Atelier 3 : «Comment renforcer les capacités des populations pauvres et leur accès aux droits fondamentaux ?»

Louis Join-Lambert

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Louis Join-Lambert, « Atelier 3 : «Comment renforcer les capacités des populations pauvres et leur accès aux droits fondamentaux ?» », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (2002), mis en ligne le 27 octobre 2010, consulté le 02 décembre 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4870

Nous avons surtout traité la première partie de la question en nous appuyant notamment sur les exposés introductifs des quatre intervenants. Deux de ces interventions concernaient des projets de terrain, l’un en Pologne présenté par Tomasz Sadowski, directeur de l’association Barka, l’autre présenté par Ian Tilling de l’association Casas Ioana, à Bucarest en Roumanie. Le troisième exposé de Silva Armindo de la Commission européenne faisait le lien entre la stratégie européenne de soutien à la lutte contre la pauvreté et la perspective d’adhésion des pays candidats d’Europe centrale et orientale. Un quatrième exposé a été donné par Gunda Macioti qui a réussi la périlleuse mission de présenter à grands traits la contribution d’une personne de Moldavie, Nina Orlova, qui n’a pu venir et dont nous avait déjà parlé Xavier Godinot dans son introduction en plénière.

Je vous rendrai compte de nos travaux en m’inspirant beaucoup du schéma qui nous a été communiqué sur la démarche prospective.

1. Les acteurs

En prenant les acteurs comme premier point, nous avons d’abord parlé des pauvres y compris ceux que j’appellerai ici « les pauvres déguisés », par analogie au chômage déguisé dans les pays de l’Est. En effet, officiellement il n’y avait pas de pauvres dans les régions communistes : en réalité, les personnes paupérisées étaient internées et prises en charge par des institutions. Les deux premiers exposés nous présentaient des projets suscités en partie parce que ce dispositif des institutions craquait. Pendant la réforme des anciens États communistes, beaucoup ont senti le sol (du travail, du logement) se dérober sous leurs pieds et, en quelques années, ils ont subi individuellement une perte importante de leurs capacités.

Les deuxièmes acteurs dont nous avons parlé sont les institutions. Ne recevant plus de budgets suffisants, elles n’ont pu répondre aux situations inédites, notamment en termes de capacité d’accueil. En Moldavie, une véritable crise de confiance est apparue vis-à-vis des institutions qui avaient traditionnellement un rôle important par rapport au placement des enfants ou au niveau de la psychiatrie et de la prison. En fait, les pouvoirs publics, locaux et nationaux, gérant ces établissements, se sont trouvés dans une véritable crise d’identité : le projet politique changeant, ils se devaient d’en prédire les conséquences tout en s’organisant à nouveau complètement en interne.

L’Union européenne nous est apparue comme ayant un rôle restructurant pour ces gouvernements. Nous développerons davantage ce point dans le paragraphe suivant relatif aux facteurs.

Nous avons beaucoup parlé aussi des ONG, comme acteurs. Les initiatives locales prises par les ONG étaient expérimentées dans la crainte due à la fragilité et au manque de clarté de leurs relations avec les pouvoirs publics qui néanmoins les encourageaient parfois. Elles se sont renforcées en cherchant des appuis internationaux auprès d’autres ONG, à la fois pour des questions de recherche de financement et d’échange de savoir-faire et à des fins de complémentarité.

Je note que nous n’avons guère parlé des entreprises, y compris au niveau local, alors que peut-être nous aurions eu des expériences à partager.

2. Les facteurs

En écoutant les différents projets présentés, on peut dégager plusieurs facteurs qui apparaissent essentiels aux intervenants. Le premier facteur est la grande désarticulation des États survenue avec l’ouverture du marché et particulièrement l’incertitude des États nouveaux lors de leur création. Un autre facteur, ce sont aussi les exigences liées au projet d’adhésion à l’Union européenne ; exigences que les gouvernements saisissent d’abord, semble-t-il, surtout en termes de problèmes économiques et administratifs ; le social restant le parent pauvre de cette vision. Ces deux facteurs ont été longuement discutés dans notre atelier. Les intervenants ont aussi reconnu un facteur de changement : celui de l’évolution personnelle des plus pauvres, leur capacité à s’adapter et à se former à travers différentes situations.

Quatrième facteur mis en évidence : les initiatives prises par les ONG s’inscrivant dans des réseaux de dimension internationale. J’aimerais souligner que les ONG sont extrêmement importantes dans les relations avec les États ou les pouvoirs publics. Le cinquième facteur, très bien développé dans notre atelier, est la structuration de plus en plus forte de l’Union européenne. Au fond, les gouvernements acceptent les exigences et les contraintes de l’Union européenne lors du processus d’adhésion avec l’espoir que cette adhésion, une fois réalisée, leur donnera ensuite de nouveaux moyens financiers au niveau de l’Europe mais aussi des moyens en termes de législation, de gestion de l’économie et donc, d’une manière générale, d’une meilleure régulation au sein du pays.

Nous constatons, en parallèle, que le renforcement des structures de l’Union européenne a pour conséquences un contrôle plus intense, voire la quasi-fermeture des frontières de l’Union européenne en corrélation avec l’accroissement de l’immigration. Xavier Godinot nous a donné l’exemple de la Moldavie. Ce pays entretenait des liens forts avec la Roumanie.La frontière de l’Union européenne se situera entre ces deux pays et risquera de rompre des relations importantes en mettant fin à la facilité des échanges. La Moldavie nous est apparue comme un pays dont le moral et les perspectives sont en quelque sorte complètement brisés par cette structuration de l’Union européenne : une situation très sombre et déprimante.

