Le 26 février 1997, après des mois de souffrances, le père Tenywa, Ouganda, a été rappelé auprès de Dieu. (...) Nous connaissions le père Tenywa depuis dix ans. Lorsque nous avions demandé à l’évêque de Jinja : « Qui, parmi vos prêtres, est passionné par la lutte contre la misère ? », il avait répondu sans hésiter : « Le père Tenywa ». Mgr Jozef Willingers nous l’avait envoyé presque aussitôt en France rencontrer le père Joseph et participer au séminaire « Famille, extrême pauvreté et développement » du Forum permanent.
Une paroissienne nous dit plus tard : « Il était toujours avec les pauvres, les handicapés, les gens qui n’avaient rien. Mais après son retour de France, il a tout changé. Il nous a fait planter un arbre, il a commencé à célébrer la Journée du refus de la misère, il nous a tous rassemblés autour des plus pauvres ».
A partir de 1987, la vocation de la mission de Walukuba est clairement la priorité aux plus pauvres.
Au retour du père Joseph à Dieu, le père Tenywa nous écrit : « Sa mort est un grand défi. A nous de continuer son travail, de faire grandir la flamme d’amour de nos frères les plus pauvres ». Il n’avait pratiquement pas d’aide de l’extérieur, mais il créait le partage entre les pauvres et réalisait, au jour le jour, la multiplication des pains : des aides alimentaires, certes, mais aussi des classes d’alphabétisation, un soutien aux couples en difficultés...
En 1992, le père Tenywa reçut le second Prix Joseph Wresinski, créé pour sortir de l’ombre une personne qui, sans aide ni gloire, se bat avec les plus pauvres pour mettre fin à la misère. (Alwine de Vos van Steenwijk)1
La cité de Walukuba
Avec une population d'environ trente mille personnes, la cité de Walukuba est le plus grand complexe immobilier d’Ouganda. Elle est située sur les rives du lac Victoria, à environ six kilomètres de Jinja, la seconde ville du pays. Elle a été construite en 1948. Il s'agissait alors de logements d'une pièce pour les ouvriers des usines de la région de Jinja. Plus tard, on a construit des logements de deux pièces pour les familles qui rejoignaient les hommes au travail. Avec l'accroissement de la population, dû à l'afflux de personnes cherchant du travail, les propriétaires ont séparé les pièces et les ont sous-louées. Le résultat est que, dans la plupart des maisons, il y a maintenant des familles entières qui vivent dans une seule pièce. Certains ont même sous-loué les espaces dehors qui servent de cuisine. Les toilettes, communes, sont des latrines à la turque.
A l’origine, chaque maison avait l’eau courante. Mais, suite à des disputes bureaucratiques, l'eau a été coupée pendant trois ans. Au cours de cette période, les habitants étaient contraints de traverser marais et buissons pour aller chercher l'eau au lac Victoria. Ensuite, on a installé une fontaine, mais les gens doivent payer vingt-cinq shillings pour vingt litres (1200 shillings = 1 dollar US), ce qui, étant donné le revenu des résidents, constitue une somme non négligeable.
La plupart des usines ont fermé et le faible revenu des populations vient principalement de « petits boulots » : vente au marché de Jinja de produits de petits jardins potagers, pêche dans le lac Victoria, service de taxis à bicyclette ou, pour les plus riches, en vieille camionnette. Les jardins sont aussi une ressource importante pour la nourriture. Ils fournissent en particulier la cassave, élément de base de l'alimentation. Même ceux qui travaillent dans les institutions publiques ou les bureaux de l'État doivent avoir recours à ces jardins. Une sécheresse récente, combinée à une inflation croissante et une augmentation des impôts, ont fait de la vie des habitants de Walukuba un combat permanent pour la survie. Ainsi, de nombreuses familles ne peuvent payer les frais de scolarité et doivent choisir entre nourrir correctement leurs enfants et les envoyer à l'école. Des services de santé existent mais, là aussi, leurs coûts les mettent hors de portée des plus pauvres. En plus des maladies « traditionnelles de cette partie de l'Afrique équatoriale, le sida pose maintenant un problème majeur de santé qui a de sérieuses répercussions sur la vie de famille. Les enfants sont privés d'un de leurs parents ou même des deux et les aînés doivent prendre en charge les plus jeunes.
