Matteo est mort

Rédaction de la Revue Quart Monde

Citer cet article

Référence électronique

Rédaction de la Revue Quart Monde, « Matteo est mort », Revue Quart Monde [En ligne], 186 | 2003/2, mis en ligne le 01 novembre 2003, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1934

Quand les journaux révèlent des « drames de la misère », leurs lecteurs savent-ils lire la violation des droits, l’injustice, la souffrance ? La question est posée par tous les Matteo du monde et leurs parents...

Dans la nuit du 31 décembre 2002 au 1er janvier 2003, un bébé de quatre mois, Matteo, meurt de déshydratation et peut-être aussi de dénutrition, dans l’un des quartiers les plus pauvres de Turin, La Falchera. Le couple Santamaria a trois autres enfants. Madame Santamaria est aussi mère de quatre enfants, issus d’un mariage précédent, tous placés.

La famille vivait - semble-t-il - dans l’indigence, avec le seul salaire du père : un revenu minime puisque ses huit heures de travail quotidien venaient d’être réduites à trois heures et son salaire en conséquence. Les allocations familiales n’existent pratiquement pas en Italie. Le père avait réparé comme il avait pu le thermostat cassé d’un radiateur de fortune branché clandestinement, l’électricité ayant été coupée plusieurs semaines auparavant. La température à l’intérieur du logement dépassait les trente degrés, alors que le thermostat indiquait 22.

Les parents ont été immédiatement inculpés pour homicide. Les scellés ont été posés sur l’appareil de chauffage, mais l’accès au logement a été laissé libre, sauf la nuit, à cause du possible danger. Selon les dires du curé de La Falchera rapporté par La Stampa1, « le substitut du procureur s’est présenté l’autre soir avec quelques policiers armés et a obligé les Santamaria à quitter le logement. Par chance, un de nos diacres était présent, et à ses frais, les a accompagnés à l’hôtel. Sans cela, ils auraient atterri au milieu de la rue ». Depuis, la commune de Turin a pris la famille en charge dans un hôtel, jusqu’à la fin de l’enquête.

Le 3 janvier, La Stampa se demande comment des faits pareils peuvent se produire dans une grande cité du nord de l’Italie, au moment même où l’on dépensait tant d’argent pour les fêtes de fin d’année. Le quotidien annonce que le substitut du procureur, « cherche maintenant à savoir si les assistants sociaux qui suivaient la famille Santamaria ont vraiment fait tout ce qui était possible pour éviter la tragédie ». Au même moment, il envisagerait de requalifier l’inculpation des parents en « maltraitance », « ce qui, non seulement aggraverait leur situation juridique personnelle, mais accélèrerait le placement des trois autres enfants ».

L’élargissement de l’enquête vers la recherche d’autres responsables que les seuls parents a créé immédiatement une polémique entre le procureur et les services sociaux. L’adjoint au maire chargé des affaires sociales déclare « ne pas vouloir devenir un bouc émissaire ». « Face à un tel fait, il y a toujours le doute de ne pas en avoir fait assez, déclare-t-il, mais je peux affirmer que la commune n’a jamais abandonné la famille Santamaria ». La Stampa parle du « rapport problématique » que la famille entretenait avec les services sociaux depuis qu’ils avaient placé les enfants du premier mariage : la maman, devenue méfiante, craignait qu’ils puissent aussi placer les enfants issus de son second mariage. « Avec les assistants sociaux, les rapports n’étaient pas fréquents, explique la responsable des services sociaux dans la zone, mais nous avons toujours réussi à suivre de manière correcte les enfants à travers la consultation pédiatrique de la circonscription, et pas seulement sur le plan médical » L’adjoint au maire révèle qu’à la mi-octobre, la commune et la sécurité sociale avaient envoyé un signalement au tribunal des mineurs, pour faire savoir que la famille Santamaria, bien que se trouvant dans une situation difficile, refusait d’établir un rapport stable avec les travailleurs sociaux. Aucune réponse ne leur a été donnée à ce jour. La Stampa conclut en donnant la parole au procureur de ce tribunal des mineurs qui invite à la prudence : « Des situations de détresse comme celles dont nous parlons aujourd’hui sont malheureusement récurrentes. Il faut cependant faire attention à ne pas donner des explications ou des jugements hâtifs. La mort de Matteo peut être un cas d’incurie ou de négligence mais aussi un acte d’inconséquence de la part des parents. Avant de parler, attendons les développements de l’enquête ».

Le 4 janvier, La Stampa annonce que la maman du bébé mort est accueillie dans une communauté avec ses trois filles. Quant au père, il devra se débrouiller de son côté, mais il peut voir les siens chaque jour. Les parents ont accepté cette solution (s’ils ne l’avaient pas fait, elle aurait été exécutée manu militari par les carabiniers). Les juges ont chargé les services sociaux de mettre en place un accompagnement de la famille et de soumettre les parents à une série de tests psychologiques destinés à vérifier leur capacité parentale. Les conjoints sont convoqués au tribunal ultérieurement. Le procureur, en plus de l’incrimination d’homicide involontaire, entend inculper les parents pour maltraitance - ce qui en ce cas mortel, peut leur valoir une peine de douze à vingt ans de prison. Il poursuit aussi ses investigations sur les éventuelles négligences des services sociaux.

A la mi-janvier, La Stampa consacrait encore quelques lignes à Matteo et aux siens. D’abord pour rendre compte d’un vif débat lors du conseil municipal, l’opposition exploitant l’affaire pour attaquer la majorité. Quelques lignes encore le 18 janvier, signalant l’hospitalisation de la plus jeune des sœurs de Matteo, atteinte d’anémie. Depuis, plus rien. Que sont devenus les Santamaria ? Sont-ils retournés à la Falchera ? Sont-ils toujours séparés ? Ont-ils été déférés devant la justice ? Le lecteur ne le saura pas. Le temps de l’indignation est passé. L’affaire Matteo n’est plus une affaire digne d’intérêt. Le temps de l’émotion est passé. Le silence est retombé et les projecteurs se sont éteints.

Retraçant le récit tel que nous l’avons suivi dans la presse, nous revenait en mémoire les visages de monsieur et madame Planque 2, cette famille du nord de la France, et son histoire analogue. Le père Joseph Wresinski, (ainsi qu’il l’avait fait pour Sylvie Joffin, accusée d’avoir laissé mourir ses deux enfants), s’était porté au secours de cette famille. Non pas pour dénier la part de responsabilité qui pouvait être la sienne, mais pour faire comprendre et reconnaître qu’il était trop commode et vraiment injuste de faire porter tout le poids de la responsabilité sur des parents à qui n’avaient jamais été assurés les droits les plus élémentaires, ces droits qui seuls permettent d’assumer ses responsabilités.

Des années plus tard, les Santamaria et leur petit Matteo, victimes de la misère, nous rappellent que contrairement à ce que nous pensons spontanément, il ne faut pas d’abord assumer ses responsabilités pour « mériter » ses droits : il faut avoir accès à ses droits pour pouvoir assumer ses responsabilités.

1 La Stampa, « Torino Cronaca », janvier 2003.

2 La revue Igloos n°110, « pour une politique de la responsabilité collective »

1 La Stampa, « Torino Cronaca », janvier 2003.

2 La revue Igloos n°110, « pour une politique de la responsabilité collective »

Rédaction de la Revue Quart Monde

Articles du même auteur

CC BY-NC-ND