« On ne peut pas partager la vie d’une population très pauvre, si l’on ne comprend pas ses expériences de vie et celles que ses parents et grands-parents, ses ancêtres lui ont transmises. Ne pas les comprendre, c’est demeurer étrangers, ne jamais vivre en frères », constate Joseph Wresinski.
En ce qui concerne nos concitoyens les plus exclus, faire surgir et recueillir la mémoire des générations passées est un travail d’orfèvre : la mise à jour de souffrances individuelles et collectives ne peut s’entreprendre que moyennant précautions, délicatesse, certes, mais également pugnacité, inventivité et esprit militant.
« C’est une violence à soi-même que de parler de l’intérieur, de choses qui nous ont marqués au fer rouge. Cela fait remonter ce qui a été brûlé, parce que notre âme est brûlée » dit Gérald Schmutz, en Suisse1. Sauver de l’oubli, avec les premiers concernés, un passé le plus souvent douloureux, s’avère cependant une entreprise indispensable pour ouvrir la voie à la fierté légitime de ceux qui ont tout enduré et en sont sortis vivants. Vivants et lourds d’expérience ; réhabilitant les morts oubliés, déshonorés ; aspirant à la fraternité. « Il y a vraiment des similitudes entre l’extrême pauvreté et l’esclavage » résume Mohammed Aïssaoui2.
Une recherche-action sur les liens entre misère, violence et paix, menée par le Mouvement international ATD Quart Monde de 2008 à 2012, a mis en lumière à quel point la violence de l’extrême pauvreté est banalisée. « Cette violence exercée par les institutions est enracinée dans des violences historiques qui, parce qu’elles n’ont pas été comprises à la lumière de la connaissance des personnes en situation d’extrême pauvreté, se perpétuent de génération en génération et condamnent des personnes, des familles et des communautés entières à se bâtir en dehors de la connaissance et de la compréhension de leur propre histoire de vie et de résistance, à porter le poids d’ignorance, de honte et de silence sur leurs origines. Cette profonde méconnaissance maintient les préjugés, cautionne l’exclusion et la discrimination. »3
Une des propositions issues de cette recherche était de « Réhabiliter les personnes les plus défavorisées dans leur histoire collective et familiale et dans leur résistance. »
Ce dossier est alimenté par des apports de la session organisée sur ce sujet les 13 et 14 septembre 2013 à Pierrelaye (France) à l’initiative du Centre international Joseph Wresinski, par le compte-rendu de l’Université populaire Quart Monde du 26 novembre 2013 à Caen (France) sur le thème : Notre histoire, notre présent, quel lien ?, ainsi que par des extraits de la Table ronde du 20 juin 2014 à Treyvaux (Suisse) : Mesures de coercition à des fins d’assistance et placements forcés : Contribuer à écrire l’histoire du pays.