Il y a toutefois un point positif : les communautés chrétienne et musulmane vivent en paix côte à côte, et avec la fin des luttes tribales, la sécurité est un moindre problème.
La mission catholique de Walukuba
La mission, située à la limite de la cité, couvre environ un hectare. Il y a une église à laquelle sont rattachés une bibliothèque, quatre chambres d'hôte, la pièce de réunion de la communauté, un presbytère, une petite hôtellerie avec quinze chambres, un dispensaire avec trois pièces, une grande salle qui peut servir de classe et plusieurs hangars. Toutes ces installations, simples bâtisses en blocs de ciment, ont été construites avec l'aide des résidents et sommairement meublées avec du matériel d’occasion donné. A la limite de cet ensemble, se trouvent trois structures en torchis pour loger des personnes âgées. Entre les bâtiments, il y a des parterres de fleurs, des jardins potagers, des palmiers, des bananiers, des papayers, tous entretenus par les habitants de Walukuba. La mission offre ses services à toute la population, leur accès n'est pas réservé à telle ou telle catégorie de fidèles. Dans l'ensemble de la cité, il y a peu d'institutions sociales où les habitants puissent se rencontrer ; aussi, la mission est-elle un important foyer d'efforts et de solidarités pour la communauté.
L’équipe de la mission ; son choix prioritaire pour les pauvres
Le père John Stephan Tenywa, prêtre catholique ougandais, est directeur de la mission depuis 1970. A ses côtés, Avelyn, son directeur-adjoint, a grandi dans la cité et travaille à la mission depuis la fin de ses études secondaires en 1974. Rosemary Otala, infirmière diplômée et directrice du dispensaire depuis 1986, vit dans la cité. Enfin, Paulo Washka a pour rôle principal d'être « les yeux et les oreilles » de l'équipe dans la communauté de Walukuba. La priorité de l’équipe est de rechercher, dans une zone frappée par une pauvreté générale, ceux qui sont dans le plus grand besoin.
Dans un document que le père Tenywa a préparé pour le Séminaire organisé par le Mouvement international ATD Quart Monde Famille et extrême pauvreté en 1987, il décrit les conditions de vie de ceux que ses efforts l'ont amené à rencontrer.
« Je me trouve souvent face à des familles défavorisées. Elles vivent dans des maisons ou des abris, petits, provisoires et insalubres. Souvent elles ont peu à manger et ce qu'elles ont est de mauvaise qualité, sans variété... Leur régime est tellement pauvre qu’elles souffrent souvent de maladies dues à la malnutrition... Les gens parcourent à pied de longues distances pour tirer des rivières, des marécages ou des puits une eau sale qu’ils boivent... Ils dorment sur une natte posée à même le sol de terre battue - le ciment est trop cher. Le soir, ils sont épuisés et affaiblis par les longues marches pour se rendre sur leurs lieux de travail et en revenir... Des maris, des femmes et des enfants sont parfois contraints, pour trouver de l’argent, d’avoir recours à des moyens qu'ils ne peuvent s'avouer les uns aux autres. La vie de famille en est alors brisée ».
« Beaucoup d'entre eux doivent partir tôt le matin pour aller travailler, surtout ceux qui travaillent aux champs. Leur travail est répétitif, lent et fatiguant car ils n'ont pas les outils qui conviennent. La terre est souvent infertile et ils sont peu nombreux à avoir quelques notions d'agriculture. Ceux qui comprennent l'utilité de l'engrais n’ont pas les ressources pour s'en procurer... Et il y a les longues saisons sèches qui annihilent leurs efforts car ils ne connaissent pas l'irrigation ».
