Une famille humaine, de la nourriture pour tous

Adriana Opromolla

Traduit de :
Una sola famiglia umana, cibo per tutti” : La Campagna per il 2014-2015 di Caritas Internationalis

Citer cet article

Référence électronique

Adriana Opromolla, « Une famille humaine, de la nourriture pour tous », Revue Quart Monde [En ligne], 230 | 2014/2, mis en ligne le 01 janvier 2015, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5918

Se nourrir n’est pas seulement un besoin humain fondamental, mais c’est aussi un droit. Ce droit est bafoué chaque jour pour 842 millions d’enfants, de femmes et d’hommes qui souffrent de la faim dans le monde. Le droit à l’alimentation est au cœur de la campagne de Caritas Internationalis : Une seule famille humaine, de la nourriture pour tous.

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Alimentation

Selon la FAO1, un huitième de la population mondiale souffre de la faim dans le monde d’aujourd’hui, alors que, selon Magdalena Sepulveda, rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté dépasse le milliard. Dans le monde actuel, la faim et la malnutrition ne sont pas causées par une production insuffisante de nourriture : elles sont dues à un accès limité à la nourriture, à un revenu suffisant ou aux ressources productives (terre, eau, semences, instruments et technologies) permettant aux personnes en situation de pauvreté de produire elles-mêmes les aliments dont elles ont besoin ou d’avoir assez d’argent pour pouvoir les acheter.

Politiques inadéquates et inégalités flagrantes

La principale cause de la faim est aujourd’hui la distribution inique de la nourriture, de l’eau, de la terre et de l’ensemble des ressources productives. Cette situation est aggravée par le fait qu’en de nombreux pays, tant au Nord qu’au Sud, les politiques publiques favorisent les intérêts de l’agriculture industrielle, de l’élevage et de la pêche commerciale et non ceux des petits agriculteurs, des bergers ou des pêcheurs artisanaux. La marginalisation et l’appauvrissement des petits producteurs sont une conséquence de ces politiques inadéquates.

Dans un monde qui a atteint un niveau généralisé de bien-être inconnu jusqu’ici, les inégalités sociales sont de plus en plus flagrantes. S’ajoute à cela un niveau record de gaspillage alimentaire qui aggrave encore cette inégalité impressionnante. La surproduction et l’excès de consommation alimentaire sont une vraie insulte aux centaines de millions de gens qui souffrent de la faim au cœur une société d’abondance.

Nécessité d’adopter des visions à long terme

Le monde doit en outre affronter aujourd’hui d’autres défis, sans précédents : la pollution, les changements climatiques, la disponibilité de plus en plus limitée de ressources naturelles telles que l’eau, la terre ou les forêts. Garantir la sécurité alimentaire pour une population en croissance ne peut plus passer à travers l’industrialisation de l’agriculture et un marché à grande échelle.

Telle fut la direction suivie à partir des années 60, en pleine période d’expansion économique et alors que la demande en nourriture ne cessait de croître. Aujourd’hui par contre, suite aux grands changements sociaux et économiques vécus par la planète, il faut repenser la production et la sécurité alimentaire en même temps que la question, parallèle et complémentaire, de la gestion correcte des ressources naturelles dans une perspective de durabilité.

Pour vaincre la faim, la malnutrition et la pauvreté il faut changer une fois pour toutes les politiques qui interdisent l’accès aux ressources productives et à un revenu suffisant pour les plus vulnérables. Cela nécessite des politiques de production durable, tant à grande qu’à petite échelle. Cela requiert de favoriser la création de revenus à travers l’emploi et de renforcer la protection sociale pour ceux qui n’en bénéficient pas. Cela implique des investissements dans les infrastructures, y compris dans le domaine de la santé. Il faut surtout adopter des visions à long terme afin de prévenir les crises futures et se préparer à en combattre et limiter les effets.

La faim chronique et la malnutrition constituent une offense grave à la dignité humaine. Caritas est convaincue que notre monde dispose de ressources alimentaires pour tous à une condition : que nous vivions comme une seule et unique famille humaine. Nous nous sommes fixé le terme symbolique de 2025 pour atteindre cet objectif.

