Le droit d’habiter quelque part

Agnès Dumas Bonkoungou

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Agnès Dumas Bonkoungou, « Le droit d’habiter quelque part », Revue Quart Monde [En ligne], 207 | 2008/3, mis en ligne le 05 mars 2009, consulté le 18 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2389

Pourquoi le Mouvement international ATD Quart Monde s’est-il saisi, en 2006, de l’instrument de la réclamation collective auprès du Conseil de l’Europe ? Avec deux militantes de ce mouvement, Sandrine Plumerez et Martine Payen, Agnès Dumas s’en est expliqué devant des défenseurs des droits de l’homme réunis en forum à Nantes en juillet 2008.

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Habitat, Logement

La réclamation collective déposée par le Mouvement ATD Quart Monde avait pour objet de faire constater la non-application par la France des engagements énoncés aux articles 16, 30 et 31, lus en combinaison avec l’article E, partie V, de la Charte sociale européenne révisée concernant le droit au logement des personnes vivant dans une situation de grande pauvreté. Il s’agit de :

* l’article 16 : droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique ;

* l’article 30 : toute personne a droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale ;

* l’article 31: toute personne a droit au logement ;

* et de l’article E, partie V : principe de non-discrimination.

L’article 16 n’a pas été examiné par le comité des droits sociaux. Il a considéré que ce n’était pas nécessaire, l’article 31 ayant été étudié en profondeur et les violations établies : les procédures d’expulsion et leur mise en œuvre, l’insuffisance de logements à prix accessible et les modalités d’attribution des logements sociaux aux personnes les plus pauvres ont été épinglées par le comité. Celui-ci a reconnu que la France avait effectivement adopté des textes censés permettre l’accès de tous au droit au logement. Il a cependant constaté que ces textes ne sont pas appliqués de manière convenable et déterminée. Aucune ambition de résultat à nos jours.

Le rapport adressé au conseil des ministres fait suite à deux requêtes ou réclamations collectives introduites par deux organisations internationales non gouvernementales, dont ATD Quart Monde, sur la base de diverses situations d’exclusion durable du droit fondamental au logement à cause de l’extrême pauvreté à travers la France : celles de trois groupes de familles dans le Val d’Oise (Herblay), dans le Bas-Rhin (Kaltenhouse) et en Seine-Saint-Denis (Noisy-le-Grand).

« Sans un logement, tu n’existes pas »

Bâtie à partir de l’expérience de nombreuses familles en situation de grande pauvreté, et en dialogue étroit avec elles, la réclamation déposée par ATD Quart Monde entendait illustrer le caractère indivisible des droits de l’homme en mettant en évidence l’impact du non-accès à un logement digne sur les personnes et les familles concernées et sur leur accès à l’ensemble des autres droits. D’autres familles, habitant à Lille, Reims, Saint-Ouen-l’Aumône, Pézenas et Strasbourg, ont également apporté leurs témoignages et offert leur solidarité. Certaines d’entre elles sont sans logement depuis plusieurs décennies.

L’absence de logement a de nombreuses conséquences sur les liens familiaux et les relations externes de la famille, sur la capacité à trouver ou à maintenir un emploi, sur la santé, sur la scolarité des enfants qui peut être perturbée, aléatoire, discontinue, ce qu’une personne résume ainsi : « Sans un logement, tu n’es rien, tu n’existes pas. »

