Est-ce que j’ai besoin de faire la fête et pourquoi ?
G. : Je suis heureux de faire la fête. Quand je suis dans l’ennui, dans la tristesse, j’allume ma sono, je prends mon micro et je me mets à chanter tranquillement. Ma femme B. m’accompagne.
M. : Après une semaine de travail, j’ai besoin de faire la fête. Il faut aussi se relâcher, on oublie les soucis, ça fait vraiment du bien. La fête, c’est voir des amis, la famille. Comme tous les jeunes quoi, boire des verres, danser.
R. : De temps en temps, lors d’un anniversaire, la fête des Mères par exemple, j’aime bien retrouver mes enfants, mes petits-enfants, faire un peu la fête mais pas trop parce qu’après pour finir le mois... On peut faire la fête sans trop boire. J’aime aussi bien faire la fête avec mes amis mais je fais attention à l’argent.
A. : J’ai besoin de faire la fête parce que souvent on compte pour personne et puis j’ai besoin de décompresser comme tout le monde. C’est ma soupape pour évacuer, nos situations de vie sont tellement dures.
M-T. : Il y a des moments qui sont difficiles dans la vie donc j’ai besoin de moments pour s’amuser, se retrouver, être heureux. Le seul moyen de faire la fête, c’est quand on est entre amis. La fête en famille, je me l’interdis maintenant parce qu’il y a eu un événement tragique il y a onze ans et ce n’est plus comme avant. On peut avoir des moments de plaisir mais pas forcément besoin de faire la fête. Faire la fête, ça serait quelque chose de parfait avec aucun souci derrière, ça ne serait que de la joie. On pourrait chanter, on ne penserait à rien d’autre. La Fête de la Musique, c’est une fête que je n’aurais ratée pour rien au monde. On se couchait plus tard, même si les enfants allaient à l’école le lendemain. C’était exceptionnel.
B. : Quand j’ai préparé avec C., elle m’a dit : « J’ai besoin de faire la fête car à la maison, c’est toujours tendu et j’ai besoin de gaîté. Il n’y a que là que je me sens bien. J’oublie mes soucis, je suis gaie, je rigole ».
A. : Ça dépend quelle définition on donne de la fête. Faire la fête ça serait être en communion, bien avec d’autres, partager quelque chose de fort. Pour moi, c’est indispensable. J’apprécie de me retrouver avec ma famille, ça fait partie de la fête.
M-T. : La fête, ça ne m’intéresse pas trop. Entre famille on ne s’entend pas trop. Mais je vais avoir l’anniversaire des dix-huit ans de mon petit-fils ; j’aime bien préparer, décorer la salle, préparer à manger. Ça me plait de mettre la main à la pâte.
Ch. : C. et moi, on est de la DDASS1, on n’a jamais connu les fêtes. On s’est mises à faire des fêtes pour nos enfants et pour les amis qu’on a connus.
C. : Ça nous fait plaisir de faire à manger et faire des fêtes ensemble. C’est important pour faire plaisir aux gens.
M. : Depuis que mes enfants sont placés, je ne fais plus la fête. Les anniversaires, je ne fête plus rien, je laisse tomber. Quand ma sœur ou des amis m’invitent, c’est tout, autrement je reste toute seule chez moi s’il n’y a personne qui m’invite.
C. : J’ai l’impression que je n’ai pas besoin de faire la fête, mais si quelqu’un me propose une fête, je suis drôlement contente. Ça change de l’ordinaire, ça me permet de rencontrer des gens, de les voir quelquefois autrement, de rire, de plaisanter, que ça soit léger.
I. : J’ai besoin de faire la fête. Toute mon enfance j’ai baigné dans la musique, dans l’humour. Ça peut être seulement avec les enfants, chez moi, manger à la bonne franquette, rire, se raconter des histoires, s’amuser, écouter la musique qu’on aime. C’est la fête de Noël que je préfère. C’est magique. Le Père Noël, ça me permet de rêver. Pendant ce temps-là, j’oublie tout. On voit nos petits-enfants s’épanouir, ils sont tellement contents. Pour moi, ça c’est la fête aussi quand je vois quelqu’un jouer de la musique, je vais me sentir bien.
P. : Pour moi, il n’y a aucune fête qui soit indispensable. Si c’est prévu, comme Noël, c’est pas vraiment une fête. Tu fais toujours la même chose. D’un coup, je vais dire : « Ah tiens, je vais faire la fête, même toute seule » : tu écoutes ta musique et tu danses...
