C'était à Paris, il y a quelques semaines. Il appartenait à M. Nitin Desaï, sous-secrétaire général des Nations unies pour les affaires économiques et sociales, de tirer les conclusions d'un séminaire organisé dans le cadre de la préparation de la session spéciale de l'assemblée générale de l'ONU qui se réunira à Genève en juin 2000 pour faire le bilan, cinq ans après, du Sommet pour le développement social de Copenhague.
« Le principal, le plus important », disait-il en substance, en s'appuyant sur son expérience de citoyen de l'Inde et en dépassant les considérations générales sur la bonne gouvernance, la globalisation de l'économie, sa régulation, « le principal, ce qui est la première demande des pauvres, c'est la dignité, le respect de soi. Comment, s'interrogeait-il, préserver ou rétablir le respect de soi, le respect par les autres et des autres ? ».
II ne suffit pas en effet d'établir le droit, le droit à un revenu, à un logement, à l'accès aux soins de santé, à l'éducation. Il ne suffit pas non plus de nous battre pour que ces droits soient respectés et appliqués véritablement. Il faut encore veiller à ce que ceux et celles à qui les droits sont ouverts se sentent respectés par ceux-là même qui leur permettent d'y avoir accès, comme par la société environnante.
Une allocation, un revenu d'existence, une couverture maladie, un accès à l'école peuvent-ils prétendre à l'universel si, d'abord, ne sont pas reconnus comme universels et intangibles la dignité et le respect, reconnaissance dont chaque être humain a besoin comme il a besoin de pain ?
« Les droits de l'homme », disait le père Joseph, « sont assurés, garantis au fil du temps quand ils ne sont pas seulement dans les lois mais d'abord dans le cœur et la vie personnelle (...). La justice (ne peut) être réduite à une affaire de législation(...), une affaire des seules structures politiques et juridiques de nos sociétés. Les droits de l'homme, concluait-il, sont une affaire de cœur, de foi, une affaire de civilisation. »
Les plus pauvres nous conduisent certes à nous battre et à nous unir pour que les droits de l'homme soient respectés. Mais leur attente est plus grande encore : ils savent que le respect du droit n'est qu'une des conditions du respect de l'être humain qui en est titulaire. Ce respect-là, qui donne leur sens aux droits de l'homme, exige de chacun d'entre nous une transformation radicale. Il exige que nous acceptions celui que nous avons du mal à respecter et son expérience comme indispensables, pour transformer le monde. Toute démarche visant à garantir tel ou tel droit fondamental qui fait l'impasse sur cette exigence se retourne contre son but. A l'égard de ces hommes et de ces femmes, qu'il nous arrive de réprouver ou de mépriser parce qu'à nos yeux, ils ne tirent pas profit des droits que nous leur accordons, il nous faut bâtir en nous une capacité de respect universel. Ne serait-ce pas cela, la culture du refus de la misère, que notre fondateur nous a laissée en héritage ?