Contribution du Club du savoir et de la solidarité d’Île-de-France

Rédaction de la Revue Quart Monde

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Rédaction de la Revue Quart Monde, « Contribution du Club du savoir et de la solidarité d’Île-de-France », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (1998), mis en ligne le 20 septembre 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4768

Depuis de nombreuses années, des jeunes vivant ou ayant vécu la grande pauvreté et des jeunes lycéens, étudiants, travailleurs, se regroupent régulièrement pour partager leurs espoirs, comprendre la société dans laquelle ils sont et défendre les jeunes les plus pauvres, dans les Clubs du savoir et de la solidarité. Ils viennent de Versailles, Trappes, Élancourt (Yvelines), Montmagny et de plusieurs villes du Val d'Oise, Creil et Senlis (Oise), Saint-Denis, Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), Paris, de plusieurs villes du Val-de-Marne et de Seine-et-Marne.

Au mois de novembre 1996, ils ont commencé un travail pour comprendre « l’avant-projet de loi d'orientation relatif au renforcement de la cohésion sociale » à partir de la réalité de vie des jeunes les plus démunis, et pour faire des propositions. Ils se sont d’abord rassemblés au niveau régional pour réfléchir à ce qu'est une loi, à son utilité, aux raisons qui rendent important que la lutte contre la grande pauvreté soit inscrite dans une loi. Puis il se sont réunis dans leurs groupes locaux au cours des mois de décembre 96 et janvier 97 pour préparer des contributions qu’ils ont ensuite regroupées, organisées et précisées sous la forme ci-dessous.

Ce texte a été transmis début 1997 à des députés et sénateurs qui allaient être amenés à travailler sur le projet de loi d’orientation relatif au renforcement de la cohésion sociale.

Nous voulons une société dans laquelle nous sommes des citoyens à part entière

« Aujourd'hui, une partie de la jeunesse est ignorée, mise de côté par rapport au reste de la société. Nous sommes montrés du doigt négativement. Ça n'a pas été notre choix, d'être ce que nous sommes. On ne peut pas négliger la dignité des jeunes, le respect auquel nous avons droit. C'est une étape importante pour que nous reprenions un réel espoir. Le vrai dialogue est prioritaire. La société doit avoir une compréhension des situations que nous, les jeunes, vivons aujourd'hui. »

« Quand on cherche du travail, qu'on suit une formation, il faut bouger et donc la bonne santé est indispensable. Il nous faut des visites médicales et si nécessaire des soins médicaux. »

« Nous avons besoin d'aides financières pour trouver un travail. Certaines mairies proposent des aides pour les jeunes en difficultés qui recherchent du travail (timbres gratuits, rédactions de CV, aides financières pour les transports...), il faudrait que ce soit valable partout et même pour les jeunes qui ne sont pas majeurs. Il faudrait que les jeunes soient mieux informés des aides qui existent. »

« Pour que les jeunes puissent construire leur vie, il faut qu'ils aient un logement convenable leur permettant d'élever une famille (l'électricité et l'eau sont indispensables.) Pour éviter la violence qui se met en place dans des cités et qui empêche les jeunes de sortir de leurs difficultés, il faut favoriser la mixité sociale : On devrait aujourd'hui disperser les logements sociaux sur tout le territoire, y compris et surtout dans les quartiers favorisés pour que les gens soient mélangés avec tout le monde. »

« La société doit donner le droit et les moyens de voter aux gens du voyage, et aussi qu'ils aient le droit de voter dans la ville où ils sont et non pas uniquement dans la commune de rattachement. »

« Il faudrait qu'on puisse passer le permis de conduire ou au moins le code dans le cadre de l'école, gratuitement : le permis de conduire fait partie de la formation générale et nous en avons besoin pour aller au travail. »

Ce que nous voulons dire, c'est que les droits sont indissociables les uns des autres :

* la vie de famille ne peut se construire que si l'on accède au logement ;

* le travail ne peut s'envisager que si l'on a une bonne santé...

Nous proclamons aussi notre soif d'aller à la rencontre des autres, de ne pas être réduits à habiter dans des quartiers mal réputés.