Une option préférentielle pour les pauvres

Avec la campagne Une seule famille humaine, de la nourriture pour tous, les sections Caritas du monde entier entendent proclamer l’urgence de faciliter l’accès aux ressources, d’adopter des politiques commerciales équitables et des politiques agricoles durables, afin de garantir le droit à l’alimentation. Ceci en mettant en évidence de manière particulière le rôle des femmes dans la production agricole et dans le développement économique. À cette contribution particulière des femmes à la sécurité alimentaire sera destiné le prix international Femmes, semeuses de développement, qui mettra en valeur des initiatives féminines qui, dans le monde entier, mettent créativité et innovation au service d’une alimentation saine et de qualité, garantie à tous.

Inverser la tendance n’est pas une chose simple, mais nous croyons que c’est possible et que c’est impérieux. La mission de Caritas se fonde sur l’option préférentielle pour les pauvres et, dès lors que pour nous la nourriture a aussi une valeur transcendantale, cette campagne se concentre sur le droit à l’alimentation, qui est le droit de tous, en particulier des plus pauvres, à se nourrir avec de la dignité. Les Caritas du monde entier travailleront pour aider leurs gouvernements et les institutions internationales à adopter de nouvelles politiques, plus efficaces et plus favorables aux pauvres.

Sans garanties solides, d’ordre législatif et politique, le risque d’insécurité ou de discrimination persistera. Rétablir une répartition claire des droits et des devoirs, en ce compris ceux du secteur privé, offrira des bases durables pour atteindre l’objectif de la sécurité alimentaire. Le droit de tout être humain à une alimentation adéquate est depuis longtemps déjà reconnu dans les instruments juridiques internationaux auxquels la grande majorité des États a adhéré : de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, au Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels de 1966, sans compter les instruments régionaux adoptés en Amérique Latine et en Afrique. En 2004 la FAO a adopté les « Directives volontaires à l’appui de la concrétisation progressive du droit à une alimentation adéquate »2 dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale

Elles sont un guide pour les États, recommandent des actions à entreprendre et cherchent à favoriser l’intégration des droits de l’homme dans les politiques relatives à l’alimentation.

Une campagne, des programmes et des outils

Un autre axe important de la Campagne se concentre sur la mobilisation et la sensibilisation du réseau Caritas et, en général, de la communauté ecclésiale et civile, à travers la récolte et la diffusion de bonnes pratiques qui, si elles sont davantage connues, peuvent contribuer à une plus grande prise de conscience des problèmes liés à l’insécurité alimentaire et encourager le changement des attitudes et des comportements. Dans cette perspective, sera diffusée une charte de la citoyenneté responsable qui illustrera de quelle manière on peut lutter contre la faim et l’insécurité alimentaire à travers une modification de nos styles de vie. Les médias et les secteurs de la formation et de l’éducation auront une responsabilité évidente dans ce domaine.

Un autre axe de la campagne tourne autour de l’implication directe et à la participation des gens qui vivent en situation d’insécurité alimentaire à la formulation des politiques locales et nationales qui les concernent. À travers un groupe de travail ad hoc, nous sommes en train de recueillir les revendications des Caritas du Sud et du Nord du monde, pour pouvoir contribuer à la reformulation de l’agenda de développement Post-2015. Ceci devrait permettre de faire émerger la vision propre et les propositions des populations les plus vulnérables et les plus marginalisées.

Depuis de nombreuses années, les organisations Caritas travaillent sur le terrain, aux côtés des plus pauvres. À titre d’exemple, face à la détérioration de la situation alimentaire au Zimbabwe, du fait de la sécheresse prolongée, Caritas Zimbabwe, dans le diocèse de Mutare, a adopté un programme de subsistance durable dans quelques districts ruraux. Ce programme vise à assurer de manière permanente les moyens essentiels à l’alimentation domestique par la promotion d’une agriculture soutenable et respectueuse du milieu et aux techniques de micro-irrigation. Grâce à ce programme, le revenu des familles rurales a augmenté d’environ 20-25 $ par mois en 2011, d’environ 70 $ par mois en 2012, grâce à la vente de ce qui avait été produit en surplus.

