Deux questions étaient posées à l’assemblée : Quel est l’héritage du père Joseph et comment cet héritage nous transforme, nous a transformé(e)s ?, et : À quoi doit-on faire attention pour être fidèle à l’héritage du père Joseph ? Devant quels défis et priorités cela nous met-il ?
Militante : Ça m’a permis de retrouver une dignité, de me reconstruire, de percevoir les vraies valeurs de la vie. Avant d’arriver au Mouvement, je ne pouvais pas dire : « Je suis fière de mon milieu ». Quand j’ai connu l’histoire du père Joseph, j’ai changé d’avis sur mon milieu et même sur mon nom. J’avais honte de dire comment je m’appelais. Je n’ai plus peur aujourd’hui de dire qui je suis. Ici j’ai été reconnue pour ce que je suis donc j’ai pu retrouver l’estime de moi-même. Quand on vit dans la pauvreté, on juge ses parents. J’en voulais à mes parents d’être dans la pauvreté. Plus tard quand j’ai eu mes enfants j’ai réalisé que ce n’était pas de la faute de mes parents parce que moi aussi j’ai eu une vie difficile.
Militante : Le père Joseph nous a appris que tout seul on ne peut pas faire grand-chose, qui qu’on soit. Avec de la solidarité on est plus fort, on a plus de courage. Ce qu’il nous a laissé c’est un grand message d’espoir parce qu’on sait bien que ça ne se fait pas en un jour mais que si on continue à se battre nous aussi, plus tard nos enfants et petits-enfants eux aussi auront la force de continuer.
Militant : Je me souviens d’une phrase que le père Joseph disait : « Je vous ferai montrer les marches de l’ONU, je vous ferai montrer les marches du Vatican ». Pour moi ça veut dire qu’on nous aide à aller voir les personnalités, exemple : tutrice, préfet, maire. Et de pouvoir dire que nous, de milieu plus faible, on a la possibilité de dialoguer avec des hautes personnalités, plus haut que nous.
Militante : Je n’ai pas connu le père Joseph mais, en fait, j’ai l’impression qu’on est tous ses enfants malgré tout ; c’est comme nos parents, c’est un des piliers de notre vie à nous tous. Comme nos parents nous éduquent à parler, à nous élever, j’ai l’impression qu’il nous a donné une éducation avec le Mouvement et que ça nous fait grandir tous au quotidien, peu importe d’où on vient et qui on est, il nous fait grandir. J’ai l’impression qu’il fait partie de la famille depuis toujours. Le Mouvement m’a appris à aller vers les gens, à ne pas laisser quelqu’un à l’écart. Il (le père Joseph) a donné les clés et c’est à nous de faire avec même si on ne l’a pas connu. Je me rappelle d’un moment que j’ai passé avec Martine Le Corre4 et elle m’a expliqué une histoire que le père Joseph lui avait dite avant de venir dans le Mouvement.
« Avant de t’engager dans le Mouvement, il faut d’abord que tu fasses quelque chose dans ta propre vie à toi, avant de t’engager avec les gens ».
Quand elle m’a dit ça, ça m’a frappée. Car avant je me disais :
« Je viens dans le Mouvement mais pas pour moi, pour ma mère, pour ma sœur » ;
et après je me suis dit :
« Tu n’as pas compris les bases de ce qu’il voulait te dire et avant tout si tu viens dans le Mouvement c’est pour toi, pour faire améliorer ta propre vie à toi et après faire améliorer la vie des gens… »
Et je trouve que c’est un message très, très fort.
Animatrice : Dans la préparation de l’UPQM, les alliés ont dit que ça leur a apporté une autre vision du monde ; comment ça se traduit dans vos vies ?
Alliée : Moi j’avais été frappée par une chose, c’est quand Joseph Wresinski dans le camp allait voir une famille avec d’autres personnes, il demandait aux plus pauvres d’offrir quelque chose, un café ; il pensait que les plus pauvres avaient quelque chose à donner et non pas qu’on pouvait être là pour leur donner quelque chose.
Allié : Pour moi l’héritage du père Joseph c’est une autre façon de voir la misère et les causes de la misère. Par exemple, je n’avais pas du tout compris combien c’était d’abord une humiliation quand le père Joseph disait : « Là où commence la honte, commence la misère ». Ce sont des choses qui m’ont bien aidé à mieux en parler avec des collègues de travail. Ce que les personnes demandent, c’est le respect des Droits de l’homme ; il y avait une autre façon de parler du refus de la misère par rapport à d’autres associations.
Militante : Le père Joseph, c’est comme s’il m’avait ouvert une porte ; il a ouvert une porte aux plus pauvres pour qu’on puisse se libérer, pour qu’on puisse avoir la liberté d’expression, dire tout ce qui n’allait pas ; ce que nous, on ne pouvait pas faire par le passé face aux professionnels.
