Contribution des Universités Populaires Quart Monde

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Contribution des Universités Populaires Quart Monde », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1998), mis en ligne le 20 septembre 2010, consulté le 13 décembre 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4767

D'octobre 1996 à janvier 1997, les sept Universités Populaires Quart Monde1 de France (Alsace, Aquitaine, Bretagne, Île-de-France, Nord, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Rhône-Alpes) ont travaillé sur le texte de l'avant-projet de loi d'orientation relatif au renforcement de la cohésion sociale. Ce texte, dont l’examen par le Parlement a été suspendu par la dissolution de l’Assemblée nationale en avril 1997, a été complété et renforcé par le nouveau gouvernement nommé à la suite des élections législatives de juin 1997, pour aboutir à la loi d’orientation contre les exclusions qui demeure dans son esprit très proche de l’avant-projet de loi de cohésion sociale.

À partir de leur expérience de vie et de leur connaissance d'autres personnes vivant dans la grande pauvreté, les participants des Universités Populaires Quart Monde ont réfléchi aux propositions qui étaient faites dans le texte de cet avant-projet de loi. Ils ont cherché ce qui permettrait que plus personne ne tombe ou ne vive dans l'exclusion ou la misère. Ils ont aussi cherché ce qu'il faudrait encore améliorer dans l'avant-projet de loi pour permettre à chacun de vivre dans la dignité. Leurs travaux donnent des orientations et des repères essentiels pour discerner, dans l’actuel texte de la loi d’orientation contre les exclusions, les dispositions qui marquent les avancées les plus importantes, celles qui devraient être renforcées et celles qui présentent des risques pour les plus démunis.

Il s’agit ici de rendre compte avec la plus grande vérité possible des avis donnés par les participants aux débats. Les sources utilisées pour cela sont, d'une part les comptes rendus des réunions de préparation, d'autre part des transcriptions intégrales des débats de chacune des Universités Populaires Quart Monde.

La dignité, référence pour la loi

« Cette loi est une espérance, il ne faut pas qu'elle soit une illusion. » Cette affirmation de Paul Bouchet2 à l'Université Populaire d'Alsace illustre bien la tonalité des débats qui ont eu lieu dans les différentes régions de France. Avant toute chose, l'espoir des participants est que cette loi contribue à redonner la dignité aux personnes les plus pauvres. Dans tous les domaines étudiés - qu'il s'agisse des ressources, de l'emploi, de la santé, de la famille, du logement, de l'éducation ou de la culture - la question de la honte, des humiliations, des violences et des conditions de vie indignes subies par les plus pauvres était présente.

« Les gens n'ont pas toujours compris qu'en fin de compte tout ce qu'on réclamait, c'était d'être relogé dignement et pas d'être relogé dans un taudis... J'appelle ça nous traiter comme des chiens ou nous traiter comme des rats mais pas comme des êtres humains », disait une mère de famille.

Vers un nécessaire partenariat avec les plus pauvres

Cette révolte laisse place à l'espérance que suscite ce projet de loi : « Quand tout sera voté, j'espère qu'il y aura une meilleure compréhension de la part de la justice, de la DDASS..., qu'on n'aura plus ce mur qui est en face de nous. » Les participants à ces Universités Populaires Quart Monde se demandent si cette loi donnera enfin aux plus pauvres les moyens de s'exprimer, d'être respectés et compris. Ils ont rappelé avec insistance que ce véritable partenariat, auquel ils aspirent, passe nécessairement par la formation des personnes très pauvres d'une part et celle des professionnels d'autre part3.