Caritas soutient aussi les pauvres à travers son activité de plaidoyer : par exemple, après la crise alimentaire globale de 2008, le gouvernement du Costa Rica voulut revoir ses politiques agricoles en offrant aux organisations d’agriculteurs l’opportunité de négocier des politiques plus équitables. Caritas Costa Rica s’est engagé en ce sens en réunissant les représentants des principaux syndicats agricoles pour recueillir leurs opinions sur la crise alimentaire.

Quand les agriculteurs ont demandé à Caritas de les aider à élaborer une proposition politique, Caritas a organisé plusieurs rencontres entre juin 2008 et novembre 2011, avec une série d’organisations. Cette collaboration a donné lieu aux recommandations politiques en matière de sécurité et souveraineté alimentaires.

Un des fondements de la campagne Une seule famille humaine, de la nourriture pour tous est aussi celui de la lutte contre le gaspillage alimentaire. L’Évangile de Jean raconte l’invitation lancée par le Christ aux disciples : « Recueillez tout ce qu’il est resté après la distribution à la foule des pains d’orge et des poissons ». Rien ne devait être jeté ni gaspillé. Les « douze paniers » ainsi recueillis nous obligent à penser à la grande quantité de nourriture que nous pourrions réunir si nous ne jetions pas nos restes, une fois satisfaite notre demande réelle. Quelques expériences de récupération de ressources alimentaires viennent des Caritas diocésaines italiennes comme celle de Lucca. Grâce à la loi dite du « Bon Samaritain » de 2003, il a ainsi été possible de redistribuer les repas non consommés dans les cantines scolaires qui, sans cette intervention, auraient été jetés. De tels exemples nous poussent à mieux connaître notre contexte législatif, pour savoir comment intervenir de manière plus responsable dans un domaine particulièrement cher au pape François qui s’est plusieurs fois exprimé contre la « culture du déchet ».

À travers sa présence à l’Exposition universelle de 2015 à Milan3, Caritas cherchera à faire entendre cette vision et à présenter les projets menés par les sections Caritas du monde entier utilisant des mesures, des technologies et des méthodes aptes à gérer les ressources naturelles de manière respectueuse et durable.

En résumé, cette campagne est d’abord à l’écoute et au service des gens qui vivent en situation d’insécurité alimentaire. D’écoute, parce que notre travail prend racine dans les relations avec les plus vulnérables et marginalisés, dont la voix a tant de mal à se faire entendre. En les écoutant, nous pouvons apporter dans nos débats internationaux des histoires de vie, des expériences concrètes, des problèmes dont la résolution requiert la coopération de tous, parce qu’ils concernent chacun, et pas seulement ceux qui sont frappés par ce fléau. Une campagne de service, parce que telle est l’identité de Caritas. Le Livre de la Genèse affirme que Dieu créa un « jardin », que l’homme et la femme ont appelés à cultiver. Cultiver, en hébreu, se dit : abad, ce qui littéralement signifie « servir ». Nos racines communes nous interpellent à servir avec amour des ressources destinées à tous les hommes et à toutes les femmes, et non pas seulement à un petit nombre d’entre eux.

1 Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.

2 http://www.fao.org/docrep/009/y7937f/y7937f00.HTM

3 http://fr.expo2015.org . Le thème de l’exposition universelle de Milan en 2015 est : Nourrir la planète, Énergie pour la vie.

1 Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.

2 http://www.fao.org/docrep/009/y7937f/y7937f00.HTM

3 http://fr.expo2015.org . Le thème de l’exposition universelle de Milan en 2015 est : Nourrir la planète, Énergie pour la vie.

Adriana Opromolla

De nationalité italienne, Adriana Opromolla, juriste, a travaillé deux ans au Conseil de l'Europe à Strasbourg ainsi que plusieurs années à Bruxelles, d'abord à la Commission européenne puis au secrétariat de la Commission des Épiscopats de la Communauté européenne (COMECE), puis à Caritas Europe, où elle était en charge des politiques sociales. De 2008 a 2009 elle a été chercheuse à la New York University School of Law. Depuis janvier 2012, elle a rejoint à Rome le secrétariat général de Caritas Internationalis, où elle est responsable du plaidoyer international en matière de sécurité alimentaire et changement climatique.

CC BY-NC-ND