Un chemin d'espoir

Bruno Tardieu

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Bruno Tardieu, « Un chemin d'espoir », Revue Quart Monde [En ligne], 132 | 1989/3, mis en ligne le 05 février 1990, consulté le 12 décembre 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4135

Au mois d'octobre 1987, pris dans l'action quotidienne, j'avais du mal à comprendre le sens de cette dalle commémorative des victimes de la misère que le père Joseph allait inaugurer au Trocadéro. C'est alors que je lus l'autobiographie de Lech Walesa « Un chemin d'espoir ».

Walesa parle en homme simple : « J'ai d'abord appris à croire au destin, comme ma mère me l'avait enseigné ». Il raconte son enfance dans une famille de paysans sur une terre dont « les voisins s'étaient écartés, l'estimant trop exécrable pour s'y installer » ; sa formation dans l'Église, sa formation technique d'électricien en machines agricoles ; puis, le grand départ à 24 ans.

« Pourquoi les bords de la Baltique ? Sur le moment, il m'a semblé que le premier train en partance me désigna cette direction : Gdansk. Mais... les grands choix ne se font jamais de cette façon. Là-bas, il y avait la mer... immensément étendue – comme la liberté ».

Aussitôt embauché comme électricien au chantier naval, il se retrouve parmi des milliers d'ouvriers. Le début des années soixante apporte « un certain beau fixe ». Mais en 1967, il devient particulièrement difficile de se loger. Il habite avec six cents ouvriers à l'hôtel de la rue Klonowicza : « On y entrait par un petit portillon en passant devant une guérite, un peu comme dans un camp. Pendant des années, les six cents gars ne furent même pas capables d'y aménager un terrain de volley, ce qui en dit long... Les jours de paye s'y terminaient toujours par une douzaine de portes enfoncées... Il y avait des scènes indescriptibles. Les week-ends, nous étions obligés d'écouter les vociférations des ivrognes ».

Lech Walesa y habita d'abord seul, puis avec sa femme Danuta. Elle vendait des fleurs. « C'était le seul endroit où je pouvais échouer avec ma femme ».

La suite est mieux connue. Pendant la grande grève de 1970, Walesa s'affirme comme un leader. Viennent dix années de silence, marquées par la commémoration annuelle des ouvriers tombés lors des événements de 70. Tous les ans, les ouvriers tentent de se retrouver au cimetière ou ailleurs et sont mis en prison. Pour le neuvième anniversaire, Walesa propose de créer un monument : « Chacun devra l'an prochain apporter une poignée de cailloux et les jeter de façon à former un grand tertre à l'image de celui élevé à la mémoire de Kosciuzko à Cracovie. Pour la première fois, lors de notre célébration de cet anniversaire, il y a avec nous des prêtres... grâce aux prêtres, la colère et la révolte se dissipent en méditation. La milice, qui a bouclé le quartier, n'intervient pas ».

La promesse du gouvernement d'élever un monument officiel, rappelée par les ouvriers, année après année, est finalement tenue en 1980.

Walesa cite un ami militant, Gwiazda, : « On ne sait trop quel fut l'élément moteur qui permit au mouvement de prendre un tel essor : la participation de la commémoration des événements de décembre 70 en fut-elle la cause ou la conséquence ? Le fait est qu'en 1976, nous n'étions que six : en 1977, trente, et une centaine de sympathisants ; en 1978, on pouvait estimer le nombre de nos militants à six cents ; en 1979, enfin, à plusieurs milliers ».

Le refus d'oublier ceux qui ont lutté et souffert, ne serait-il pas toujours à la source de cette unité capable de faire tomber les frontières qu'on croyait les plus infranchissables ?

Bruno Tardieu

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