Une personne du Quart Monde exprimait ainsi ce besoin de formation des personnes très défavorisées : « Il y a encore trop de pauvres qui n'osent pas parler, ils ont peur d'être rejetés, de ne pas être reconnus dans leur dignité et écoutés. Ils ont honte de leur misère. On veut parler et dire ce qu'on pense. »

La création d'un Observatoire permanent de la pauvreté et de l'exclusion sociale a soulevé à la fois enthousiasme et interrogations quant à l'importance qui sera donnée à cette parole, cette pensée et cette expérience des plus démunis. « C'est très important qu'il y ait cet observatoire car il va rappeler à l'ordre et dire : "Attention ! , on s'est tous donné un but". Il permettra de suivre l'évolution du projet », a-t-on pu entendre. Mais d'autres ont exprimé la nécessité que cette connaissance parte du vécu des plus démunis de notre pays : « Comment les plus pauvres seront-ils représentés ? Comment va-t-on rejoindre ceux qui sont sans lien avec l'extérieur (par exemple quelqu'un qui vit dans une caravane sans eau, sans électricité, sans chauffage et sans relation) ? » Ils se sont aussi inquiétés de la manière dont serait élaborée cette connaissance : « Va-t-on être surveillé ? Va-t-on devoir répéter dans chaque bureau notre vie ? »

De nombreuses personnes ont rappelé la nécessaire formation des professionnels (acteurs sociaux, enseignants, juristes, policiers, personnels administratifs...) à la connaissance de ce que vivent les familles très pauvres. Il faut aussi qu'ils aient les moyens d'exercer leur métier. « Les travailleurs sociaux devraient apprendre à mieux connaître les familles. (...) Il faut faire attention à qui on embauche. Il y a d'un côté quelqu'un qui souffre et de l'autre une personne qui, elle, est tranquille » ou encore : « Les enseignants devraient être plus à l'écoute des enfants et tenir compte des problèmes de tous les enfants. » Quand des personnes réclament leurs droits, la responsabilité des professionnels est de les faire appliquer. Trop souvent ils portent un jugement sur elles : « A force de faire des démarches, on en arrive à avoir honte, on nous prend pour des assistés et nous abandonnons. » Les personnes démunies demandent à être comprises et non jugées : « Je suis allée voir un avocat, j'avais peur. S'il n'avait pas été quelqu'un qui connaît le Quart Monde, je serais partie. »

Plusieurs participants ont dit que l'école et ses enseignants ont un rôle important dans l'éducation des enfants à la solidarité. « Dans les écoles, il faut apprendre aux enfants ce qu'est la misère. Il faut qu'ils sachent qu'il y a des enfants et leur famille qui vivent dans la misère. » Cette solidarité doit s'apprendre par la pratique, « elle doit se vivre, en premier lieu, dans la classe », disait l'un des participants.

La mise en œuvre des droits fondée sur l’égale dignité

« Quand la sécurité sociale n'assure plus la prise en charge des personnes, c'est l'aide sociale qui prend le relais. » Avec les aides, on n’est sûr de rien et il est difficile de se construire un avenir dans ces conditions. Les participants ont alors exprimé qu'il était absolument nécessaire que cette loi réaffirme les droits fondamentaux et les rende accessibles à tous. Deux points sont revenus souvent : la complémentarité des droits d'une part et leur application d'autre part.

* L'expérience de vie des plus démunis rappelle sans cesse que les droits sont complémentaires. Qu'il s'agisse du logement, de l'emploi ou de la santé, l'absence de l'un des droits fondamentaux suffit à déstabiliser toute une famille: « S'il manque un des droits, c'est comme s'il nous manquait un de nos membres. »

* Rendre effectif chacun de ces droits devient donc une nécessité absolue. Or, les participants ont souvent fait part des difficultés qu'ils rencontrent pour en bénéficier. En plus du manque d'information, ce sont surtout les délais excessifs et les refus sans raison qui découragent : « Au bout d'un temps, nous sommes moralement épuisés et chaque démarche devient une hantise. » Les participants ont exprimé qu'à partir d'un certain moment, ils se découragent. Ils ne peuvent alors s'en sortir que si quelqu'un fait la démarche de venir à leur rencontre pour les soutenir et les aider à rétablir leurs droits.

