La plus grande opération de légalisation d’étrangers séjournant clandestinement sur le territoire de la Belgique s’est déroulée du 10 au 31 janvier 2000.Pendant ces trois semaines, les personnes concernées ont pu déposer dans la mairie de leur domicile un dossier de demande, qui sera soumis à une Commission chargée de faire respecter les quatre critères de régularisation prévus par la loi. Les réfugiés déboutés seront immédiatement expulsables. Certains ont donc préféré ne pas déclarer leur adresse et ne pas déposer de demande pour ne pas risquer l’expulsion.
En Belgique, comme en bien d’autres pays d’Europe, des dizaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants vivent depuis des années sans aucun droit, corvéables et expulsables à merci. Depuis les femmes de ménage polonaises des quartiers chics jusqu’aux plongeurs marocains des arrière-salles de restaurants, en passant par les ouvriers du bâtiment, qui n’en connaît pas ou n’a pas bénéficié de leurs services bon marché ? Voilà un exemple manifeste d’aveuglement collectif sur les violations flagrantes des droits de l’homme qui arrangeait tout le monde, et notamment les employeurs.
En février 1999, un événement a provoqué un électrochoc dans l’opinion publique. Une jeune Nigériane, Sémira Adamu, refusant de monter dans l’avion qui devait l’expulser en Afrique, est morte étouffée sous les coussins de la police. Les réfugiés eux-mêmes, les associations de soutien diverses, les organisations syndicales se sont mobilisés pendant des mois et ont enfin obtenu du gouvernement une opération de régularisation. C’est donc l’engagement et la mobilisation civique qui ont fait progresser la lutte contre l’exclusion et la misère.
Selon le ministre de l’Intérieur, plus de 33 000 dossiers de régularisation ont été déposés au cours du mois de janvier. Ces dossiers représentent 50 000 personnes, dont 23 000 enfants. 23 000 enfants dont les parents n’ont droit ni à un travail reconnu, ni à aucune protection sociale. Cela en dit long aussi sur l’importance de l’économie souterraine, des trafics, des combines et du travail au noir qui ont permis à tous ces gens de survivre et à d’autres de s’enrichir.
La tolérance du pays à des situations de non-droit connues de tous a perpétué la misère et je voudrais évoquer la situation d’une famille réfugiée roumaine que j’ai aidée à constituer son dossier. Il s’agit d’une famille d’origine gitane : les parents ont fui les persécutions en Roumanie, et sont venus ici pour sauver leur vie. Ils ont moins de 30 ans, 7 enfants âgés de 3 à 14 ans, et vivent tous dans 3 pièces. Bien que les parents soient apatrides, et donc inexpulsables, et malgré l’aide d’un avocat qui se fait payer très cher, ils n’ont pas réussi, depuis cinq ans qu’ils sont en Belgique, à faire régulariser leur situation. Ils n’ont donc droit ni à l’aide sociale, ni au minimex (revenu minimum) mais les enfants sont scolarisés. Voici comment le papa explique les raisons de sa venue en Belgique :
« J’ai décidé de quitter mon pays pour sauver ma vie, celle de ma femme et de mes enfants. La police roumaine a blessé mon fils à l’épaule avec une baïonnette. On voit toujours la cicatrice. Ma femme a fait une fausse couche après avoir reçu des coups de pied de la police. A l’époque, nous habitions une maison à Timisoara dans un quartier mélangé où habitaient des tsiganes et des non tsiganes. J’avais un “ magasin général ” d’environ dix mètres carrés où je vendais de tout. La police a tout détruit : elle a jeté la marchandise par terre, cassé les bouteilles et m’a frappé parce que je suis tsigane. Mes enfants n’avaient pas le droit d’aller à l’école car les tsiganes sont mal regardés en Roumanie.
En Roumanie, ceux qui ne sont pas tsiganes -les gadgé- ne nous aiment pas. Ils disent que notre pays est l’Inde et que nous devons retourner là-bas. Avant de faire du commerce, j’avais déjà des problèmes : ils me donnaient des coups de pied, me crachaient dessus, rentraient dans ma maison...
On n’est pas des vagabonds, on n’est pas venu pour toucher le CPAS mais pour sauver notre vie. Pour faire vivre la famille, je vends des journaux dans la rue. Mes enfants ont décidé de me donner un coup de main et d’aller mendier pour m’aider à les nourrir, à payer le loyer de 12 000 francs par mois. Ce n’est pas moi qui leur ai demandé car c’est une grande honte pour eux.
Ce qui nous gêne le plus pour l’intégration de la famille en Belgique, c’est que je ne peux pas avoir un vrai travail parce que depuis cinq ans, je n’arrive pas à obtenir que notre situation de réfugiés soit régularisée ».
Tout le monde en Belgique se plaint de l’augmentation de la mendicité dans les rues, mais tout est sciemment organisé pour que cette famille n’ait aucune autre source de revenu : comment ne pas être révolté devant une telle hypocrisie collective ?