Le père Joseph Wresinski était de ces hommes qui font bouger leurs contemporains. Nous avons donc sollicité les contributions de personnes qui agissent dans des domaines variés, monde associatif et culturel, vie politique, université, églises, etc… pour que soit poursuivi le chemin qu’il a entrepris. Le propos de ce dossier spécial est d’ouvrir sur l’actualité de ce qu’il a provoqué.
Détruire la misère : une action, une connaissance, une politique
Trois articles ont été détachés en introduction parce qu’ils se complétaient pour faire comprendre à grands traits la démarche du père Joseph. Marie Jarhling qui l’a connu dès les premières années du camp des sans-logis de Noisy-le-Grand introduit à ce qu’il était pour les familles en grande pauvreté. Mathé Devoyon, qui l’a aussi connu à cette époque, fait comprendre l’articulation étroite entre action et élaboration d’une pensée, qui a toujours été une préoccupation et plus encore un investissement prioritaire du père Joseph. Jona M. Rosenfeld , professeur à l’université de Jérusalem, fait entrer dans la compréhension de ce que fut pour lui la misère qui détruit non seulement la dignité de ceux qui la subissent mais aussi la dignité des sociétés où ils vivent.
L’ambition qui manifeste l’inaliénable dignité de chacun
Le père Joseph confrontait chacun, quels que fussent ses points d’ancrage, pays, profession, foi, etc, à une grande ambition pour les plus pauvres mais aussi pour les autres hommes et - thème développé par plusieurs articles – pour les sociétés. L’ambition d’une terre, « notre terre, où tout homme aurait mis le meilleur de lui-même avant que de mourir1. »
Cette ambition est traduite dans des contributions de personnes qui ont rencontré le père Joseph à propos de leur action avec des populations défavorisées. Elle l’est aussi par le peintre Jean Bazaine, ou par des hommes qui ont des responsabilités publiques. Pour avoir vu tant de gens réduits à taire leurs idéaux par l’assistance ou le pouvoir des autres, le père Joseph a choisi de se faire témoin de cette haute humanité qui est en chacun. De cette dignité qui ne peut pas s’exprimer sans engager les autres citoyens.
A partir de la détresse, mettre chaque homme en « Mouvement »
Un autre groupe d’articles porte sur le mouvement qu’il a créé.
Témoin de la haute humanité de chaque être, le père Joseph se refusait à figer l’image qu’il avait des personnes. Pour lui, chacune reste toujours la chance d’un monde meilleur. Il aimait dire : « merci d’exister. » Le plus pauvre est la chance de tous car son cri de détresse met, de proche en proche, toute une société en mouvement d’humanisation. Il a restitué aux plus pauvres le sens d’une détresse qui est « révolte contre l’injuste sort qui leur fut imposé » (1), révolte tellement sûre de son bien-fondé qu’elle est capable de ne pas vouloir « maudire, mais aimer et prier, travailler et unir pour que naisse une terre solidaire. » (1)
N’est-ce pas là la grande différence entre la visée de soulager la misère et celle de la détruire. Pour le père Joseph, proposer aux plus pauvres de soulager leur misère c’était méconnaître l’expérience et l’histoire qu’ils ont eues. Sur le projet des hommes de vivre ensemble, ils ont appris des leçons essentielles que les autres hommes ont à faire leurs. Leur proposer, au contraire, de détruire la misère, les débarrasse d’emblée du statut de misérable au bénéfice du statut de codéfenseur des Droits de l’homme. Cela actualise aussi cette intuition de l’humanité que le respect des faibles est gage de paix : d’où l’importance d’épouser le regard des petits, « un point de vue de la plaine. »
Faire nôtres ses défis
Détruire la misère n’est pas une démarche marginale. Elle se traduit, au contraire, pour chacun dans le champ de ses compétences et de ses talents. C’est pourquoi plusieurs auteurs, prenant à leur compte la responsabilité de poursuivre des avancées du père Joseph, cherchent quelles en sont les implications dans leur propre domaine. Enfin, Jacques Richard, associe la voix des familles en grande pauvreté à cette réflexion sur la responsabilité de chacun dans le refus de la misère. Le père Joseph nous disait, rappelle-t-il, que pour sortir du tunnel nous devions nous mettre ensemble.