Lorsqu’ils doivent faire valoir leurs droits devant la Justice, les participants ont souvent regretté de ne pas être soutenus. « Les HLM avaient un avocat. Moi, je n'en avais pas. J'ai dû me défendre tout seul », a par exemple expliqué une personne qui ne parvenait pas à payer complètement ses loyers. Un accès plus facile aux services de conseils juridiques a été également souhaité.4

Mais c'est aussi à l'occasion de leurs contacts avec les personnels administratifs que les familles en grande difficulté voient leurs droits « rabaissés », portant parfois durement atteinte à leur dignité. Même si elles reconnaissent le dévouement et la compétence de ces personnels, de nombreuses personnes ont subi des propos ou des refus choquants de leur part. Les participants ont ainsi fait part de leur « crainte de ne pas être aidés mais jugés » et demandé à plusieurs reprises qu'une information sur la misère soit intégrée à la formation des travailleurs sociaux et des juges, « pour qu'ils puissent mieux comprendre la vie des gens. »

Parfois enfin, c'est le responsable même de l'application du droit qui ne peut être identifié : « On parle beaucoup de droit au logement, mais à qui s'adresser si on n'a pas de logement, pour en obtenir un ? » L'identification d'un responsable de la mise en œuvre du droit est indispensable pour permettre un recours quand il n'est pas appliqué.

Des moyens convenables d’existence

Bien souvent, les ressources dont disposent les familles ou personnes très défavorisées ne leur permettent pas de vivre une vie décente et d'accéder aux droits de tous.

« Le RMI, qu'est-ce qu'on fait avec le RMI ? Quand on a payé le loyer, l'électricité, il ne reste pas grand-chose pour manger. » Les participants dénoncent les droits au rabais accordés aux plus pauvres en raison de leur manque de moyens financiers : logements insalubres à l'écart de tous moyens de transport, accès à l'école pour les enfants sans possibilité de payer les sorties ou activités qu'elle organise, les frais de cantine... « Quand vous avez faim, si vous n'êtes pas rassasié dans ce besoin physique, vous ne pouvez pas devenir intelligent ; ce n'est pas possible. »

Il est aussi humiliant de voir apparaître, dans tous les domaines de la vie, des dispositifs créés uniquement pour les pauvres en raison de leur manque de ressources : « On ne fait pas les visites à l'hôpital parce qu'on ne peut pas payer. Tout le monde a droit à la santé, d'aller dans un hôpital normal, pourquoi les pauvres doivent-ils aller se faire soigner auprès des associations ? »

Par ailleurs, lorsque des droits sont acquis, un changement de situation peut à tout moment les remettre en cause : « Tant que j'étais au RMI, j'avais droit à la carte santé. Maintenant que j'ai un contrat de travail, je n'y ai plus droit. Je dois voir un spécialiste tous les mois, qui coûte 230 F, plus les médicaments. Comment est-ce que je vais faire ? » Une autre personne a dit : « Avec un stage, on gagne moins qu'au chômage et on perd les droits qui vont avec. »

L’emploi

Dans le domaine de l'emploi, l'attention s'est surtout portée sur le Contrat d'initiative locale (CIL)5 et sur la mise en place d'Itinéraires personnalisés d'insertion professionnelle pour les jeunes (IPIP)6. Les remarques faites par les participants sur le CIL restent en grande partie applicables aux CEC que le gouvernement prévoit de développer, et les réactions à la création des IPIP s’appliquent également pour l’essentiel au dispositif TRACE qui a le même objectif.

Le projet de création de 300 000 CIL en cinq ans a été bien accueilli, notamment pour son avantage par rapport au Contrat Emploi Solidarité (durée de 5 ans, minimum de 30 heures hebdomadaires.)

Toutefois, en dehors même de son financement (voir plus loin), le CIL a également soulevé certaines réserves.

Tout d'abord, les personnes intéressées par le CIL souhaitent acquérir une véritable formation professionnelle au cours du contrat. En plus de l'intérêt d'acquérir des compétences nouvelles, la formation représente une passerelle vers le secteur marchand : « Est-ce que les gens pourront se replacer dans le secteur marchand ? Les compétences acquises seront-elles reconnues ? » Tous revendiquent une certaine stabilité dans l'emploi comme dans tous les autres domaines de la vie afin d'éviter de retomber dans la précarité.

