Impossible de résumer les aventures baroques de Vernon Subutex et de sa bande. Cette saga en trois romans vous gagne par la gouaille des dialogues et des flux de consciences d’une galerie de personnages violents comme l’époque, et qui rêvent de douceur. Ce succès tient probablement aussi au fait d’avoir saisi une mutation du tournant du siècle.
Dès la onzième page, le héros, un disquaire pointu au chômage, looser qui va devenir magnifique, est radié du RSA et est aux prises avec sa conseillère, la pimpante Madame Bodard.
« … Les gens de cette génération avaient été élevés dans (…) un monde où le téléphone pouvait sonner à n’importe quel moment pour te donner l’ordre de virer la moitié de tes collègues. Éliminer son prochain est la règle d’or de jeux dont on les a gavés au biberon. Comment leur demander, aujourd’hui, de trouver ça morbide. »
Plus loin, c’est Kiko, un trader richissime, saisi comme le reste de la bande qui se forme au fil des chapitres pour se laisser porter par les mix de musiques de Vernon. Comme les autres personnages, il n’est pas politiquement correct. « C’est terminé l’époque de l’abolition de l’esclavage et du Front Populaire. Plus personne ne veut en finir avec la misère. On avait besoin de main-d’œuvre, on était condamnés à vivre avec vous les travailleurs. On n’avait pas le choix. Mais avec l’automatisation (…) on va vous exterminer massivement. Vous ne servez à rien (…) Vous continuez de raisonner comme sous papa Marx – quand le prolétariat était nécessaire pour que des gens comme moi accumulions de la plus-value. »
La fiction devient une politique-fiction, là encore impossible à résumer, mais un fil d’argent dit que la délicatesse, la douceur, la soif d’unité, d’harmonie – la musique et la danse – chercheront toujours à résister à la violence qui grandit.