Ce projet est né d’une visite organisée entre l’ambassade de France et le Mouvement ATD Quart Monde en janvier 2008, dans le quartier de Piedra Santa, dans la Zona 3, avec l’équipe de Rama Yade - alors Secrétaire d’État aux droits de l’homme (France). Un des membres de son équipe, qui s’appelle Éric Walter, en découvrant ce qu’était la réalité de ces familles qui travaillent dans la décharge municipale, a entamé une réflexion avec le responsable de l’équipe au Guatemala sur la possibilité de monter un projet de créations artisanales, à partir de matériaux recyclés, qui permette à ces familles d’apprendre un métier alternatif ou en parallèle à leur travail dans la décharge.
Un projet à l’échelle d’une ville
À partir de 2009 s’est mis en place un processus avec une autre association, (Instituto para la Superación de la Miseria urbana en Guatemala : Institut pour vaincre la misère urbaine au Guatemala) avec laquelle ATD Quart Monde collabore depuis plusieurs années. Il s’agissait d’un projet non seulement avec des familles qui avaient travaillé ou qui étaient liées à la décharge, mais aussi avec d’autres familles que nous connaissons dans les différents quartiers où nous sommes présents. C’est la subvention de l’ambassade de France qui nous a permis de lancer ce projet, et par la suite la Tienda Esquipulas d’Ana Carrillo a accepté de vendre nos créations artisanales dans sa boutique à Paris.
Nous avons lancé ce projet1ensemble et nous nous sommes rendu compte dès le début qu’avec la subvention que nous avions et avec nos forces en tant qu’équipe, nous ne pouvions pas le concevoir comme un projet qui permette aux familles d’avoir un travail à temps plein. Nous avons donc décidé de proposer deux après-midi par semaine pour lancer le projet, proposer de venir à la Casa Cuarto Mundo pour se former pendant les six premiers mois à la réalisation des produits artisanaux. Et cela avec l’idée de donner une indemnité aux personnes impliquées dans le projet, pour qu’elles puissent se libérer de leurs activités quotidiennes. En effet, la majorité des familles travaille au jour le jour, que ce soit dans la vente de fruits, ou en faisant des tortillas. Concrètement, ce qu’elles gagnent, c’est juste ce qu’elles dépensent pour manger pour la journée. D’une certaine manière, le rêve du projet c’est que pour certains, sinon tous, cela devienne la principale source de revenus, mais, pour le moment, nous concevons cela comme un revenu de complément pour les personnes impliquées.
Même si, au début, le projet est né à partir de la Zona 3, du quartier de Piedra Santa, à côté de la décharge municipale, nous nous sommes tout de suite rendu compte que la situation vécue par les familles dans les différents quartiers où nous sommes présents était réellement très précaire par rapport au travail. Cela nous a poussés à créer un groupe dans lequel seraient impliquées deux à trois familles de chacun des quartiers où nous sommes présents.
Nous avons proposé un groupe dans lequel nous cherchons certains équilibres : des personnes qui avaient une vie très difficile, mais qui avaient certaines capacités manuelles comme des compétences au niveau artisanal, avec des personnes ayant peut-être moins d’expérience dans ce type de travaux ; d’autres, issues des mêmes quartiers, qui avaient plus de sécurités dans leur vie ; et des personnes ayant une certaine sensibilité envers le reste du groupe, des personnes militantes vivant déjà cette dimension d’activité de recherche d’un projet qui puisse bénéficier à toutes les personnes.
Un projet qui dépasse la stricte formation
Nous n’avons jamais voulu réaliser un projet qui permette à ceux qui ont de plus grandes compétences de gagner plus et de s’en sortir, en laissant d’autres derrière eux, sans possibilités de gagner autant d’argent.
Le travail des mercredis et vendredis dans la Casa Cuarto Mundo est d’abord centré sur la formation et sur la création artisanale. Les moments où nous sommes ensemble par ailleurs nous permettent de construire une relation qui va bien au-delà du travail manuel ou de la production. Les visites aux familles, les Rencontres en famille (sorte d’Universités populaires Quart Monde), la marche du 17 octobre à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère, la sortie pour célébrer la Journée internationale de la famille, etc., construisent une confiance entre nous. Cette confiance permet à ceux qui ont le plus de difficultés de sentir qu’ils font partie d’une même communauté et d’un même combat. S’ils ont des difficultés pour fabriquer un produit artisanal, ils savent que nous sommes ensemble, dans quelque chose de plus large que la seule production.