Ensuite, le risque d'une sélection des demandeurs de ce type de contrat en fonction de leur qualification initiale, de leur âge... a été redouté : « Quelles formations va-t-on encore exiger pour accéder au CIL, quelles qualifications ? Y aura-t-il encore des privilégiés, ceux avec et ceux sans diplôme ? Est-ce que ceux qui sont près de l'âge de la retraite pourront en bénéficier ? Que va-t-on faire de tous ceux qui n'auront pas de CIL ? »

Deux sortes de remarques sur la nature du travail proposé ont été formulées : « Une fois de plus, ces contrats vont remplacer de vrais emplois » et « Il faut que ce soit un vrai travail pour donner aux gens envie de travailler. » Ces craintes, en partie contradictoires, montrent l’importance de bien définir le type de travail offert.

Enfin, certaines personnes ont fait part également de leurs doutes quant à l'objectif fixé à 300 000 contrats. « On entend déjà les maires expliquer que les caisses sont vides et qu'ils ne pourront pas en créer. » A ce problème s'ajoute celui des inégalités suivant les départements : « Dans les communes qui ne s'engagent pas, on n'aura pas droit à ces mesures. » L'ensemble des témoignages indique clairement que les personnes en grande précarité seraient très déçues, si l’espoir d’accéder à un emploi que l’annonce de certaines dispositions a fait naître, ne se concrétisait pas.

Le principe de l'Itinéraire personnalisé d'insertion professionnelle pour le jeune a été reçu favorablement. Mais, plus encore que pour le CIL, l'incertitude sur son contenu nourrit un sentiment d'inquiétude. Là encore, l'impératif de parvenir à des débouchés réels est partout présent : « J'ai vécu un itinéraire de stages ; c'est comme si on te promenait de pièce en pièce, finalement tu te trouves dans une pièce noire, la porte fermée, et tu ne peux plus ouvrir la porte. (...) On met le jeune dans le circuit de la formation professionnelle et après c'est fini. Quand le jeune est prêt à travailler, on lui coupe l'herbe sous le pied si on ne l'embauche pas. » Les jeunes redoutent aussi qu'en cas d'échec, on ne leur offre pas une seconde chance.

Certaines personnes ont regretté que l'Itinéraire personnalisé d'insertion professionnelle soit réservé aux jeunes (comme dans beaucoup de dispositifs proposés) : « On parle surtout des jeunes de 16 à 25 ans, donc si vous avez 26 ans, vous êtes un vieux croûton et vous ne comptez pas ! » Les participants regrettent également que le nombre prévu de personnes concernées soit si faible7.

Parallèlement, les jeunes ont exprimé, à leur manière, le manque de liens entre le projet de loi d'orientation et la politique de la ville car : « Ça ne suffit pas d'avoir des occasions d'insertion professionnelle si on doit continuer à vivre dans des quartiers dégradés. »

Plusieurs personnes ont souligné les difficultés financières qui freinent la recherche d'un emploi. En effet : « Il faut avoir un minimum d'argent pour chercher un emploi » (pour prendre les transports en commun, par exemple), minimum dont certains jeunes, en particulier, ne disposent pas.

Enfin la réussite de l'insertion professionnelle des personnes très pauvres dépend essentiellement de la qualité de la relation humaine qu'on établit avec elles : « Le contact humain est irremplaçable. »

La santé

Les participants ont principalement parlé de la nécessité d'avancer les frais de médecin et de médicaments dans bien des endroits, du ticket modérateur et du forfait hospitalier. Ces frais empêchent les plus démunis d'accéder aux soins : « Pourquoi a-t-on le forfait hospitalier à payer quand, financièrement, on ne peut pas y arriver ? »

Les témoignages recueillis indiquent que trop de familles sont encore amenées à renoncer à des soins qui, pour n'être pas toujours urgents, n'en sont pas moins indispensables : « Certains examens médicaux sont hors de notre portée. Du coup, nous ne les faisons pas et nous ne nous faisons pas soigner. » Le mauvais remboursement des lunettes et des soins dentaires, pourtant vitaux, a été évoqué.

