Quelques leçons tirées d’un projet-pilote à Port-au-Prince

Régis De Muylder

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Régis De Muylder, « Quelques leçons tirées d’un projet-pilote à Port-au-Prince », Revue Quart Monde [En ligne], 230 | 2014/2, mis en ligne le 08 juin 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5920

Selon l’index mis au point mis au point au niveau international, la malnutrition a baissé ces vingt dernières années en Haïti. L’auteur présente le programme mis en place par l’équipe d’ATD Quart Monde. Avancées et limites.

Quand en 2000, les 193 États membres de l’ONU ont fixé huit objectifs - connus sous le nom d’Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) - ils ont lié la réduction de l’extrême pauvreté à celle de la faim au sein du premier objectif. En 2013, la FAO (Food Agriculture Organization) estimait que 842 millions de personnes - soit 12 % de la population mondiale -souffraient de faim chronique. Si cela correspond effectivement à une réduction de la population souffrant de la faim, il est aussi souligné que « ces progrès restent insuffisants pour atteindre les objectifs de réduction fixés »1.

Aujourd’hui, au niveau international, est utilisé un index - Global Hunger Index (GHI)2 - construit à partir de trois indicateurs : la sous-alimentation dans l’ensemble de la population, la malnutrition des enfants de moins de cinq ans et la mortalité infantile. En Haïti, la question de la faim reste extrêmement présente. « Bien que toujours importante, la sous-alimentation a néanmoins diminué depuis 1990. Avec un score de 23.3, l’indice de la faim (GHI) 2013 d’Haïti est actuellement de plus d’un quart inférieur à sa valeur de 1990, même s’il est toujours considéré comme ‘alarmant’. »3

L’amélioration relative de la situation est à considérer au regard des multiples catastrophes naturelles qui ont frappé le pays au cours de la dernière décennie. Ainsi en 2012, l’insécurité alimentaire a été particulièrement aiguë avec une sécheresse durant les mois d’avril à juin et le passage de deux cyclones entre août et octobre. En 2013 la situation s’est améliorée suite aux efforts conjoints des autorités nationales, de certains acteurs internationaux et des paysans locaux mais aussi en raison des conditions climatiques plus favorables qu’en 2012.

Un programme s’appuyant sur les forces du milieu

Quelle est la situation dans la zone de Haut Martissant où l’équipe d’ATD Quart Monde est engagée ? Ce sont des quartiers très pauvres, faits de constructions précaires qui, au fil des années, ont envahi les collines bordant la ville. Les conditions de vie y sont difficiles. La faim et l’insécurité alimentaire font partie de la vie quotidienne.

La malnutrition infantile, dont les formes sévères non seulement compromettent le développement du jeune enfant mais menacent sa survie, est fréquente dans ce contexte. C’est ce qui a conduit notre équipe à mettre en place un programme destiné aux enfants souffrant de malnutrition. Ce programme s’inscrit dans le cadre de Bébés bienvenus, une activité qui s’adresse aux enfants de zéro à trois ans, ainsi qu’à leurs parents. L’activité touche plusieurs domaines : la stimulation précoce, la promotion de la santé et de la nutrition avec tous les aspects liés à l’environnement, la socialisation et le renforcement des liens entre les familles. Cela se fait en essayant de s’appuyer sur les forces existant dans le milieu. L’accès aux soins est garanti par un partenariat avec un centre de santé.

Les enfants souffrant de malnutrition sont invités à participer à une séance spécifique où toutes les mesures nécessaires à la récupération nutritionnelle sont mises en œuvre. Entre le 1er octobre 2012 et le 30 novembre 2013, 85 enfants - dont 22 en malnutrition aiguë sévère - sont passés par ce programme. En fonction de l’état nutritionnel et de la situation familiale, la durée pendant laquelle un enfant reste dans ce programme est variable (la durée médiane est de 6,7 mois). Les résultats sont encourageants puisque près de 80% des enfants, au moment de sortir du programme, ont récupéré un poids normal pour l’âge. Un intérêt du programme tel qu’il est conçu est que l’enfant continue à être suivi et stimulé par sa participation à l’activité classique de Bébés bienvenus.

