À l’occasion de la visite au Royaume Uni du Rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, des militants Quart Monde ont partagé comment les politiques d’austérité ont entraîné des coupes dans les budgets sociaux et un durcissement des regards à leur encontre. Vus comme des profiteurs, ils doivent sans cesse apporter la preuve du contraire. Sally parle de l’engrenage des exigences administratives impossibles à remplir et des sanctions qui ont propulsé son fils hors du système de formation professionnelle, l’ont privé d’allocation, lui ont fait perdre son logement. Elle l’a recueilli chez elle, et la voilà mise en demeure de le mettre dehors si elle veut conserver son aide sociale qui a été réévaluée « en ligne » à la baisse. En 1986, Joseph Wresinski disait ceci1 : « La première injustice, celle qui doit, la première, s’arrêter, est l’injustice du cœur. Cette terrible injustice qui fait qu’un homme puisse se croire supérieur à un autre homme, se croire en droit de le mépriser. ‘ Les autres ne nous voient pas, c’est comme si nous n’existions pas’ disent les familles. La grande pauvreté est un déni de tous les droits de l’homme, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux ou culturels. Les droits de l’homme existent seulement s’ils sont assurés jusque dans la famille la plus méprisée. Ils sont assurés, garantis au fil du temps, quand ils ne sont pas seulement dans les lois mais d’abord dans le cœur et la vie personnelle des hommes. Depuis la sortie de la seconde guerre mondiale, dans nos pays d’Europe occidentale, nous avons fait de grands progrès en matière des droits de l’homme. Nos pays se sont donné de bonnes législations. Mais ils n’ont plus gardé l’idéal de la justice au cœur. Peu à peu, ils ont acquis la conviction que la justice pouvait être réduite à une affaire de législation. Les droits de l’homme avaient pourtant germé dans le cœur des hommes. Des hommes s’étaient battus pour eux, parce que leur cœur croyait dans la nature et la valeur unique de tous les hommes. Et peu à peu, sans que nous nous en rendions compte, de cette affaire de foi et de cœur, nous avons fait une affaire des seules structures politiques et juridiques de nos sociétés. C’est à cause de cela que nos cœurs ne parlaient plus quand nous voyions une famille habitant un taudis, des enfants profondément malheureux, rejetés dans des classes d’enseignement spécial. Nos cœurs n’étaient plus habités par la justice et nous avons pu supporter que des parents, des enfants, des travailleurs soient dans le malheur. » Que ce soit en Grande Bretagne, à Calais ou sur les rives de la Méditerranée, n’est-ce pas le même défi que nous devons relever personnellement et collectivement : tenir ensemble le droit et l’amour ?
Revue Quart Monde
Justice au cœur !
p. 1
References
Bibliographical reference
Isabelle Pypaert Perrin, « Justice au cœur ! », Revue Quart Monde, 248 | 2018/4, 1.
Electronic reference
Isabelle Pypaert Perrin, « Justice au cœur ! », Revue Quart Monde [Online], 248 | 2018/4, Online since 01 June 2019, connection on 10 December 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/7778
1 Sont rassemblés ici de courts extraits d’une conférence prononcée aux Pays-Bas par Joseph Wresinski, le 15 novembre 1986. Vous la trouverez dans son intégralité dans les Actes du colloque de Cerisy-La Salle : Ce que la misère nous donne à repenser, avec Joseph Wresinski. Voir également p. 62.
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