« D'autres sont de simples travailleurs dans l'industrie ou les centres de commerce. Comme ils ne sont pas suffisamment payés pour subvenir aux besoins de leurs enfants et de la famille élargie, comme le veut la coutume en Afrique, dès leur retour le soir, ils doivent faire d'autres travaux pour gagner davantage ».
« Les parents, et particulièrement les maris, quittent leur famille à la recherche d'un emploi ou de terrains à cultiver, plus fertiles ou plus grands. Certaines mères doivent laisser leur mari avec les enfants. Elles partent des semaines entières pour ramener un petit peu plus d’argent à la famille. Certains parents ne peuvent pas vivre avec leurs enfants car la pièce qu'ils louent est vraiment trop petite. Alors ils séparent la famille et l’un d’eux doit rester à la campagne avec les enfants, ou bien ils envoient les enfants vivre ailleurs dans la famille ».
« Les enfants de maintes familles défavorisées ont peu de possibilités d'aller à l'école. Peuvent y aller ceux aidés par un bienfaiteur ou un membre de leur famille... Les familles pauvres qui parviennent quand même à envoyer leurs enfants à l'école doivent pratiquement y sacrifier tout confort de la vie... Les enfants et les adolescents qui ne sont pas scolarisés doivent, dès leur plus jeune âge, travailler avec leurs parents. Ils doivent les aider (...) en gardant les chèvres, en vendant à la criée des « bricoles » ou des services dans la ville ou les villages, en travaillant dans les champs ou bien en pêchant. Beaucoup ne choisissent pas de faire ces travaux, (...) certains décident même de s'enfuir de chez eux. Un bon nombre se retrouve vite incarcéré en prison ou en maison de correction après avoir été impliqué dans toutes sortes d'activités douteuses... Beaucoup d'enfants de foyers défavorisés regardent avec envie et jalousie les enfants de familles plus nanties. Certains pensent même, à tort, que leurs parents ne les aiment pas. Puis, quand ils sont plus mûrs, ils réalisent que leurs parents les aiment, mais qu’ils sont trop pauvres pour le leur montrer avec des choses matérielles ».
Pour conclure, le père Tenywa écrit : « En trente ans de travail dans des prisons, des hôpitaux, des écoles et parmi les habitants des bidonvilles et des villages, je me suis personnellement souvent trouvé face à de tels faits et de tels problèmes... ». C'est dans ce contexte d'une vie confrontée à l'extrême pauvreté et d'engagement avec ceux qui luttent contre que l'on doit comprendre ce que le père Tenywa et son équipe ont entrepris à la mission Walukuba.
Une présence au sein de la communauté
Dans un champ, situé à quelques deux cents mètres de la mission, se trouve un témoignage silencieux de l'un des aspects de leurs efforts. Là sont enterrées quatre personnes âgées. Elles faisaient partie de ceux qui, ne pouvant plus subvenir à leurs besoins et ayant perdu le contact avec leur famille, ont trouvé refuge à la mission. Le projet a pour but de les loger sur le territoire de la mission et d’en prendre soin - trois structures de briques situées en bordure de la mission peuvent recevoir jusqu'à vingt-quatre personnes. C’est une réponse aux situations d'extrême pauvreté qui risquent d’isoler les résidents les plus pauvres.
Dans ce but, la mission compte surtout sur sa présence à la base dans la cité de Walukuba. Ainsi, Paulo avait gardé le contact avec un homme âgé qui avait habité temporairement à la mission ; il lui apportait régulièrement à manger. C’est lui qui a annoncé sa mort et qui s'est adressé au chef de tribu pour que le vieil homme ait des obsèques décentes. Paulo est à la tête d'un petit groupe de paroissiens qui apportent de l'aide alimentaire d'urgence ; sa présence dans la communauté est une garantie que cette aide est bien donnée à ceux qui en ont le plus grand besoin.