N. : En préparant le thème, je me suis rendu compte que ça faisait longtemps que je n’avais pas vraiment fait la fête. Faire la fête dans la rue comme en 1998 à la Coupe du monde quand il y a un élan populaire, j’ai du mal à le retrouver maintenant. J’ai envie que cela revienne.
V. : Faire la fête, c’est une liberté d’esprit, inviter des copains, des copines, boire un coup ensemble, mettre de la musique et puis danser. Ça décompresse.
L. : J’aime bien aller à la Fête des Voisins parce que ça permet de voir mon voisin. C’est vrai, on ne se connaît pas, alors ça permet de dire bonjour.
A. : Par moments, on n’a pas envie de faire la fête ou de voir des gens. C’est là qu’on est le plus mal, alors quand quelqu’un te dit : « Allez viens avec moi, on va aller s’amuser, rencontrer des gens », évidemment on suit parce qu’on sait que ça va nous être bénéfique.
M-T. : Quand on était enfant, on avait toute cette insouciance. Il n’y avait pas à gérer les problèmes d’alcool, de violence, de dispute entre les personnes. On se retrouvait à préparer Noël, on était tous en famille, on n’avait plus envie de se quitter. La musique c’était tout le temps, on chantait. Pour une communion, un baptême, pour n’importe quoi, ça durait des jours entiers. C’est plus du tout pareil.
A. : On avait plus de liberté. Maintenant, tout est régenté avec les législations. Du coup, on n’a plus la possibilité de faire de l’élevage familial, de tuer le cochon ou le mouton. Avant, avec peu de moyens on arrivait à s’amuser. Maintenant ça coûte cher.
Qu’est-ce qui vous empêche de faire la fête ?
N. : Pour l’instant, je n’ai pas trouvé encore comment on fait la fête en étant maman. On porte une responsabilité. Pour moi, la fête c’est quand même un peu d’alcool, on peut avoir mal à la tête le lendemain. Je pense que c’est plus facile quand tu es jeune et que t’as que toi.
B. : C’est le manque d’argent. Si t’as pas l’argent, tu peux pas faire la fête.
S. : La santé aussi. Quand on n’a pas la santé, c’est sûr qu’on ne peut pas faire la fête.
P. : Il n’y a vraiment rien qui peut t’empêcher de faire la fête. C’est juste si tu as envie, il ne faut pas avoir la flemme et ça dépend vraiment des périodes de ta vie.
M-T. : L’alcool c’est un frein parce que bon, c’est mon expérience qui fait ça aussi, qui dit ça. Quand mes enfants étaient petits, pour n’importe quelle fête de famille, je ne m’amusais pas s’il y avait de l’alcool.
D. : Ce qui m’empêche de faire la fête, c’est quand je ne suis pas vraiment en accord avec les gens qui sont à la fête. J’ai l’impression d’être à l’écart. S’il y a un effort trop important à faire pour préparer. Je suis soucieux que ça marche bien et je n’ai pas complètement l’esprit libre.
M-T. : Quand il y a un problème d’alcool chez un de tes enfants, tu peux l’aimer beaucoup mais ça n’empêche pas, si c’est lui qui fait la bagarre, tu fais quoi ? Tu l’attrapes, tu le sors ou alors tu attends que quelqu’un le fasse.
Ch. : Il y a la drogue aussi. Ceux qui se droguent ne peuvent pas s’amuser comme nous on s’amuse.
D. : Quand on voit qu’à la fête, tout le monde boit, c’est trop dangereux et des accidents arrivent.
M-T. : Pour faire la fête, il faut aussi savoir que sa famille va être en sécurité. Avec les événements qui se sont passés, je ne paierai pas une place de concert à ma fille. Peut-être qu’il ne se passera rien mais s’il se passe quelque chose, je n’aurai pas payé la place pour y rester.
M. : Tout excès ne me permet pas d’être contente dans une fête.
B. : Ce qui m’a empêchée pendant longtemps, c’était qu’il y avait une grande tension entre deux de mes enfants.
M-T. : Quand tu vois les enfants qui ne s’entendent pas, et que certains de tes enfants ne t’invitent jamais…
C. : J’ai appris à faire la fête en vieillissant parce que j’ai eu aussi une jeunesse en pension ; après j’ai été maman de trois enfants à vingt ans. C’est vrai que la responsabilité d’être mère de famille nous empêche de faire la fête.
F. : Il y a deux années, je n’ai pas eu le moral pour faire la fête à cause des décès de mes parents. Autrement, je donne toujours de l’ambiance en famille, à faire des soirées, même pour chanter parce que j’écris des chansons.
Quelles sont les conditions pour que la fête soit réussie ?