Militante : Moi ça m’a appris que personne ne fera rien à ma place. C’est ça qu’il a appris aussi le père Joseph, c’est qu’il ne faut pas faire pour les pauvres mais avec les pauvres et du coup on a cette chance d’être écoutés, de se faire entendre. Car quand on va dans une autre association, on va pour demander quelque chose, alors qu’avec le Mouvement, on fait les choses ensemble et on n’attend pas quelque chose qu’on va nous donner. On nous donne des clés pour pouvoir s’exprimer, pour pouvoir réfléchir, penser avec les autres. Pour notre propre vie, c’est important.
Alliée : Le père Joseph m’a surtout permis de ne pas avoir peur du Quart Monde car quand tu arrives et que tu découvres la misère, c’est l’inconnu et ça fait peur. Et le père Joseph parle très bien du Quart Monde ; et moi quand j’étais face à un mur, j’allais le lire parce qu’il n’y avait que ça ! Pour ouvrir des portes.
Alliée : Moi je me sentais très privilégiée, je sentais qu’il y avait des gens dans la misère qui souffraient et je me sentais incapable de faire quelque chose parce que je n’avais aucune compétence ; et ce que j’ai appris du père Joseph c’est que chacun de nous peut faire quelque chose en fonction de ses moyens pour tenter d’avoir une société plus juste et que chacun ait sa place.
Alliée : Pour moi le message du père Joseph c’est avant tout le refus de la bonne conscience, c’est-à-dire que c’est facile de se donner bonne conscience en s’occupant des plus démunis, des pauvres, mais lui, son message, c’est ce refus et c’est « être avec », essayer de comprendre.
Militante : Moi je n’ai pas du tout connu le père Joseph, donc c’est difficile d’en parler mais quand j’entends les paroles de toute la salle, ça m’implique à rentrer dans sa vie, à m’exprimer et à pouvoir porter son courage pour ce qu’il a fait.
Alliée : À propos de la peur, moi je n’avais pas la peur des gens qui vivent la misère, mais la peur de les blesser quand j’étais en relation avec eux ; j’étais frappée de voir comment la misère détruit les gens, et au début j’avais peur d’en rajouter, d’être maladroite, de dire ou faire des bêtises, et puis je me suis rendu compte qu’il y avait un rapport de confiance qui s’établissait et du coup on pouvait oser se parler.
Militante : Quand j’ai commencé à aller à ATD Quart Monde, je ne voyais pas la misère sous cette forme-là et beaucoup de personnes ici m’ont ouvert les yeux et je me suis aperçue que c’est dans le monde entier qu’il y a beaucoup de misère et j’ai vraiment halluciné, je ne voyais pas du tout ce genre de misère. Je pense que les personnes ont des problèmes d’argent mais ils ont des richesses dans leur cœur. Moi j’ai envie de continuer car ça vaut le coup, le père Joseph s’est battu pour créer cette association et je pense que si on se bat en son nom on peut y arriver.
Militante : J’ai envie de dire que je me sens héritière d’un combat, d’un combat qui se traduit au quotidien dans la vie de tous les jours. Je me sens héritière de la passion que le père Joseph avait pour son peuple, pour nous ; je me sens vraiment l’héritière de ça parce que c’est vraiment ça qui me fait marcher tous les jours, cette passion et cet amour du plus pauvre. Je me sens héritière de l’exigence qu’il avait, qu’on devait faire face aux plus pauvres d’entre nous. Je prends ça très au sérieux, c’est important pour moi. Et je me sens héritière de l’ambition qu’il avait pour son peuple, qu’il avait pour nous parce que je pense qu’il faut être très ambitieux pour être dans un combat donc je me sens héritière de ça, de son ambition et de son exigence qu’on oublie trop souvent. Parce que pour moi l’ambition, elle ne va pas sans l’exigence. On ne peut pas avoir des ambitions comme il a eu pour nous - qu’on passe des sans voix à des gens qui peuvent être des partenaires - sans exigence. Je me sens héritière de tout ça.
Militante : J’ai bien connu le père Joseph car on allait à la Cave5 le mardi et depuis j’ai jamais quitté le Quart Monde. J’ai appris beaucoup de choses comme aller dans les bureaux sans avoir peur, répondre si on me demande quelque chose.
Militante : Moi je me souviendrai toujours de ma première UPQM, de l’accueil qu’on m’y a fait, moi je me souviendrai tout le temps quand on m’a dit : « Merci d’être là, tu es un cadeau pour nous ». Et crois-moi que quand tu as la tête basse, ça te remet un baume au cœur et après tu te dis :
« Il faut y aller, il faut y retourner et avancer dans la vie et avoir davantage confiance en soi ».
Animatrice : Deuxième question : À quoi doit-on faire attention pour être fidèle à l’héritage du père Joseph ? Devant quels défis et priorités ça nous met ?
Alliée : Par rapport au Mouvement, pour moi le plus important, c’est les Universités populaires, parce que là on est à la base, on est dans ce que les gens disent de leur vie, partagent humainement, dans ce qu’ils disent et partagent de leur pensée sur les thèmes. Et c’est important que le Mouvement s’appuie sur les dires des personnes. C’est vrai qu’on peut monter les marches de l’Élysée, du CESE, c’est ça aussi le Mouvement ; mais de mon point de vue, il faut toujours écouter ce que les gens ont à dire dans les UPQM.