Engagement et solidarité : les principales ressources
Les ressources matérielles de la mission sont minimes, ce qui accroît davantage la difficulté de sa tâche. Ainsi, Rosemary, en plus de sa fonction de directrice du dispensaire de la mission, doit travailler à l'hôpital de Jinja pour nourrir ses deux enfants. Elle doit souvent rester à la disposition du dispensaire au-delà des heures normales, pour être aux côtés des malades dont l’état exige une hospitalisation jusqu’à ce qu’ils soient transportés à l’hôpital, ou des malades dont les proches ne peuvent venir immédiatement les raccompagner chez eux. Les pannes d'électricité menacent la précieuse réserve de vaccins qui doivent rester au frigidaire. Les médicaments indispensables sont rares et chers.
Et les choses sont peut-être encore plus difficiles à gérer lorsque l’utilité de cet engagement n'est pas reconnue. Récemment, une femme, employée par le diocèse catholique pour évaluer les programmes médicaux, a proposé que le dispensaire soit fermé. Elle considérait que les patients, au nombre de vingt, trente personnes par jour, pourraient être pris en charge par l'hôpital de Jinja et ses différents services. Bien sûr, expliqua le père Tenywa, lorsqu’on a les moyens d’aller en ville, l'argent pour les honoraires, mais aussi pour les pots de vin pour un personnel mal payé. En réponse au rapport de cette femme, il écrivit : « Les noms et adresses des personnes contentes de leurs soins dans ce dispensaire modeste, entièrement gratuit, ne sont inscrits dans aucun registre ou carnet de notes, car il n'y a que bien peu de personnes qui les connaissent ou qui s'en soucient... »
Réponses à des demandes jamais entendues
Avelyn tient les livres, s’occupe de la maison commune et de la logistique lorsqu'il y a des réunions ou des conférences à la mission, et elle supervise le projet relatif au jardin. La plupart des femmes la recherchent lorsqu'elles ont des problèmes, en particulier avec leur mari. Elles vont souvent la voir chez elle. « Comme il n'y a personne d'autre, dit le père Tenywa, nous devons aussi remplir la fonction de travailleur social ».
... Mais aussi d'éducateur. La seule école maternelle est à Jinja, trop éloignée et trop coûteuse pour les habitants de Walukuba. Il a été décidé, avec les membres de la communauté, d'en ouvrir une à l'intérieur de la mission pour les enfants de quatre à six ans. On demande aux parents l'équivalent de un dollar US par mois pour le salaire des instituteurs et d’autres dépenses. Il y a actuellement environ cinquante élèves inscrits.
Il y a deux ans, des classes primaires ont été ouvertes pour répondre à la situation des enfants d'un village pauvre à environ deux kilomètres de la mission. La plupart des villageois étaient trop démunis pour payer les frais de scolarité et les enfants passaient leur temps à fouiller dans les ordures dans les rues de Jinja. « A tout prix, dit le père Tenywa, je voulais les éloigner de la vie à la rue » Quand il était aumônier de prison, il avait vu le résultat lorsque les adolescents se faisaient entraîner dans des activités illicites qui vont de pair avec la vie à la rue.
Pour s’opposer à cette situation et permettre aux plus jeunes d'acquérir une formation, le père Tenywa a recruté trois jeunes gens pour leur enseigner leur propre langue, le luganda, un peu d'anglais et un peu d'arithmétique. Chaque jour, environ cent cinquante enfants se rendent à pied à la mission, pour des cours qui durent de huit heures du matin à midi. Leur salle de classe est un hangar avec des tables et un tableau noir. Chaque enfant a un carnet et un crayon qu'il porte toujours sur lui et conserve précieusement. « Nous n'avons pas les moyens de leur donner des livres » dit le père Tenywa. A la récréation, au milieu de la matinée, les enfants jouent au football avec un ballon fabriqué sur place avec des feuilles de bananier, rassemblées par des bouts de ficelle. Une vraie balle coûterait trop cher à remplacer et on la garde pour les grandes occasions. Les jeunes hommes qui enseignent n'ont pas été formés pour ce métier, mais ils compensent leur manque de formation par leur dévouement. Ils croient vraiment en leur classe et sont très attachés aux enfants.