« Il faut qu'il y ait une visite médicale tous les ans, c'est l'avenir de nos enfants qui est en jeu. » Le rôle capital de la santé pour pouvoir mener à bien les projets de l'existence, cette santé qui se construit ou se compromet pendant l'enfance, a ainsi été rappelé. Des participants ont souligné l'importance de la prévention dans cette période de l'existence et, plus particulièrement, la faiblesse de la médecine scolaire essentielle pour les plus démunis.

L'accueil à l'hôpital a fait aussi l'objet de remarques : « Il est nécessaire que tant le personnel administratif que le personnel soignant soient formés à la connaissance des personnes les plus pauvres qu'ils accueillent. »

La famille

La question de l'unité de la famille n’est pratiquement évoquée dans la loi d’orientation contre les exclusions qu’à propos de l’accueil en centre d’hébergement. Dans les Universités Populaires, elle a été soulevée spontanément et d'une manière beaucoup plus globale, signifiant à quel point l'intégrité de la vie familiale compte pour les plus démunis. Pour eux, le plus important, c'est le droit à la famille, car elle est le socle : « Un enfant pris dans une famille, c'est le cœur arraché de la famille. C'est le cœur du père et de la mère qui part. »

Deux points en particulier ont été fréquemment évoqués à propos du placement des enfants.

D'une part, les familles insistent sur le manque d'action de prévention pour les aider à faire face à leurs difficultés ainsi que sur une prise en compte insuffisante de leurs problèmes particuliers comme de leurs efforts pour élever leurs enfants malgré tout : « Je trouve qu'il est important de faire tout ce qu'il faut pour maintenir les parents et les enfants ensemble avant qu'il ne soit trop tard, avant qu'ils ne soient séparés. (...) Les assistantes sociales devraient avoir plus de moyens pour aider les familles démunies et être plus près d’elles pour mieux comprendre ce qu'elles vivent. »

D'autre part, si le placement devient inévitable, il est vital pour les familles que le lieu d'accueil des enfants ne soit pas trop éloigné. Il ne faut pas négliger de tout mettre en œuvre pour maintenir les liens avec les enfants, jusqu'à leur retour éventuel : « Il ne faut pas laisser tomber les parents quand les enfants sont placés. » Une fois les enfants placés, il est fréquent de voir sans cesse imposées aux parents de nouvelles conditions qui retardent le retour de leurs enfants : « Ce qui est vraiment aberrant, c'est que quand on fait des progrès, qu'on montre à la justice qu'on est capable d'assumer des enfants, ils trouvent toujours une excuse, en fin de compte, pour ne pas nous les lâcher. Il faudrait que ça change. »

Plus globalement, l'accompagnement social est bien perçu mais à condition qu'il soit bien fait, dans le respect de la dignité des personnes : « La travailleuse familiale ne doit pas dire à la mère ce qu'elle doit faire et lui gérer tout, entièrement. Je demande à ce que les familles puissent s'exprimer avec elle. La mère doit savoir ce qu'elle doit faire et être aidée sans qu'on lui impose tout. »

En définitive, les familles démunies demeurent très inquiètes quant au respect de leur droit à la vie familiale, par ailleurs fortement dépendant de l'application des autres droits (du logement en particulier.)

Le logement

« Quand on perd le logement, on perd tout. » Cette intervention d'un participant suffit à expliquer que le problème des expulsions a été au centre des discussions. Beaucoup de personnes ont également souligné les difficultés d'accès au parc de logements sociaux.

L'accès est rendu difficile, aux yeux des participants, à cause du manque de logements disponibles, de leur coût et du manque de clarté dans les procédures d'attribution.

Concernant l'offre de logements disponibles, le manque de soutien pour permettre aux personnes ayant de très faibles revenus, notamment celles qui touchent des minima sociaux, d'en bénéficier a été mis en avant : « Un logement est trop dur à avoir quand on n'a que le RMI. »

La lenteur et surtout le manque de transparence des procédures d'attribution sont, quant à elles, naturellement mal vécues par les demandeurs. Certaines personnes ont dit attendre un logement social depuis plus de dix ans tout en ayant à renouveler chaque année leur demande sans être informées de l'état d'avancement de leur dossier. La transparence des attributions de logement doit d’abord s’exercer à l’égard du demandeur qui devrait être régulièrement tenu au courant de l’avancement de sa demande.

