Citoyens ensemble : une ambition pour l'an 2000

Louis Join-Lambert

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Louis Join-Lambert, « Citoyens ensemble : une ambition pour l'an 2000 », Revue Quart Monde [En ligne], 153 | 1995/1, mis en ligne le 05 septembre 1995, consulté le 23 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2877

Qui peut encore croire que la pauvreté est une question marginale ? Le nombre de personnes qu'elle atteint le dément. L'inefficacité des mesures à la marge, portant sur l'urgence, le court terme le dément de manière plus évidente encore. A vrai dire, l'opinion publique n'est plus dupe des promesses d'une croissance économique qui mettrait fin à la pauvreté et à l'exclusion. Elle pressent ou sait que la question est ailleurs.

Des signes existent, qui montrent qu'une partie de la population réagit et veut réagir davantage. Sans ignorer des signes politiques proprement dits, on observe que les associations cherchent à faire cause commune, que les initiatives individuelles ou de petits groupes se multiplient.

Néanmoins, lorsque la précarité puis la pauvreté s'approfondissent en grande pauvreté, l'isolement entraîne une étrangeté. Et les plus pauvres sont vus, comme source d'insécurité. Face à cela, en tout citoyen se vit une tension, voire une incohérence. Penser qu'il faut construire des logements pour que les sans-abri aient un toit va se soi jusqu'au moment où il faut soutenir les hommes politiques pour le faire et le financer, ou soutenir son maire dans l'accueil des personnes ou familles en difficulté sur sa commune. C'est ce que montrent les obstacles à l'application de la loi Besson relative au logement des plus démunis. Mais si le logement ancre les personnes dans une communauté humaine qui permet aux droits, aux responsabilités de se jouer, on pourrait en dire autant du travail, de la culture, etc.

Comment ne pas être frappé par le cri d'alarme du président de l'Association des Maires de France. Le constat d'une société à deux vitesses lui paraît dépassé. Les maires vivent l'expérience de se trouver face à deux sociétés sur un même territoire. Deux sociétés qui, faute d'expériences communes, développent, dit-il, des valeurs contradictoires. Il reste officiellement une seule loi commune à tous. Mais de fait, quoi de commun entre chômage transitoire entre deux emplois et chômage d'exclusion ?

A la veille d'élire en France le président de la République et, peu de temps après, les maires, ne faut-il pas nourrir l'ambition sérieuse que le refus de la misère, du chômage et des exclusions devienne un vrai contrat entre les citoyens ? Un contrat social impliquant des droits et des responsabilités est une œuvre de longue haleine qui suppose une politique pour en créer les conditions.

Certes, les plus défavorisés d'aujourd'hui ne parviennent pas à se loger avec leur famille quelque part, à obtenir des soins et à être réintroduits dans des circuits administratifs. Mais, à travers ces réalités se dissimule une injustice bien plus grave, pour eux et pour la société toute entière : il existe des hommes et des femmes qui ne peuvent agir, sans que nous en soyons choqués. Des personnes réduites au statut d'objets à gérer, de problèmes à résoudre.

Lisons la réflexion de M. Gutieres. Sa vie, comme celle de chacun est un tout : nourrie des liens qu'il porte aux personnes qu'il aime, composée des images contrastées que les autres se font de lui, et marquée par un parcours scolaire chaotique et une santé déficiente. En prenant appui sur ses droits et ses responsabilités, il donne un sens à ce qu'il vit. La garantie des droits de l'homme et des libertés fondamentales est la manière politique d'assurer cette possibilité d'agir avec autrui, propre à tenir la violence à l'écart. Une politique des droits de l'homme à court, moyen et long terme doit se définir avec ces femmes et ces hommes privés des possibilités d'action à cause de la misère.

Ce dossier montre que des acteurs existent : ceux qui vivent des conditions inacceptables et résistent dans la difficulté, au jour le jour, ais aussi des concitoyens de plus en plus nombreux à réagir, ainsi que des édiles locaux soucieux d'enrayer le déchirement du tissu social. A ceux-là s'ajoutent des responsables politiques, administratifs, associatifs au niveau national. Nous avons demandé, aux uns et aux autres, de réfléchir à la responsabilité d'une société démocratique d'accueillir tout homme en tant qu'acteur. Ce qui constitue le fondement d'une politique globale, objet de notre ambition.

Louis Join-Lambert

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