Violences inimaginables

Moustapha Diop

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Moustapha Diop, « Violences inimaginables », Revue Quart Monde [En ligne], 222 | 2012/2, mis en ligne le 05 novembre 2012, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5366

L’auteur a participé aux différents séminaires régionaux préparatoires. Devant le public du colloque de l’Unesco, il explicite ce qu’il a appris. Son regard d’Africain humaniste est précieux.

Index de mots-clés

Violence, Paix, Insécurité

Bonjour à tous, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, chers invités, chercheurs, universitaires, et militants du Mouvement ATD Quart Monde.

Je suis ici pour amener le témoignage, pour écouter et partager avec vous le problème de l’extrême pauvreté qui se passe sur notre planète, sur ce thème : La misère est violence, rompre le silence et faire place à la paix, pour dire ce que j’ai appris dans ce colloque avec trois ans de recherche qui ont démarré sur l’île Maurice. A ce moment-là je ne comprenais pas la thématique des mots : misère /violence/ rompre le silence et paix.

Avec ces multiples rencontres, je suis parvenu à comprendre les violences qui se passent à travers le monde. Je pensais que ça ne se passait que chez moi au Tiers Monde, mais j'ai vu que dans les plus grandes capitales du monde des pays les plus développés du monde, il se passe des injustices qu'on ne peut pas imaginer.

Par exemple, ce qui s'est passé dans les prisons aux États-Unis au moment de l'ouragan Katrina où les détenus ont été enfermés dans leurs cellules alors que l'eau montait et qu’ils n'avaient pas de quoi manger ni boire. Ils étaient obligés de boire cette eau polluée et sale pour sauver leur vie.

La plus grande surprise, c’est dans un pays comme l’Espagne, où il y a des dizaines de milliers de sans-abris alors qu’il y a six millions de logements vides. Il y a eu des morts de personnes qui vivent dans la rue. Ça n’est pas imaginable dans cette planète qu’on dit chercher à développer.

En France, particulièrement vers le Val d’Oise, j’ai entendu qu’on prenait des enfants pour les placer à l’action sociale et cette doléance-là je l’ai apprise aussi d’autres pays d’Europe.

Nous, si on  dit dans nos pays qu’il se passe dans les pays européens des injustices capitales qu’on ne peut pas expliquer, ils ne vont pas nous croire. Parce que nous, malgré qu’on soit pauvres, qu’on vit dans la misère, quand même nos enfants, ce sont nos richesses.

En Afrique, nul n’ose nous prendre nos enfants pour les placer à l’assistance sociale, ça, nul n’ose le faire.

Ce qui s’est passé en Haïti après le séisme, où les autorités retournaient prendre des villages aux pauvres paysans, les déplaçaient pour y implanter des productions agricoles au profit des investisseurs de multinationales très puissantes. Cette violence-là, je ne parvenais pas à la comprendre, parce que, en plus de ces catastrophes naturelles qui sont déjà des violences, les victimes subissaient d’autres violences de la part de ceux qui devaient les protéger de ces catastrophes.

En Amérique latine, aux Philippines, au Pérou, en Bolivie, au Mexique, j’ai entendu ces mêmes injustices qui se passent à travers cette planète.

Dans l’Océan Indien, c’est la même chose que j’ai entendue dans les témoignages auxquels j’ai assisté.

Plus particulièrement au Sénégal nous avons des violences institutionnelles. Les politiques accaparent nos terres. Ils font passer l’autoroute dans le quartier le plus pauvre, de l’aéroport jusqu’aux stations balnéaires, pour faire passer les véhicules des touristes.

Dans la zone rurale ils se permettent de donner aux multinationales de l’agrobusiness les terres des paysans pauvres et eux, ils les font employer comme des travailleurs des multinationales pour faire les récoltes des produits de la terre. Toutes les récoltes sont toujours exportées vers les pays les plus développés et la faim est toujours là.

Au Moyen-Orient, au Liban, j’ai entendu de ces révélations que je n’aurais jamais pu croire. Des enfants qu’on ramassait et qu’on mettait en prison pour faire place aux touristes. Des gouvernantes qu’on enfermait dans les maisons et à qui on prenait leurs passeports.

C’est cette gravité-là qui nous fait peur. Il est temps  de rompre le silence, de parler haut et fort, nous les plus démunis de la planète. Dénoncer les violences faites aux pauvres, faire entendre nos voix de désespoir et de regret.  Parce que ces gens qui nous font ces violences, sont nos semblables. Ces injustices-là, vraiment, j’aurais rêvé un jour ou l’autre de pouvoir le dire. Mais où le dire et quand le dire ?

A travers ce Colloque, j’ai pu, ensemble avec les populations du monde, parler avec des interlocuteurs qui, je crois, pourront entendre.

Vous qui êtes là, universitaires, chercheurs, militants d’ATD Quart Monde qui faites partie des populations les plus pauvres, je vous prie de vous associer à cette lutte-là pour être ensemble, pour regrouper nos forces pour être des interlocuteurs au niveau des autorités.

Parce que chez moi je voulais le dire, mais quand je le disais, on me prenait pour un marginal.

Qu’est-ce qu’il faut faire pour sortir de la misère et de l’extrême pauvreté partout dans le monde ? C’est le problème que je me pose.

Moustapha Diop

Moustapha Diop est militant d'ATD Quart Monde au Sénégal.

CC BY-NC-ND