Une mère, au moment où son enfant a pu quitter le programme nutritionnel, a été invitée à partager son expérience avec les autres parents. Elle les a encouragés en ces termes : « Je voudrais dire l’importance de ce programme pour moi et pour ma fille. Ce n’est pas du temps perdu. Ma fille ressemblait à une petite vieille, avec un gros ventre, une figure triste, des petits cheveux abîmés. Maintenant, c’est une petite demoiselle en pleine forme. (…) C’est ici que je me suis rendu compte de ce qui pouvait causer un poids trop faible. En écoutant les animatrices et les autres parents, on se forme. Mais ce qu’on apprend ici, on doit le mettre en pratique pour trouver une solution. »

Nécessité de politiques globales et ambitieuses

Chercher les moyens de survie, trouver la nourriture pour les membres de la famille est pour beaucoup de parents plus qu’un combat quotidien, une véritable épreuve. Certains parents – souvent des mères seules – sont parfois amenés à faire des choix déchirants. Ne pouvant à la fois chercher les moyens de survie et s’occuper des enfants en bas âge, ils choisissent de confier un enfant – souvent le plus jeune, c’est-à-dire le plus dépendant – à d’autres. Il peut s’agir d’un parent ou d’un proche et la mesure peut alors être provisoire. Mais ils peuvent aussi le confier à une institution qui porte – improprement – le nom d’orphelinat. Dans ce cas, les parents risquent de ne jamais revoir leur enfant qui est susceptible d’être adopté. Nous entendons régulièrement des parents dire qu’ils sont devant ce choix. Encouragés par d’autres, par leur participation à une activité communautaire, ils ont parfois la force de trouver une autre solution. Mais ce n’est pas toujours le cas.

C’est une question extrêmement douloureuse et délicate à aborder. Elle touche à ce que les familles ont de plus précieux et renvoie à l’exercice des droits fondamentaux. Un projet pilote montre que certains résultats sont atteignables et à quelles conditions. Des enfants récupèrent de leur malnutrition quand ils bénéficient d’un programme de stimulation précoce avec tous les aspects que nous avons évoqués et d’un apport nutritionnel adéquat contrôlé. Néanmoins un tel projet demande l’implication de la famille. Un tel projet pilote a des limites parce que l’extrême pauvreté, par son caractère multidimensionnel, exige aussi des politiques globales et ambitieuses. Il est intéressant, à ce stade, de faire référence au rapport d’Olivier De Schutter sur le droit à l’alimentation4. Dans la voie à suivre qu’il suggère, il souligne la nécessité de prendre des mesures aux niveaux local, national et international. Parmi les mesures à prendre au niveau national, il propose de développer « la mise en place de plans de protection sociale permanents, afin que tous aient accès, en toutes circonstances, à des aliments nutritifs, même lorsqu’ils n’ont accès ni aux ressources productives ni à l’emploi ».

1 Voir l’état de l’insécurité alimentaire dans le monde : www.fao.org/publications/sofi/2013/fr/

2 Mis au point par l’International Food Policy Research Institute (IFPRI) voir www.ifpri.org

3 IFPRI : Indice de la faim dans le monde 2013 - Étude de cas d’un pays : Haïti.

4 Rapport soumis par le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter. Rapport final : le droit à l’alimentation, facteur de

1 Voir l’état de l’insécurité alimentaire dans le monde : www.fao.org/publications/sofi/2013/fr/

2 Mis au point par l’International Food Policy Research Institute (IFPRI) voir www.ifpri.org

3 IFPRI : Indice de la faim dans le monde 2013 - Étude de cas d’un pays : Haïti.

4 Rapport soumis par le Rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter. Rapport final : le droit à l’alimentation, facteur de changement (§35, p.16). Conseil des Droits de l’Homme. Vingt-cinquième session.

Régis De Muylder

Régis De Muylder, volontaire permanent d’ATD Quart monde, est médecin, membre de l’équipe actuellement présente à Port-au-Prince (Haïti).

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