de la faim, de l’ignorance et de la violence, scellée sur le Parvis des libertés et des droits de l’homme – là même où la Déclaration universelle a été signée – nous avons proclamé notre refus de la misère parce qu’elle est une atteinte à notre dignité commune et une « violence faite aux pauvres ». En nous le rappelant, Joseph Wresinski écrivait : « Seul est misérable l’homme qui se trouve écrasé sous le poids de la violence de ses semblables. Il est celui sur qui s’acharne le mépris ou l’indifférence, contre lesquels il ne peut se défendre. [...] Cette violence emprisonne le pauvre dans un engrenage qui le broie et le détruit. » La réponse ? Elle est dans la « violence de l’amour » à laquelle « nous sommes voués, les uns et les autres, que nous le voulions ou non, du fait que nous sommes véritablement des hommes et que nous avons pris conscience qu’aucun autre homme ne peut jamais nous être étranger ou ennemi1 ».

Jour après jour, dans les quartiers arpentés par les équipes d’ATD Quart Monde, s’élève cet appel à être considéré comme un être humain, comme un frère, comme un égal en dignité et en droits. Encore faut-il que nous le captions, que nous le méditions, que nous nous en imprégnions.

Ainsi, du Burkina Faso, Claude Heyberger nous écrit : « L’Afrique est abandonnée à d’autres catastrophes au quotidien et durablement. Les morts d’ici n’ont pas l’air d’avoir la même importance qu’ailleurs. Pourtant ceux d’ici, qui sont nombreux et pour des causes non moins injustes, nous appellent, au-delà de toute émotion et mise en œuvre de moyens immédiats, à quelque chose de bien plus difficile à réaliser dans nos politiques à long terme : ils nous appellent à vivre autrement ensemble. »

Dans un quartier de Caen, en France, des familles marquées par l’injustice du placement de leurs propres enfants se soucient ainsi de la souffrance des victimes : « Que vont devenir les enfants qui ont perdu leur maman, leur papa, un des leurs sous les décombres des tours ? Où trouveront-ils assez de confiance pour aller de l’avant avec tout cela dans leur cœur ? »

De l’Ile de la Réunion, Sylvianne Richard nous confie : « Ici, les familles parlent entre elles de ce qu’elles ont vu à la télévision. Tout le monde sait que l’Amérique a été frappée et blessée, tout le monde sauf peut-être Monsieur R. et Madame M. parce qu’ils n’ont pas la télévision et qu’ils sont toujours à l’écart dans leur case. On pourrait penser qu’ils ne comprennent pas ce qui se passe et que pour cette raison ils ne disent rien... Mais peut-être ont-ils saisi un bout de conversation dans une ruelle ou dans une boutique ? Peut-être savent-ils après tout que l’Amérique est blessée... et font-ils silence devant la douleur ? »

Pour répondre à « la plus haute aspiration de l’homme », un long travail nous attend : pouvoir connaître et comprendre ce qui peut permettre à des hommes et des femmes, où qu’ils soient, d’être libérés de la terreur et de la misère. Ainsi armés, nous agirons autrement.

Une enfant :

La paix que je vois là-bas, à qui est-elle destinée ? A lui ? Elle ? Nous ? Vous ? Toi ? Moi ?

Oui, oui, oui, à tout le monde, même à ceux qui ne la désirent pas.

Emilie (France)

Extrait de La lettre de Tapori, octobre 2001.

1 1. N°39-40 de la Revue Igloos, 1968.

1 1. N°39-40 de la Revue Igloos, 1968.

Eugen Brand

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