L'expulsion pour impayés, déjà traumatisante, est d'autant plus choquante que les personnes expulsées ont en général longuement attendu pour accéder à un logement. « J'ai attendu dix ans, d'autres ont attendu quinze, vingt ans... et on les met à la porte du jour au lendemain. » La prévention des expulsions fait donc l'objet d'une demande forte, et ce avant même l'apparition des premiers impayés : « Il faut aider les gens à ne pas s'endetter. »

« Pas d'expulsion sans relogement », ont plusieurs fois réclamé les participants. Mais ici aussi, l'exigence de dignité dans le relogement proposé a été fortement exprimée.

L’éducation et la culture

Cet aspect des droits fondamentaux est souvent laissé de côté tant la culture et le savoir peuvent apparaître comme relativement secondaires pour ceux qui ne connaissent pas la misère. Les participants aux débats nous ont montré avec force qu'elle n'est pas un luxe. La connaissance au sens large n'est pas seulement une porte ouverte vers l'avenir mais aussi un élément indispensable de leur dignité.

L'accès à la culture est bien plus que l'acquisition de compétences scolaires ou professionnelles. Une femme a ainsi témoigné de son désir de ne pas acquérir « seulement une culture pour apprendre à lire et à écrire, mais aussi une culture pour s'épanouir, pour aller plus loin dans nos rêves », tout simplement en fait « pour être bien dans sa peau. » Une autre personne a dit également : « C'est assez difficile de garder des cours de dessin et en même temps de pouvoir manger », mais « de toute façon, si je ne sortais pas un petit peu, je crois que je ne tiendrais plus le coup dans le quartier. »

Les parents sont attentifs au parcours scolaire de leurs enfants. Ils sont soucieux de leur réussite. Plusieurs d'entre eux ont expliqué l'importance qu'ils attachaient à la fonction de parent d'élève. La volonté de dialogue est forte.

Les participants souhaitent que l'école et le corps enseignant fournissent un effort particulier pour l'épanouissement et les bons résultats scolaires des enfants des familles les plus démunies. De ce point de vue, les ZEP sont appréciées, à la condition toutefois qu'elles ne se transforment pas en « ghettos » dont les enfants ne parviendraient plus à sortir. De même, le renforcement de l'accompagnement scolaire prévu par le programme d'action, ainsi que la mise en place d'une formation des enseignants à la réalité de l'exclusion semblent aller dans le sens de l'attente des familles défavorisées8.

Il a par ailleurs été souligné que les enfants des familles les plus démunies participent trop rarement aux activités et sorties organisées par l'école ou les structures sportives et culturelles : « C'est toujours extrêmement difficile pour nous les parents d'aller demander de l'aide et, du coup, il y a des enfants qui ne partent jamais. » Or, leur participation apparaît indispensable à leur épanouissement et à leur intégration à l'école ou dans le quartier.

La lutte contre l'illettrisme fait évidemment figure de priorité, chez l'enfant mais aussi chez l'adulte : « Quand on ne sait pas lire, on est aveugle, c'est difficile de s'en sortir. »

Les participants aux Universités Populaires Quart Monde ont exprimé leur espoir qu’avec une grande loi contre l’exclusion, les droits fondamentaux soient désormais solidement garantis. Ils demandent à ce que leur avis, forgé par l’expérience quotidienne, soit désormais pris en compte. Dans le cas contraire, la déception serait aussi vive que l'est actuellement leur attente.

1 Créées dans les années soixante-dix en Europe, elles sont des lieux publics de rassemblement, de formation et d'échanges entre des adultes du Quart
2 Ancien président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme et vice-président du Mouvement ATD Quart Monde France.
3 Cela confirme le bien fondé de la proposition du Conseil économique et social qui demande, dans son avis sur l'avant-projet de loi d'orientation

- la formation des personnes privées de leurs droits fondamentaux pour leur participation à la vie collective et à l'évaluation des politiques

- la formation des professionnels et des bénévoles, en contact avec ces personnes, à la connaissance des réalités de l'exclusion afin de mieux mettre

