«Haïti chérie !»

Eugen Brand

Translation(s):
Haiti in unseren Alltag einbinden

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Eugen Brand, « «Haïti chérie !» », Revue Quart Monde [Online], 205 | 2008/1 et 2, Online since 05 November 2008, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1987

Organiser en Haïti, un pays en proie à la souffrance, isolé et mal compris de la communauté internationale, un colloque international consacré à l’actualité de la pensée du père Joseph Wresinski pouvait sembler incongru, inapproprié, voire même déplacé. C’est pourtant ce qu’ont voulu, de toutes leurs forces, les amis du Mouvement ATD Quart Monde dans le pays, les familles, les volontaires, les partenaires avec qui ils sont en lien. Terrées dans la peur à Martissant, à Bolosse, à Grande Ravine, dans ces quartiers déchirés de Port-au-Prince par la violence, ces familles voulaient, avec l’aide des volontaires et des amis du Mouvement, que leur courage, leur expérience de vie, leur résistance tout au long de ces années d’épreuve, ne manquent pas le rendez-vous de l’avenir : qu’ils soient présents au moment où le gouvernement, les institutions, les penseurs cherchent à prendre en main l’avenir du pays.

Prenant appui sur cette histoire, ce colloque, qui a eu lieu à la fin du mois de février 2008, a offert à ce pays déchiré un espace de rencontre crédible et légitime aux yeux de tous.

Un espace de rencontre qui rend d’abord hommage à tous « ces hommes et femmes, traités hier en esclave par les puissants et qui dans leur cœur ont affirmés qu’ils étaient des êtres humains. »1

Un espace de rencontre porté par une conviction partagée entre personnes hors université et dans l’université que les plus pauvres ne s’en sortiront pas tant qu’ils ne seront pas accueillis à égalité là où se réfléchit et se décide l’avenir de tous les citoyens.

La conjoncture était difficile : proclamée comme un objectif général et prioritaire, la lutte contre la pauvreté menace sans cesse de se transformer en une lutte féroce contre les très pauvres. Le savoir et la culture, outils de la libération des hommes, travaillent trop souvent à l’inégalité et à la création de l’exclusion. Les lois du marché s’imposent aux droits de l’homme, les valeurs marchandes prennent le pas sur les valeurs éthiques qui fondent notre humanité. A l’image du monde entier, Haïti est déboussolée.

Quelle est donc cette démocratie où l’économie, l’écologie, la paix, le développement durable, la culture se réfléchiraient enfin avec les plus pauvres, se sont interrogés les participants au colloque ? Elle n’existe pas. Elle est à inventer, à bâtir, par nous-mêmes et avec les autres.

Face à un tel défi, les participants ont réaffirmé la nécessité absolue d’une alliance entre ce temple du savoir et de l’intelligence qu’est l’université et le monde de la misère. Nous savons le défi que cela représente, car l’université se présente à nous comme le contraire du monde de la misère : « L’université, disait le père Joseph Wresinski, c’est l’homme maîtrisant les lois de la nature. La misère, c’est l’homme maîtrisé, l’homme opprimé par la nature, la matière et les autres hommes. »2

Haïti, terre forgée par la capacité de savoir dire non à l’inacceptable, terre qui aspire tellement à la paix et à la solidarité, terre en quête d’une vraie participation à la transformation du monde, terre qui recèle un grand savoir universitaire, a compris la radicalité de la vie, du combat et de la pensée du père Joseph Wresinski, l’a accueillie et nous permet aujourd’hui de mieux la comprendre.

Intervenant au Colloque, Michèle Pierre Louis, directrice de la Fokal3, déclarait : «Joseph Wresinski nous fait comprendre que les plus pauvres sont d’abord et toujours des êtres humains, comme nous tous ! Capables d’aimer, de haïr, de souffrir, de penser, capables du meilleur comme du pire. Ils ne sont pas différents de nous ! Par contre, ce qu’il faut comprendre, et c’est là aussi toute la pertinence de la réflexion philosophique de Wresinski, c’est l’effet et l’impact de la condition d’extrême pauvreté sur ceux qui la vivent, sur les êtres humains qui sont dans ces conditions d’extrême précarité. Cette compréhension ne peut venir effectivement que d’une rencontre. Elle ne peut pas être abstraite. C’est cette rencontre qui créera les passerelles, les ponts, les avenues dont mon pays a besoin et déterminera les interventions, les initiatives et les actions pour refonder la démocratie avec tous. C’est là pour moi, l’horizon philosophique le plus important de la pensée et de l’action du père Joseph Wresinski. »

Une participante au colloque, au moment de son évaluation, nous confiait:

« Je ne savais pas ce que c’était un colloque. C’est un mot formidable. Un mot pas trop petit pour dire les pauvres. Ces années passées, c’était comme si Port-au-Prince avait la tête en bas. Ce colloque, c’était Haïti avec la tête en haut.

J’étais fière de mon pays, il était bien là. C’était comme une manifestation, une révolution, comme un chant au cœur du pays. Au colloque toutes les couches sociales se sont retrouvées, les gens reprennent confiance. On va pouvoir redire « Haïti chérie ! ».

1 Extrait du message laissé, en novembre 1987, par le père Joseph Wresinski, dans le livre d’or de la Maison des Esclaves sur l’Ile de Gorée, au
2 Cf. « Echec à la misère », conférence à la Sorbonne, 1er juin 1983.
3 Fokal : Fondation Connaissance et Liberté Haïti, www.fokal.org
1 Extrait du message laissé, en novembre 1987, par le père Joseph Wresinski, dans le livre d’or de la Maison des Esclaves sur l’Ile de Gorée, au Sénégal.
2 Cf. « Echec à la misère », conférence à la Sorbonne, 1er juin 1983.
3 Fokal : Fondation Connaissance et Liberté Haïti, www.fokal.org

Eugen Brand

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