Alliée : Pour moi, un des défis à relever c’est de continuer à essayer de changer le regard des professionnels ; on l’a fait ensemble à quelques-uns dans les journées qu’on a pu organiser autour du Croisement des savoirs6. À un niveau personnel mais aussi collectivement ; c’est un vrai défi et c’est vraiment pas simple.
Animatrice : Certains ont rappelé l’exigence qu’avait le père Joseph d’aller voir les plus démunis, les plus inaccessibles ; est-ce c’est encore quelque chose d’important pour vous ?
Militante : Je trouve que c’est important parce que il faut déjà avoir le courage de le faire, d’aller vers les autres personnes, de rencontrer d’autres personnes et de savoir si les personnes vont nous accepter.
Militante : Moi je n’ai pas connu le père Joseph, mais à travers les lectures, ça nous donne une philosophie de vie et nous aide à nous imprégner de ce qu’il voulait nous fait entendre.
Militante : Le père Joseph a bâti l’alliance et le volontariat, il est décédé ; et pour moi le défi c’est de continuer à ce que ce volontariat soit en présence là où il doit être en présence, et que ce volontariat soit à la hauteur des attentes des plus pauvres. Moi j’ai besoin d’un volontariat solide et pas de n’importe quel volontariat.
Alliée : Pour moi, le défi est de faire passer mes convictions auprès de mes proches, ma famille, mes amis. Je suis intimement persuadée qu’il n’y aura pas de société équilibrée sans que les personnes les plus pauvres et leurs droits soient respectés, soient dignes, soient accueillis comme tout à chacun. Et ça c’est très dur dans certains milieux sociaux, certains milieux professionnels, c’est extrêmement dur, c’est un combat de tous les jours ; il faut en parler beaucoup, il faut parfois vraiment suer, se mettre en colère parfois.
Militant : Je pense qu’il nous a donné quelque chose d’important, c’est la continuité du 17 octobre7. Pour moi, le 17 octobre permet de faire voir aux autres les capacités qu’on a, de faire voir qu’on est capable de faire quelque chose.
Isabelle Perrin : Le père Joseph a raconté un jour à un journaliste : « En fait, ce Mouvement est né quand j’avais cinq ans » … Le père Joseph raconte qu’à cinq ans il a été avec sa mère chez le dentiste et la secrétaire a dit tout fort : « Vous les gens qui sont à l’aide sociale, vous ne payez pas ici », et il était pétri de honte et aussi de colère. Et c’est de là, de cette colère, révolte contre des humiliations, que le Mouvement est né car le père Joseph a continué à la porter tout le temps, tout le temps. On peut dire que notre Mouvement est né dans un cœur d’enfant parce que le père Joseph a dit combien il a été pétri par la honte, les humiliations, de devoir sortir pendant la nuit pour gagner quelques sous pour sa famille. Mais aussi parce que les enfants ne voient jamais le monde mal, ils pensent que le monde est quand même beau, ils ne le voient pas fermé, ni méchant. J’ai découvert du père Joseph sa confiance dans l’humanité. Il était conscient de la misère qui est une injustice terrible, il a dit : « C’est le mal le plus terrible qui soit » ; il en était convaincu, il le portait comme une angoisse permanente, il était en permanence angoissé que le Quart Monde soit reconnu, qu’il puisse être entendu dans les lieux où l’humanité réfléchit à son avenir car il était convaincu que le Quart Monde avait quelque chose à dire pour aujourd’hui, pour l’avenir et le destin de l’Homme. Il le portait avec une force et une exigence incroyables et en même temps il avait une confiance, il avait une tendresse qui nous a tous touchés. Il croyait que dans le fond du cœur de chacun, au plus profond, on refuse la misère pour soi, pour sa famille, pour les autres. Mais la tendresse du père Joseph n’était pas « béni oui-oui », la tendresse du Père Joseph n’était pas gentille ! La première fois que je l’ai vraiment rencontré, il m’a donné une grande tape dans le dos et il a dit : « Alors vous aussi vous allez être volontaire ? » ; là j’ai senti sa confiance, je me suis beaucoup préparée. Quand trois ans après, je suis arrivée à Méry-sur-Oise8, à la première réunion à laquelle j’assiste avec le père Joseph, il tape du poing sur la table et il dit :
« Ici il y a des jeunes qui arrivent et qui veulent être volontaires. Il faut qu’ils sachent que c’est sérieux, et s’ils ne sont pas sérieux, ils peuvent repartir… ! ».
Ce que je retiens c’est que le père Joseph nous a tous appelés à prendre nos responsabilités. Il a appelé l’État à prendre ses responsabilités, les institutions à prendre leurs responsabilités, l’ONU à prendre ses responsabilités, son Église à prendre ses responsabilités, et il nous a tous appelés, nous, chacun d’entre nous, à prendre nos responsabilités, où qu’on soit.