Encouragement à servir les autres
Les classes primaires sont un bon exemple du principe qui nourrit les projets de la mission : encouragement à servir le prochain. Deux des jeunes qui enseignent ont eux-mêmes bénéficié de cette structure. Ils ont été pris en charge par la mission quand ils étaient adolescents. L'un d'eux était orphelin, l'autre a été libéré de prison grâce au père Tenywa. Ils furent tous deux aidés pour leurs études, et maintenant ils sont les éléments de base des cours primaires.
Le projet de jardin de la mission est aussi un projet orienté vers le service. Des plantes potagères sont produites dans l’enceinte de la mission ou sur de petites parcelles que la mission a achetées. La récolte est utilisée pour les très pauvres, ou vendue pour financer les projets. De plus, cela permet de familiariser les jeunes avec les techniques de culture et crée, chez les autres, un esprit de service et de solidarité. Celui qui coordonne actuellement le projet y a participé depuis son plus jeune âge. Le projet de jardin entre dans la ligne de la politique nationale actuelle de raviver l'intérêt de la population pour l'agriculture. Le père Tenywa voudrait que cet appel au retour à la terre soit vécu comme un moyen de reconstruire la communauté et, en particulier, avec les plus pauvres.
Walukuba est une ville très étendue et n’offre que peu de lieux où la population peut se rassembler. La salle communale de la mission en est un. Les résidents en ont creusé les fondations, ont cherché, sur les collines voisines, des pierres pour les murs, ont travaillé volontairement à la construction et y ont même contribué financièrement. Récemment, à l'initiative de la mission, les dirigeants des différents groupes tribaux ou religieux ont été invités à participer à une série de rencontres pour discuter de la proposition de nouvelle constitution pour l'Ouganda. La mission est en relation avec des responsables protestants et musulmans de façon permanente. Elle a également été très active pour promouvoir la formation d'une association communautaire pour représenter la cité de Walukuba dans ses relations avec les officiels de Jinja.
Tous ces efforts ont pour but d'établir des relations personnelles et d'éveiller l'attention sur la vie courante et les événements quotidiens dans la cité. Paulo, par exemple, a développé des relations telles que les hommes des tribus différentes de la sienne lui font confiance : « C'est le résultat de deux ans d'efforts pour élaborer un sens de la communauté » remarque le père Tenywa.
Le père Tenywa voudrait que ses paroissiens sentent que les cours d'alphabétisation font partie du travail social de la paroisse bien que ces cours ne soient pas liés à l'église et n'aient aucune connotation religieuse.
L'équipe de la mission pense que les instances officielles à Jinja ont aussi une responsabilité sociale vis-à-vis des enfants qui sont en primaire. Actuellement, elle fait pression sur elles pour qu'elles fournissent un repas à titre de participation à ce projet. Certains enfants montrent de sérieux signes de malnutrition et beaucoup d'entre eux n'ont de repas qu'en fin d'après-midi, voire en soirée lorsque leurs parents rentrent du travail. Quand c'est possible, la mission, prenant sur ses réserves, fournit un repas. Pour le long terme, l'équipe désire que les responsables en ville envoient des enseignants et prennent le relais pour ce projet.