4 Le Conseil économique et social, dans son avis déjà cité, a souligné cette exigence à l'égard de toutes institutions et organismes qui délivrent des
5 Ces contrats, prévus par le projet de loi d’orientation de cohésion sociale, étaient des Contrats Emploi Consolidés (CEC) accessibles directement
6 Ces IPIP visaient à permettre aux jeunes de niveau VI et V bis (cf. plus loin une note pour la définition de ces niveaux) de réaliser un parcours d’
7 Le nombre d’IPIP prévu était de 20 000 par an ; le nombre de TRACE devrait quant à lui être, à partir de l’an 2000, de 60 000 par an.
8 De ces deux dispositions qui figuraient dans le programme d’action associé au projet de loi de cohésion sociale, la première a été reprise par le
1 Créées dans les années soixante-dix en Europe, elles sont des lieux publics de rassemblement, de formation et d'échanges entre des adultes du Quart Monde et d'autres personnes qui n'ont pas connu la misère, mais qui la refusent. Ils élaborent ensemble une réflexion sur les différents thèmes sur lesquels ils travaillent.
2 Ancien président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme et vice-président du Mouvement ATD Quart Monde France.
3 Cela confirme le bien fondé de la proposition du Conseil économique et social qui demande, dans son avis sur l'avant-projet de loi d'orientation relatif au renforcement de la cohésion sociale, que les deux objectifs suivants soient inscrits dans l'orientation de la loi :

- la formation des personnes privées de leurs droits fondamentaux pour leur participation à la vie collective et à l'évaluation des politiques publiques ;

- la formation des professionnels et des bénévoles, en contact avec ces personnes, à la connaissance des réalités de l'exclusion afin de mieux mettre en œuvre le nécessaire partenariat avec elles.

4 Le Conseil économique et social, dans son avis déjà cité, a souligné cette exigence à l'égard de toutes institutions et organismes qui délivrent des droits.
5 Ces contrats, prévus par le projet de loi d’orientation de cohésion sociale, étaient des Contrats Emploi Consolidés (CEC) accessibles directement sans passer par un Contrat Emploi Solidarité (CES), destinés aux titulaires de l’Allocation de Solidarité Spécifique (ASS), du Revenu Minimum d’Insertion (RMI) ou de l’Allocation de Parent Isolé (API), et financés par une « activation des dépenses passives », c’est-à-dire en utilisant l’ASS, le RMI ou l’API précédemment versés pour payer une partie du salaire de la personne en CIL. L’idée des CIL a été en partie reprise par la loi d’orientation contre les exclusions, puisque celle-ci rend directement accessibles les CEC. Le programme gouvernemental qui accompagne cette loi prévoit 200 000 CEC en l’an 2000 alors que 300 000 CIL étaient prévus en année pleine par le précédent projet. Par contre, l’embauche des personnes démunies peut être favorisée par le taux de financement plus élevé des CEC que des CIL : ces derniers n’étaient financés qu’à 60 % par l’État alors que la loi contre les exclusions prévoit que la prise en charge des CEC peut aller jusqu’à 80 % pour les personnes les plus en difficulté.
6 Ces IPIP visaient à permettre aux jeunes de niveau VI et V bis (cf. plus loin une note pour la définition de ces niveaux) de réaliser un parcours d’insertion professionnelle sur 18 mois. Le dispositif TRACE a un objectif très proche  : il cible prioritairement - mais non exclusivement - ces jeunes et a également une durée de 18 mois (avec cependant plus de souplesse puisque cette durée peut, par dérogation, être prolongée)
7 Le nombre d’IPIP prévu était de 20 000 par an ; le nombre de TRACE devrait quant à lui être, à partir de l’an 2000, de 60 000 par an.
8 De ces deux dispositions qui figuraient dans le programme d’action associé au projet de loi de cohésion sociale, la première a été reprise par le nouveau gouvernement mais la deuxième, relative à la formation des enseignants, n’apparaît explicitement ni dans la loi d’orientation contre les exclusions, ni dans le programme gouvernemental qui l’accompagne (cf. à ce propos III.H. I. 2)

Rédaction de la Revue Quart Monde

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