Un exemple me paraît important : une des personnes de la Zona 21 a eu un conflit avec une maîtresse qui venait pour nous aider dans les premiers mois de formation et elle a cessé de venir à la formation. Grâce à l’histoire que nous avons avec cette famille, grâce à la relation de confiance construite pendant de nombreuses années par toutes les actions où nous sommes ensemble, cette fille a fini par revenir dans le projet, sans avoir honte de ne pas avoir été capable d’aller jusqu’au bout de la formation. Ensuite les personnes impliquées dans le projet l’ont accompagnée pour lui apprendre à fabriquer les produits artisanaux qu’elle n’avait pas été capable d’apprendre à fabriquer durant les premiers mois de formation.
Des défis à relever
Ce projet est évidemment un projet économique, ce qui signifie que nous avons différents défis à long terme, pour que le projet soit durable. Jusqu’à maintenant nous avons trouvé différents points de vente : la Tienda Esquipulas, dont je parlais plus haut ; mais aussi, au Guatemala, la Casa Cervantes, avec sa boutique de commerce solidaire qui se trouve dans la Zona 1 de la capitale ; et une autre association qui est aussi une école de formation artisanale. Nous devons consolider ces points de vente, mais nous devons également trouver de nouveaux marchés pour permettre une réelle reconnaissance du travail de ces personnes, pour qu’il soit apprécié et permette à ces familles de gagner de l’argent.
Dans ce projet, dès le début, nous avons voulu travailler avec d’autres associations. Nous nous sommes rendu compte, avec l’expérience, de l’importance d’une collaboration à différents niveaux et du fait que ces associations apportent des dimensions que nous-mêmes ne pouvons pas assumer. Nous avons le défi de continuer à chercher d’autres personnes pour collaborer avec nous. Maintenant nous avons commencé une relation très intéressante avec l’Université Rafael Landívar, grâce à des étudiants en design artisanal, qui viennent dans les ateliers pour rencontrer les personnes, pour découvrir sur quoi elles travaillent, ce dont elles sont capables, et pour nous faire des propositions, de manière à améliorer nos productions artisanales et à les rendre plus jolies, plus vendables et plus actuelles. Nous espérons que cette collaboration avec des étudiants pourra continuer dans les prochaines années.
Un autre grand défi consiste pour nous à pouvoir atteindre davantage de familles et de personnes, y compris des personnes qui n’ont pas une vie quotidienne confrontée à l’extrême pauvreté. Des personnes intéressées à travailler avec celles qui ont eu une vie plus difficile, et à apprendre ensemble à créer un projet économique qui prenne tout le monde en compte.
Partager les responsabilités
Dès le début, nous avons voulu penser le projet avec les personnes impliquées. Nous avons ainsi débuté des réunions en janvier 2009 pour réfléchir sur le rythme, mais aussi sur le montant des indemnités, sur les horaires. Nous faisons également des réunions périodiques pour voir si le projet avance comme le veulent les personnes. Elles apportent des idées pour améliorer les produits artisanaux. Tout cela forme une dynamique selon moi essentielle, mais c’est aussi un défi où la responsabilité de l’animation du projet est de plus en plus partagée.
Ce projet n’est pas qu’un projet économique : le défi en toile de fond consiste à se montrer capables de faire société ensemble. En ce sens, je mets en avant, par exemple, la manière dont certaines personnes ont été libérées de leur peur, en commençant à participer à ce projet. Au départ, elles n’étaient pas sûres d’elles-mêmes ; elles étaient pessimistes ; elles ne participaient pas beaucoup ; elles ne parlaient pas ; et aujourd’hui ces mêmes personnes ont gagné en confiance, en sécurité, également en capacité de création artisanale - car évidemment il y a aussi cette dimension - ; aujourd’hui, elles participent, elles sont d’une certaine façon responsables avec les autres de l’avancement du projet.
C’est en situant le projet dans cette présence plus globale du Mouvement au Guatemala qu’on en trouve le cœur : comment faisons-nous société ?