La misère, apartheid d’aujourd’hui.

Louis Join-Lambert

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Louis Join-Lambert, « La misère, apartheid d’aujourd’hui.  », Revue Quart Monde [En ligne], 162 | 1997/2, mis en ligne le 18 octobre 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/646

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Droits humains

La misère est une violation des droits de l’homme, reconnaît l’ONU. Tout comme l’apartheid fondé sur une vision de l’homme qui justifie et donc engendre des relations contraires à l’égale dignité humaine. Penser que des hommes sont « incompatibles », s’organiser en fonction de cela, suscitent méconnaissance mutuelle et violence au lieu de langage commun.

Contrairement à l’expression courante, on ne rend à aucun homme sa dignité puisqu’elle est inaliénable. Un homme reste toujours un homme ! Par contre, un groupe d’hommes conquiert et contribue à créer et entretenir les conditions dans lesquelles l’égale dignité de chacun peut s’exprimer.

Comment ne pas éprouver un vrai malaise quand l’invocation des droits de l’homme est réduite à un instrument de convenance politique ? On les invoque contre des adversaires. On les tait pour des intérêts. Leur affirmation par les États nous paraît parfois cynique. Mais nous, les citoyens, développons-nous vraiment une culture des droits de l’homme ? Sa mesure n’est pas limitée à la conformité aux textes. Elle suppose de faire vivre la coquille vide des textes en interrogeant l’expérience des hommes. Les instances officielles comme la Commission des droits de l’homme de l’ONU, sont parcourues de tous ces courants.

La réalisation du rapport sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, par M. Leandro Despouy, nous a paru justifier un dossier de la revue. La démarche, le contenu, le contexte du rapport, y sont éclairés par le rapporteur, Olivier Gerhard et Bruno Romazzotti. Les États prennent distance de leurs querelles idéologiques. Les experts entendent apprendre les conditions de la dignité de ceux qui en vivent la privation. Notre responsabilité de citoyen est de prolonger cet effort tellement nécessaire dans les transformations actuelles des économies et des cultures.

Comme le père Joseph Wresinski l’avait demandé il y a dix ans à la Commission des droits de l’homme, pour apprendre de ceux qui ont été privés de ces conditions, il faut recréer celles-ci avec eux. La connaissance des droits de l’homme ne peut se limiter au strictement juridique ; elle suppose nécessairement une démarche de reconnaissance de l’être humain que fait M. Leandro Despouy.

La mise en alerte vers la dignité d’autrui n’est l’apanage de personne et la responsabilité de tous. Xavier Godinot nous invite à un véritable travail de mémoire pour elle, à partir de coupures de presse qui débanalisent la violence faite aux plus faibles socialement, dans des démocraties établies du monde occidental. Il est effrayant d’oublier si facilement de tels faits. L’exclusion des plus démunis est toujours un danger. Ils y risquent leur intégrité physique et psychique, leur vie même. La société tout entière y risque sa capacité, sa compétence, à faire société avec les plus faibles, c’est-à-dire sa compétence à faire société.

Patrice Meyer-Bisch s’oppose fermement à l’idée suivante, pourtant fort répandue : on honorerait les droits de l’homme lorsqu’on pense que le progrès doit nécessairement casser les conditions de la dignité pour certains, l’humanitaire tentant ensuite de les restaurer. Cette idée rejoint l’invocation permanente de toute classe dirigeante, qu’il faut que la génération actuelle se sacrifie pour celle de demain. En réalité, cette position justifie le plus souvent un mensonge : ceux qui sont en position de faiblesse doivent se sacrifier au progrès défini par d’autres et dont ils ne tireront aucun bénéfice. Patrice Meyer-Bisch soutient que la volonté que chacun coopère et contribue aujourd’hui au monde à venir, garantit l’apprentissage commun de traiter tout homme en être humain digne. Alors, on peut parler de civilisation.

En dehors de ce dossier sur les droits de l’homme, on trouvera, entre autres, un article, premier d’une série de quatre, sur le thème « Atteindre les plus pauvres ». Atteindre les plus pauvres partout où que nous soyons, pour refuser le « développement séparé » qui tend à s’installer, à notre insu, dans tous nos projets.

Louis Join-Lambert

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