Une école qui tienne compte de ceux qui sont le plus en difficulté

Nous voulons une école qui tienne compte de ceux qui sont le plus en difficulté, qui nous intègre dans la vie et qui mette à l'honneur les savoirs des plus démunis d'entre nous

« Nous voulons établir un lien entre parents, enfants et enseignants pour permettre au monde des adultes de connaître l'univers scolaire. Nous voulons que se mette en place une action de suivi des élèves avec des évaluations régulières et éviter ainsi des problèmes scolaires pouvant mener à une situation d'échec et d'exclusion. Il faut garantir à chacun qu'il aura les mêmes chances de réussite à l'école, qu'il ne sera pas relégué au fond de la classe à cause de ses difficultés. Par exemple, un enfant qui est mal habillé, ne doit pas être laissé de côté. »

« Les écoles devraient proposer plus de cours manuels parce qu'il y a des jeunes qui se sentent plus à l'aise dans des cours où on fait des dessins, de la peinture, du sport, de la menuiserie... que dans les cours de maths, français... C'est important de proposer ces cours, pour que les jeunes qui ont du mal à l'école ne perdent pas courage, pour qu'ils puissent montrer leurs savoir-faire et pour qu'ils prennent confiance. Nous faisons cette proposition : Une école où on suit des cours pour apprendre à lire et écrire le matin et où on fait des ateliers l'après-midi. »

« Pourquoi ne pas créer plus d'ateliers dans les écoles et permettre à des élèves d'autres écoles de venir fréquenter ces ateliers et inversement ? Il faut une plus grande variété d'ateliers (en particulier pour les filles), nous permettant un choix réel et les organiser de telle sorte que tous les jeunes (filles et garçons) aient accès à tous les ateliers. Les échanges inter-écoles pourraient permettre de rencontrer d'autres élèves et d’accéder à des ateliers qu'ils n'auraient pas dans leur école. »

« Il faudrait parler des métiers dès l'entrée au collège et inclure cela dans les programmes scolaires, orienter les jeunes professionnellement dès 14/15 ans, suivant leur choix et non pas celui des enseignants. Nous avons le droit de changer d'avis, d'essayer à fond un métier puis essayer autre chose : nous avons le droit à l'erreur. »

« À l'école, les professeurs doivent faire attention à tout le monde, cela veut dire qu'il faut apprendre aux professeurs à considérer tous les jeunes dans la classe de la même manière. Il faut donner la même chose à tout le monde en faisant attention à ceux qui ont le plus de difficultés. »

« Il faut que les écoles et les bibliothèques soient ouvertes largement et 7 jours sur 7 pour que les jeunes qui ne peuvent pas travailler chez eux aient un lieu d'étude. »

« Déjà, à l'école, on doit commencer à connaître les cultures des autres : par exemple des gens du voyage, des basques, des bretons et des autres communautés qu'il y a en France afin de casser des préjugés et continuer à bâtir une communauté nationale ensemble. »

« Nous voulons une formation permanente des partenaires : enseignants, travailleurs sociaux et organismes qui suivent les jeunes. Le choix des enseignants et des maîtres est important : il faut des personnes qui connaissent les difficultés des jeunes ayant quitté le système scolaire. Une formation permanente de ces enseignants est indispensable. »

L'école doit permettre à chacun d'apprendre à son rythme. Elle ne doit pas nous donner que des connaissances, mais aussi des savoir-faire pratiques. Elle doit nous préparer le mieux et le plus tôt possible à la vie active.

L'école, les bibliothèques doivent être complètement intégrées dans la vie des quartiers, dans la vie des gens.

Nous avons besoin de personnes qui nous comprennent et nous estiment pour apprendre dans les meilleures conditions.

Il faut arriver à ce que nous soyons orientés, non pas en fonction de notre niveau scolaire mais en fonction de ce que nous aimons faire.

Nous voulons une vraie formation professionnelle, un travail où nous sommes reconnus et utiles

* Nos inquiétudes :

« Est-ce qu'après ces 18 mois de formation, nous pourrons avoir un suivi ? Et si on n'a pas de travail, aura-t-on une possibilité de formation pratique en attendant le futur boulot ? »

« Après avoir fait une formation ou un stage, la personne qui a suivi le jeune doit l'aider à trouver un travail. »

« La durée de la formation doit être variable, la fin étant la qualification : 2, 3... 5 ans, selon le niveau de chaque personne. Nous voulons obtenir un diplôme reconnu et un savoir-faire réel en fin de formation, et non pas limiter la durée de l'accompagnement. »

« Quels métiers vont nous être présentés dans les formations ? Y aura-t-il un accès à ces métiers pour tous ? Quel sera notre avenir si nous échouons à la formation ? La recherche d'un employeur est à intégrer dans le processus de formation. »

* Des gens compétents pour nous informer :

« Il faut créer des plates-formes constituées de gens ayant de l'expérience des lieux, qui viennent dans les quartiers pour donner des informations aux jeunes à propos des entreprises. Ceux qui ont le pouvoir d'offrir un emploi se doivent d'être les communicateurs, les informateurs auprès des jeunes. Nous voulons, pour les jeunes en situation difficile, que les structures et personnes d'accueil prévues pour accompagner les jeunes viennent réellement à leur rencontre sur le terrain et ne se contentent pas d'une simple permanence dans un local. »