Des enfants nés dans des conditions sordides

Dans certains départements, peu de moyens ont été dégagés pour procéder à la connaissance des publics prioritaires. Ainsi, les évaluations successives et officielles effectuées dans le Bas-Rhin mettent en évidence l’insuffisance de la connaissance des besoins, la méconnaissance de la triple problématique du logement insalubre, du logement indigne et du logement non décent à l’échelle du département, l’amélioration nécessaire de la connaissance du public. A Kaltenhouse, commune de moins de deux mille habitants, environ cent cinquante à deux cents personnes propriétaires vivent sur un lotissement avec des maisons bâties sur un terrain communal. Et sur un terrain d’aviation, environ quatre-vingts à quatre-vingt dix personnes vivent sur un terrain non constructible, d’accès difficile, non raccordé au réseau d’assainissement, sans eau ni électricité. Ces familles attendent depuis de longues années une proposition de logement digne. L’abandon dans lequel elles ont été laissées rend leur relogement chaque jour plus complexe. Deux générations d’enfants sont nées dans des conditions sordides au vu et au su de tous. Ces familles ont demandé un relogement à la mairie, d’abord seules, puis devant le refus d’être prises en compte, avec l’appui des associations. En 1996, le Mouvement ATD Quart Monde était à leurs côtés pour demander un relogement, sans plus de résultat. Le comité Kaltenhouse Droits de l’Homme a tenu une réunion toutes les six semaines environ depuis mars 2 000 jusqu’à ce que ces familles soient enfin entendues en 2005. Le gouvernement français relève que « des solutions sont recherchées localement, avec l’appui de l’Etat, mais peuvent rencontrer de grandes difficultés de mise en oeuvre ». Un tel constat d’échec révèle l’impuissance de l’Etat. Celui-ci ne dispose pas de moyens légaux pour imposer une solution face à la mauvaise volonté d’une municipalité. Si quelques avancées ont finalement été obtenues, elles sont dues à la volonté personnelle du nouveau sous-préfet qui a considéré ce dossier difficile comme une question touchant aux droits de l’homme et lui a accordé une priorité absolue.

« Une insulte à la personne humaine »

Le groupe de vingt-trois familles d’Herblay comptait en 2004 quarante-deux adultes et cinquante-trois enfants, tous jugés et condamnés par le tribunal de grande instance de Pontoise le 22 novembre 2004 à une expulsion sans relogement. Jugement qui sera confirmé par la cour d’appel de Versailles en octobre 2005. L’ensemble de ces ménages a été condamné à évacuer tout véhicule et à détruire toute construction sur les zones concernées dans un délai de trois mois, avec une astreinte de soixante-dix euros par jour de retard. Passé ce délai, le tribunal a offert à la commune la possibilité de faire procéder à l’évacuation des terrains et à la démolition des constructions illicites en recourant, si besoin, au soutien de la force publique.

Le tribunal de grande instance n’a par contre rien prévu quant au devenir de ces personnes, à leur relogement et à leur désir d’une solution négociée. Une médiation judiciaire demandée a été refusée. Seul le préfet, lors d’une rencontre avec les familles, a assuré qu’aucun recours de la force publique ne serait accordé avant la fin de la période hivernale, même s’il s’agit d’habitat en caravane.

Madame Michèle Périoche vit encore sur ce terrain où elle est condamnée à l’expulsion par le tribunal de Pontoise depuis novembre 2004. Elle résiste et dit : « Je ne sais vraiment pas où aller. Je ne réclame qu’un terrain familial à louer ou à acheter pour mettre ma caravane. Je tiens à garder mon mode de vie en caravane sur un terrain où on n’aura plus le droit de m’expulser. » A cette date, ce terrain reste introuvable pour cette famille qui ne dispose que d’un faible revenu. En octobre 2005, la cour d’appel de Versailles confirme la décision d’expulsion avec octroi de concours de la force publique, si nécessaire. Mais le préfet n’accorde pas le concours de la force publique au maire de la commune. Le 18 octobre 2006, madame Périoche disait ceci : « Ma grand-mère était au camp d’Auschwitz. Notre famille a fait la guerre comme tout le monde et maintenant, on veut nous mettre dehors ! Ce qu’on vit, c’est une insulte à la personne humaine... On ne vit plus. On a peur... Qu’est-ce qu’on va devenir ? »1

D’humiliations en humiliations

Toutes ces familles se trouvent humiliées chaque fois qu’elles veulent défendre leurs droits ou chaque fois qu’elles veulent trouver une solution pacifique à leur problème de logement auprès des autorités compétentes. Après l’avis de comparution au tribunal pour expulsion en avril 2004, ces familles et leur groupe de soutien se sont adressés aux autorités et à tous les résidants d’Herblay en mai 2004 pour leur demander de les aider à trouver une solution face à leur problème de privation de droit au logement décent depuis des années. Elles n’ont pas été écoutées. Des familles d’une vingtaine de pays en Europe et dans le monde se sont ralliées à leur combat à travers une pétition. Des soutiens se sont manifestés de la part d’amis du Chili, du Royaume-Uni, de Suisse, de Pologne, d’Espagne, de Tanzanie, d’Haïti et du Sénégal, réclamant avec ces familles un droit fondamental à l’Etat français: « le droit d’habiter quelque part ». Elles n’ont pas été écoutées par la mairie d’Herblay.