Une solidarité internationale
Le père Tenywa estime important que les personnes qui offrent un service dans les projets de la mission comprennent que leurs efforts s'inscrivent dans un large courant de solidarité avec les plus pauvres. Il a conscience de la dimension universelle. Ainsi, jeune prêtre, il a pris position pour un clergé autochtone intégré dans les ordres religieux principaux de l'Église catholique. Dans une revue d'Eglise, en 1968, il a écrit : « Ce qui importe pour une société, une congrégation ou un ordre « catholique », c’est, selon moi, non pas d'être porteur d'une perspective européenne, chinoise ou africaine, mais de poursuivre une perspective « catholique », (c'est-à-dire universelle), en acceptant et en adoptant la merveilleuse diversité des peuples ».
Depuis sa première prise de contact, en 1987, le père Tenywa a entretenu des liens étroits avec le Mouvement international ATD Quart Monde et, à son tour, il essaie d'en introduire d'autres à la dimension mondiale d'une cause commune. Ce fut le cas lorsqu'il demanda à un jeune professeur qui quittait la mission de différer son départ d'une semaine pour qu'il puisse rencontrer un membre du Mouvement international ATD Quart Monde en visite chez eux. Il s'en est expliqué ainsi au visiteur : « Je veux que vous rencontriez Francis, le jeune professeur. Il doit savoir ce que font d'autres personnes et comprendre qu’à travers le monde, d’autres font un travail analogue au sien. Cela lui donnera le courage de continuer ».
Et l'on sent que les jeunes hommes du projet de la mission aussi deviennent conscients qu'un monde au-delà de leurs réalités a aussi besoin de leurs encouragements : « Veuillez bien donner le bonjour aux jeunes de votre pays, ont-ils demandé au visiteur du Mouvement ATD Quart Monde. Faites leur savoir ce que nous faisons et que nous sommes à leurs côtés ».
Un projet pour l’avenir
Il n'y a pas d'école secondaire à Walukuba ; la plus proche est à Jinja et elle est trop coûteuse pour beaucoup de résidents. La mission, en concertation avec les habitants, a négocié avec les autorités de Jinja pour obtenir quatre hectares de terres adjacents à la mission. Les résidents ont eux-mêmes couvert les frais d'achat et de relevé du terrain. Pendant que la mission s'efforçait de trouver les fonds pour commencer à bâtir, le terrain a été nettoyé par les résidents qui y ont planté du millet qui constitue une première source de financement. Une fois les fonds trouvés, la construction sera le fruit d'un effort collectif, comme pour les autres projets de la mission. Le défi à relever, c'est que les plus pauvres aient leur place dans cette école, et c'est le même défi que dans toutes les actions de la mission.
Les organisations internationales ont-elles un rôle dans ce projet ?
En conclusion à son intervention pour le séminaire de 1987, le père Tenywa écrit : « Parce que les choses ne se sont pas améliorées, c'est avec joie que je viens participer au séminaire sur « la famille et l'extrême pauvreté », espérant apprendre de nouvelles manières d’être aux côtés des familles défavorisées lorsque je retournerai en Ouganda ».
Pendant ces années, le père Tenywa a travaillé dans une relative solitude, sans contact avec les grands programmes d'aide réalisés en Afrique, qu'il voyait comme dépassant les objectifs de Walukuba. Au séminaire, il a perçu un intérêt commun à découvrir avec d'autres des perspectives de développement réfléchies et vécues avec les plus pauvres.
Lorsqu'on lui proposa de participer à l'étude « Atteindre les plus pauvres », le père Tenywa demanda : « Pourquoi l'Unicef voudrait-elle se renseigner sur un projet aussi petit que le nôtre ? Il a encore à découvrir comment concrètement l'Unicef partage ses inquiétudes et ses ambitions.
Sa réaction, si elle est partagée par d'autres personnes impliquées dans des projets situés à la base, est à mettre en relation avec une conception des grands projets d'aide qui doit être mise en question. Si ces deux niveaux d'action de développement pouvaient se découvrir l'un l'autre dans une relation de confiance mutuelle et d'échange, ce seraient les plus pauvres qui en auraient le bénéfice.