I. : C’est d’abord d’être avec des gens qu’on aime, des gens qu’on connaît et en qui on a confiance. C’est aussi la déco, l’ambiance : on boit un petit peu parce que c’est la fête, mais modérément, bien manger et bien sûr mettre les enfants en sécurité.
F. : Que chaque personne présente trouve sa place et se sente aimée.
G. : Que tout le monde mette la main à la pâte. L’entente est importante ; si tu ne t’entends pas avec quelqu’un, ce n’est même pas la peine d’y aller.
M-G. : J’aime bien préparer, cela m’aide à entrer dans la fête. Si l’ambiance est bonne, ça nous contamine. Alors j’ai pu lâcher un peu mes préoccupations.
V. : C’est savoir pardonner à ceux qui sont présents si on s’est disputé avec quelqu’un.
P. : Sur le sport, par exemple le foot, même l’Euro, ils n’ont pas gagné mais c’était une apothéose parce qu’on est tous derrière le ballon, on était tous au même niveau, et dès qu’ils marquent un but, on est tous derrière au même moment. C’est l’apothéose ; là c’est la fête ! Oui, il faut quelque chose de grand.
D. : Quand tous les gens qui étaient de la fête ont réussi à oublier leurs soucis pour le moment où ils étaient ensemble.
La parole aux invités et échanges avec la salle
Julien Danlos : Je me suis retrouvé dans beaucoup de choses qui ont été dites. Des remarques m’ont interpellé : le besoin de se sentir aimé, que les amis remplacent la famille, et la question du respect.
Je me suis demandé jusqu’où va la liberté de faire la fête avec la notion d’excès d’alcool ou de drogues. J’aime bien aussi la nécessité de s’entendre avec d’autres pour faire la fête.
François Boros : Vos témoignages m’ont touché. Cela m’a fait plaisir d’entendre que c’est parfois difficile de faire la fête quand on est parent. J’ai appris de vous, Mesdames, vous qui mettez un point d’honneur à faire la fête, vous avez de la bienveillance pour que tout se déroule bien. Ça m’a beaucoup touché d’entendre l’absence : l’absence d’un pilier de la famille.
G. : Vous avez dit que vous étiez guitariste : est-ce que ça vous est arrivé de ne plus avoir envie de faire un concert ou de prendre la guitare ?
François Boros : Je ne peux pas dire ça. Je dirais plutôt que depuis quelques années, ça ne me suffit plus d’être musicien. Il y a d’autres envies qui poussent à côté. J’ai besoin de choses en plus. Et du coup, c’est aussi une des raisons pour laquelle je suis avec vous ce soir : c’est parce que ça me fait plaisir de faire autre chose que de la musique.
N. : Vous touchez qui dans vos fêtes ? Est-ce qu’il y a un mélange de population ? Je constate que les plus pauvres ont du mal à aller dans les Centres culturels. Comment vous adressez-vous à eux ?
Julien Danlos : Avec le lieu culturel La Centrifugeuz, pour la Fête des Voisins, on a eu l’expérience de quelqu’un du quartier qui nous a dit : « J’aimerais bien organiser une fête des voisins mais je ne peux pas le faire tout seul ». On a donné un coup de main et fait cela avec d’autres associations. Vous l’avez dit : ça peut être un moment de réconciliation. C’est une fête simple, avec un peu tous les âges ; tout le monde avait préparé son petit truc.
M-T. : Il y a des années qu’il y a une Fête des Voisins organisée dans notre quartier : je n’y vais jamais. Pourtant, ce n’est pas parce qu’on ne s’entend pas avec les voisins, il y a une énorme solidarité dans notre bâtiment. Je ne sais pas pourquoi, c’est la même chose qui m’empêche de pousser la porte du Centre culturel, je n’y arrive pas.
Julien Danlos : On est vraiment tiraillé par ce que vous dites. On a beau dire tous les beaux idéaux qu’on veut, on est aussi dans cette problématique là ; mais en tout cas, on a la volonté de ne pas rester entre nous, artistes et musiciens ; on travaille avec les associations de quartiers. Par exemple, la Fête des Voisins c’était vraiment une fête populaire : il y a beaucoup de gens du quartier qui sont venus. Mais il y a des gens qui n’osent pas venir, c’est vrai. On a fait une journée aussi à destination des demandeurs d’asile.
François Boros : Dès le départ, le souhait de plusieurs était d’aller chez les gens jouer pour faire la fête, de petits concerts, de petites pièces de théâtre. Ce n’est pas simple. On a envie de le faire gratuitement. Le 19 mai, il y aura une grande fête gratuite, et en juin, le troisième Festival Jacquard… Vous êtes invités !