Un rendez-vous demandé sur le terrain avec le préfet n’a pas eu de suite, pas plus qu’une rencontre à la mairie avec une délégation de familles et leur avocat. Ces familles n’ont pas été comprises dans leurs démarches. La voie du dialogue avec les instances compétentes leur a été fermée, sinon refusée. Les blessures et humiliations ont été ressenties après lecture de certains articles de journaux qui parfois ont voulu faire du sensationnel.

Quant au tribunal de grande instance de Pontoise, les familles ont été traitées comme moins que rien par l’avocat de la mairie. Elles n’avaient qu’un seul droit : garder le silence !

Des enfants du monde entier, réunis dans le mouvement Tapori2, après avoir lu ou écouté l’histoire des enfants d’Herblay cherchant sans cesse un « endroit pour vivre » se mettent à envoyer des messages réconfortants à travers des lettres, des dessins et des objets symboliques à tous les enfants du terrain pour exprimer leur amitié et leur solidarité. Un d’entre eux a même osé écrire une lettre au maire d’Herblay. D’autres ont alerté leurs parents pour dire un mot sur la situation de ces enfants qui n’ont pas de maison pour habiter.

Le rapport du comité des droits sociaux

Dans son rapport de cinquante pages, le comité européen des droits sociaux considère en premier lieu que la France viole les dispositions relatives à la prévention des expulsions locatives, notamment en « raison du manque de dispositifs permettant de proposer des solutions de relogement aux familles expulsées »

En matière d’expulsion, le comité a déclaré que, même lors d’une expulsion justifiée, les autorités doivent faire en sorte de reloger ou d’aider financièrement les personnes concernées. Il constate que le système français n’apporte pas les garanties exigées en terme de relogement. Il a souligné un déséquilibre considérable par rapport aux besoins sans ignorer tous les efforts faits en matière de relogement. Le comité a estimé que l’offre de logements sociaux aux plus défavorisés ne semble pas être une priorité pour la France. De plus, le comité considère que la procédure d’attribution des logements sociaux ne garantit pas suffisamment l’équité et la transparence sachant que le logement social n’est pas réservé aux foyers les plus pauvres.

Le comité juge également que la France ne permet pas l’offre de logements accessibles aux ménages les plus pauvres, pointant une « inadéquation manifeste et persistante des mécanismes d’intervention existants pour s’assurer que l’offre de logements sociaux aux plus défavorisés bénéficie de toute la priorité qui convient ».Le rapport pointe aussi des « dysfonctionnements du système d'attribution de logements sociaux »et « l’insuffisance des voies de recours en cas de délais d’attribution trop longs ».

Par ailleurs, le comité accuse la France de ne pas garantir suffisamment l’accès au logement des gens du voyage non sédentarisés, en particulier des Roms, « en raison de la mise en œuvre insuffisante de la législation relative aux aires d'accueil pour les gens du voyage. »

Un coup d’arrêt à la lâcheté collective !

« Nous avons voulu montrer que le recours existe et qu’il faut que les mal-logés s’en saisissent pour dire Stop », a déclaré à l’Associated Press le délégué national d’ATD Quart Monde/France, Bruno Tardieu. « Le problème des gens dans la misère, c’est que non seulement on ne respecte pas leurs droits, mais qu’en plus on leur explique qu’ils ont tort », a-t-il ajouté. « On ne cherche pas à accuser qui que ce soit, mais à mettre un coup d’arrêt à une espèce de lâcheté collective qui fait qu’on abandonne ces gens et qu’on arrive à une situation où on n’est plus en Etat de droit. »

1 Cf aussi L’Epine sur les roses, Jean-Michel Defromont, éd. Quart Monde, coll. En un mot, 2006, 80 p.
2 Tapori est un courant d’amitié entre des enfants de tous milieux à travers le monde qui s’engagent là où ils sont pour que tous les enfants aient
1 Cf aussi L’Epine sur les roses, Jean-Michel Defromont, éd. Quart Monde, coll. En un mot, 2006, 80 p.
2 Tapori est un courant d’amitié entre des enfants de tous milieux à travers le monde qui s’engagent là où ils sont pour que tous les enfants aient les mêmes chances. http://www.tapori.org

Agnès Dumas Bonkoungou

Agnès Dumas Bonkoungou, haïtienne, est volontaire d’ATD Quart Monde. Après avoir vécu et travaillé à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) et dans le Val d’Oise, elle a rejoint récemment l’équipe des relations internationales de ce mouvement.

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