Les plus pauvres, voix de l’homme

Louis Join-Lambert

Citer cet article

Référence électronique

Louis Join-Lambert, « Les plus pauvres, voix de l’homme », Revue Quart Monde [En ligne], 129 | 1988/4, mis en ligne le 05 mai 1989, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4014

Dans un précédent dossier de cette revue, des personnes disaient : « Parce que nous faisons les poubelles la nuit, on nous regarde comme des rats ! ». Elles s’étaient senties indignes de défendre ou même de demander leurs droits et l’un de leurs compagnons en était mort de froid et de faim. Ces personnes n’étaient plus assurées d’être humaines aux yeux des autres et finalement peut-être à leurs propres yeux1.

Le quarantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et, en France, le bicentenaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen entraînent bien sûr leurs flots de discours, de tics, de modes et d’agacements légitimes.

Comment ne pas tomber cependant dans l’illusion d’être arrivés au bout du chemin ?

Rappelons le peu de cas fait aujourd’hui de la longue marche du Quart Monde avec le père Joseph Wresinski pour faire entendre que la misère est une violation des droits de l’homme. Pourtant cette violation des libertés des plus pauvres et, indissociablement, de leur droit à vivre en dignité, ne prend pas seulement place à l’autre bout de la planète. Elle est à notre porte, et nous changeons de trottoir, nous ignorons certains quartiers, nous déléguons des professionnels pour l’éviter.

Comment ne pas laisser les droits de l’homme devenir un champ clos de condamnations politiques mutuelles ou d’arguties grâce auxquelles beaucoup des plus savants esprits oublient de comprendre ce moteur de civilisation qu’est le partage concret du refus de la souffrance des hommes ?

Les droits de l’homme sont encore une question toute neuve. En effet, comme la Terreur a suivi 1789, la misère demeure et s’approfondit sur une planète qui n’a jamais été proportionnellement aussi productive de biens et de services de toutes sortes.

Cette question toute neuve occupe notre dossier. Notre terrain, c’est la misère : violation des droits de l’homme dans leur indivisibilité même.

Notre thème c’est le regard d’humanité qui fait reconnaître l’autre comme un frère dans la famille humaine, qui lui donne une voix, condition des droits de l’homme. Quel que soit l’état de la législation et de la garantie juridique des droits fondamentaux, il faut que l’autre soit vu comme un homme pour que ses droits soient mis en œuvre.

Nos auteurs appartiennent à des associations (organisations internationales non gouvernementales, OING,) qui cherchent précisément à ce que ce regard d’humanité se réintroduise là où l’histoire a rendu des hommes méconnaissables en même temps que leurs contemporains aveugles. Certaines se sont réunies autour du Quart Monde depuis dix ans à Genève à l’ONU pour réfléchir à leurs responsabilités vis-à-vis des plus pauvres et s’aider à les tenir. C’est avec elles que nous avons réalisé ce dossier.

Leur action se situe dans le socle de l’édifice des droits de l’homme. Et le dossier montrera qu’elles ne s’adressent pas par hasard à l’ONU.

Il s’ordonne autour de deux grandes parties. La première retrace l’historique de ce groupe, précise son contexte et surtout ses enjeux. Ses enjeux conduisent à une réflexion tant sur la responsabilité de tout citoyen, que sur l’apport des plus pauvres à la démarche de paix des instances internationales.

La deuxième partie, nourrie de nombreuses contributions des ONG concernées, permet de comprendre qui elles sont et comment leurs apports au groupe OING Quart Monde se renforcent et les renforcent.

Ce dossier de réflexion sur les droits de l’homme appartient à un ensemble de dossiers que nous continuerons à produire. Car c’est seulement l’approfondissement ininterrompu de cette approche qui peut en faire un outil vivant et utile à tout homme, toute famille et tout  peuple pour vivre en dignité. Dans cette démarche-là ceux qui subissent la misère ont encore beaucoup à dire ; oui, les plus pauvres sont la voie de l’homme.

« S’unir pour les faire respecter est un devoir sacré ».

1 « Droits de l’homme, droits de l’autre », revue Quart  Monde, n° 122, 1987/1.
1 « Droits de l’homme, droits de l’autre », revue Quart  Monde, n° 122, 1987/1.

Louis Join-Lambert

Articles du même auteur

CC BY-NC-ND