« Est-il réalisable de former des jeunes comme médiateurs du travail (c'est-à-dire des personnes qui soient formées à la connaissance de différents métiers dans un domaine donné - par exemple, les travaux publics) et qu'avec cette formation, ils puissent aller vers les jeunes des cités et les aider à prendre une orientation pour le bien de leur avenir ? »

« Il faut mettre les organismes comme l'ANPE, les missions locales dans le coup : ils doivent se diriger vers les écoles afin d'informer les jeunes sur ce qui existe. »

« Il faut organiser plus de journées "portes ouvertes" pour informer les jeunes dans les communes afin qu'ils puissent se mettre au courant de ce qui existe sur le terrain. »

* La formation :

« Pendant la formation, un conseiller doit suivre les jeunes, les aider pour qu'ils puissent se débrouiller tout seuls une fois qu'ils sont sortis. »

« Si on n'a pas d'expérience, on veut quand même pouvoir apprendre, car si l'on n'a pas de travail, on n'aura pas d'expérience. C'est un cercle vicieux qu'il faut briser. Et l'absence de diplômes ne doit pas être pénalisante quand on a de l'expérience (apprentissage "sur le tas".) »

« Il faudrait qu'on nous apprenne vraiment à nous exprimer devant un patron ou un maître de stage, à justifier de notre choix de métier, qu'on nous fasse connaître les endroits où on peut s'adresser. »

« Il faut multiplier les formations en alternance : la pratique sur un lieu de travail (avec un employeur) et la théorie ou la technique dans une école ou un centre de formation. Les formations en alternance doivent être réellement qualifiantes, et déboucher vraiment sur des emplois. Il faut que la formation suive les réalités économiques : le travail évolue au jour le jour. » « Il faut aménager des postes de travail recevant des jeunes en formation (stagiaires) avec un patron de stage comme pour les apprentis. Ce patron de stage doit être unique et encadrer le jeune pour ses premiers pas dans l'entreprise. Il doit être d'accord pour cet encadrement et le jeune doit connaître et accepter ce patron. A l'issue de la qualification, cet "apprenti" pourra rester dans l'entreprise s'il le souhaite. »

« La formation doit être permanente et polyvalente dès le départ afin de nous permettre, ainsi qu'aux adultes, d'appréhender un éventail de professions. Nous voulons pouvoir rester dans l'entreprise et devenir à notre tour formateurs pour d'autres. »

* L'accueil dans les entreprises :

« En accueillant un jeune, quelqu'un doit visiter l'entreprise avec lui pour lui montrer et lui apprendre les différentes activités, et lui présenter les membres de l'entreprise. Si cela ne marche pas il ne faut pas le rejeter tout de suite, il faut lui proposer autre chose. » « La première fois qu'on est accueilli dans une entreprise, on doit être bien habillé pour se montrer sérieux, pour prouver qu'on est intéressé au travail. mais ceci n'est pas évident pour tout le monde. »

« Si un jeune ne sait pas lire ni écrire, cela ne doit pas empêcher l'entreprise de l'embaucher parce que, lui aussi, il a des qualités et il peut suivre des cours pour apprendre à lire et écrire. Il faut lui faire confiance. Il faut aider les jeunes sans diplôme car tout le monde a envie de travailler. » « Lorsqu'un jeune démarre dans son travail, il a déjà une plus grande sécurité, il a plus confiance en lui, il est plus motivé. Alors c'est le moment de lui apprendre à savoir bien lire, écrire ou d'autres choses importantes pour la suite de son travail en entreprise. Il pourrait y avoir des heures de cours dans le cadre même de son travail. »

« Nous avons besoin de nous retrouver dans des entreprises avec des gens différents. C'est comme ça qu'on apprend un métier (le partage du savoir.) »

« Si un jeune a fait des bêtises, qu'il est allé en prison, qu'il veut trouver un vrai travail, il faut le soutenir dans sa démarche de recherche d'emploi, lui permettre de trouver un vrai travail pour qu'il puisse vivre honnêtement. Il faut que le juge propose un travail rémunéré lui permettant de vivre, plutôt que d'aller en prison. »

« Nous voulons un contrôle strict des entreprises qui accueillent des jeunes en formation et un système de pénalités pour celles qui abuseraient des avantages proposés par les contrats, et un système d'aides pour celles qui titulariseraient les jeunes (leur fourniraient un emploi stable.) »

« Il faut embaucher en priorité les jeunes les plus défavorisés. »

« Il faudrait pouvoir obtenir de tout petits prêts bancaires pour démarrer un travail : par exemple, faire les marchés ou d’autres activités marchandes... »

Rédaction de la Revue Quart Monde

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