Autre aspect, la comparaison entre les pays, c’est-à-dire le concept de convergence qui implique que les pays soient capables de se situer dans une marche commune. On a beaucoup parlé des indicateurs. Cette recherche de convergence implique qu’il faut être capable de décrire la nature de la connaissance qu’on va chercher à collecter afin que les comparaisons faites soient les plus justes possible. Il faut aussi être capable de prévoir les conséquences sur les pays dans l’application de tels critères de convergence. Nous avons alors souligné qu’il ne fallait pas sous-estimer la pertinence des indicateurs monétaires qui sont justement faciles à comparer et qui reflètent quand même l’importance des situations des personnes ou des ménages face au marché. Pour autant, l’enjeu de la participation des populations à la définition de ces indicateurs reste primordial pour que les besoins de ces populations ne soient pas simplement définis par d’autres : les indicateurs ne doivent pas seulement refléter des données économiques mais avoir également une portée politique.

Sur ce plan de la connaissance et d’un système de comparaison entre pays, le risque est de ne plus prendre en compte certaines différences. L’Espagne et la Pologne, par exemple, mettent en avant dans le secteur informel beaucoup d’initiatives, voire toute une manière de vivre, relevant de la prise de responsabilité des personnes en situation de grande pauvreté. Les responsabilités et initiatives personnelles, familiales ou locales qui ne seraient plus reconnues selon les critères de l’Union européenne, seraient amenées à disparaître : sans soutien, les personnes en charge seraient obligées de les abandonner.

Sixième élément classé dans les facteurs : les échéances politiques de l’Union européenne. L’Union européenne dispose de toutes sortes de dispositifs devant permettre aux États de se mettre d’accord sur les objectifs à atteindre et les mesures à prendre. Je pense qu’il est important, en effet, que les États soient d’accord sur les objectifs pour parvenir à construire une Europe forte. Pour autant, face aux États-Unis, il est difficile d’évaluer dans quelle mesure la protection apportée par l’Europe à ses pays membres serait effectivement suffisante.

Nous avons pris connaissance de plusieurs projets et de leur date de mise en œuvre. Par exemple, les programmes nationaux d’action contre la pauvreté pour les cinq ans prochains avec la participation des ONG dans l’élaboration et l’évaluation (une table ronde étant prévue sur l’exclusion sociale pour énoncer les objectifs à atteindre pour 2003). L’année 2004 sera la prochaine date d’entrée de pays candidats. Quant à l’objectif de réduire de moitié le taux de pauvreté d’ici l’année 2010, celui-ci a fait l’objet d’une intense discussion dans notre groupe.

3. Nous avons envisagé plusieurs pistes à suivre pour l'avenir

Nous avons retenu la formation en soulignant que les capacités des populations pauvres se révèlent lorsqu’elles disposent d’une certaine sécurité dans la durée. Les personnes ayant vécu dans la rue doivent être fortement soutenues pour retrouver leurs capacités. Il faut aussi leur permettre d’entrer dans le dialogue de la société. Les personnes partenaires, les professionnels mais aussi les élus locaux, doivent apprendre comment créer le partenariat permettant ce dialogue.

Autre point retenu, l’importance de la coopération, d’une part entre ONG et gouvernements, d’autre part entre ONG y compris au niveau international.

Nous avons remarqué que les gouvernements et les acteurs économiques et sociaux semblent généralement inquiets de la situation. En Pologne, le début du développement (et du soutien au développement) de la société civile représente une chance et un espoir.

Il se peut que les ONG comme les gouvernements aient tendance à espérer que l’Union européenne pourra résoudre tous leurs problèmes : nous pensons qu’il faut se méfier de cet espoir. Les ONG et les gouvernements sont obligés d’apprendre à travailler ensemble et à développer cette capacité. Les ONG représentées nous disaient : « Dans notre fragilité, le contact avec l’expérience des ONG au niveau international est vital pour nous : il nous donne une sécurité et nous permet de comprendre plus vite ce que nous vivons. »

Les critères de convergence nous emportent dans la perspective d’un grand mouvement : nous nous sommes demandés si celui-ci n’allait pas écraser la diversité. Nous en avons parlé en considérant l’approche des indicateurs qui renieraient certaines différences. Nous avons repris le thème de la diversité des populations en évoquant les populations tsiganes très présentes dans les pays d’Europe centrale et orientale. Nous avons beaucoup à apprendre des expériences faîtes tant à l’Ouest qu’à l’Est. Penser la question uniquement en termes d’intégration n’est pas forcément la meilleure façon d’avancer. Par contre, nous pensons qu’il existe un phénomène de peur enfouie. Ce phénomène est un point non négligeable si l’on veut accueillir cette diversité ; aussi il ne faut pas hésiter à révéler et à identifier cette peur.

Conclusion

Nous pensons qu’il y a vraiment tout un apprentissage à faire pour élargir notre vision tant à l’Ouest qu’à l’Est. D’autre part, chaque société a son histoire de la pauvreté et ses contraintes actuelles qu’il faut savoir respecter. Au sujet de la Pologne, Tomasz Sadowski nous disait : « Je crois que le développement des groupes d’entraide est quelque chose qui correspond bien aujourd’hui à la situation et à l’histoire polonaises. Veillons à ne pas casser les initiatives possibles, les ressorts et les énergies existants. »

Nous sommes d’accord aussi pour dire que la démocratie en Europe de l’Ouest n’est pas forcément un modèle absolu et qu’il serait bon, en travaillant davantage avec nos amis des pays candidats à l’adhésion mais aussi avec l’ensemble des pays d’Europe, de réfléchir à la vitalité et aux responsabilités à prendre dans nos propres démocraties.

Louis Join-Lambert

Volontaire-permanent d’ATD Quart Monde, de l’antenne de Neudorf (Allemagne) chargée des contacts avec l’Europe de l’Est

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