Monde numérique, monde solidaire, monde solitaire ?

Martine Hosselet-Herbignat

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Martine Hosselet-Herbignat, « Monde numérique, monde solidaire, monde solitaire ? », Revue Quart Monde, 248 | 2018/4, 3.

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Martine Hosselet-Herbignat, « Monde numérique, monde solidaire, monde solitaire ? », Revue Quart Monde [En ligne], 248 | 2018/4, mis en ligne le 01 juin 2019, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/7779

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Société de l'information

Dès les années 80, le Mouvement ATD Quart Monde mettait en place des projets pilotes : ateliers informatiques dans les quartiers oubliés, rencontres régulières autour d’ordinateurs avec des personnes vivant à la rue, collaboration avec Seymour Papert1 et expérimentation de ses travaux dans des ateliers Tortue Logo avec les enfants, etc.

Au 21e siècle, l’évolution effective vers le tout numérique a pour effet qu’à l’illettrisme, à l’analphabétisme, et aux inégalités d’accès aux droits en général s’ajoute désormais une nouvelle source d’exclusion, désignée habituellement sous le nom de « fracture numérique » ou encore d’« illectronisme »2. Risque ou chance à saisir, dans la mesure où la technologie peut se révéler être un outil permettant de résoudre des problèmes sociaux ?

Des associations comme Reconnect et Emmaüs Connect avec son projet WeTechCare envisagent cette révolution comme inéluctable et développent une offre d’ateliers pédagogiques pour des personnes fragilisées par l’obligation de ces nouveaux apprentissages, – dont celles vivant dans la rue –, tout en accompagnant également des centaines de structures du tissu social et associatif, qui manquent de moyens de formation.

D’autres, tel Bernard Legros3, réfractaires au numérique, rappellent à propos que la technique n’est pas neutre. En matière d’embauche par exemple, des laboratoires d’informatique rivalisent pour mettre au point des algorithmes et vendre des logiciels qui éliminent automatiquement certains CV selon des critères d’adresse, de décrochage scolaire, de passage par un dispositif d’insertion, etc.4 Les personnes en situation précaire sont lucides :

« Il y a des risques qu’on maîtrise mal… : le piratage, les escroqueries… […] On ne peut pas effacer les données. Donc ça reste enregistré. C’est un inconvénient ça… »5.

« Ça distrait, ça change les idées, et nous sort des problèmes, mais ça rend plus difficile le fait de faire confiance à son mari ou à ses enfants ; on peut se sentir rejetées quand ils passent beaucoup de temps avec leur téléphone… ».

Dans les pays les plus pauvres, des dizaines de milliers de personnes déshéritées et réfugiées vivent sur des décharges de déchets électroniques, mines d’or qui profitent à ceux qui exploitent leur travail d’esclaves.6

Démocratiser et orienter le monde numérique de demain pour une meilleure maîtrise par tous reste un formidable défi. Il nous faut le relever avec pragmatisme, mais surtout sous l’enseignement constant des plus démunis dont l’univers vital est déjà envahi, et l’accès aux droits impacté.

1 Seymour Papert (1928-2016) : mathématicien, informaticien et éducateur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), est l’un des pionniers de l’

2 Terme désormais retenu pour nommer l’illettrisme numérique, c’est-à-dire la difficulté à utiliser internet dans la vie de tous les jours. On estime

3 Voir son article p. 24.

4 Voir les observations de Qyuen Tran, p. 27.

5 Participants à l’Université populaire Quart Monde du Grand Ouest, voir l’article p. 22.

6 Voir l’article p. 29.

1 Seymour Papert (1928-2016) : mathématicien, informaticien et éducateur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), est l’un des pionniers de l’intelligence artificielle. Il utilisa les travaux de Piaget pour développer au MIT le langage de programmation Logo, conçu comme un outil destiné à améliorer chez les enfants la manière de penser et de résoudre les problèmes. Un petit robot, appelé la Tortue Logo, fut réalisé et les enfants furent encouragés à l’utiliser pour la résolution des problèmes. Un de ces ateliers fut animé par ATD Quart Monde à la Maison des Savoirs à Bruxelles au début des années 1990.

2 Terme désormais retenu pour nommer l’illettrisme numérique, c’est-à-dire la difficulté à utiliser internet dans la vie de tous les jours. On estime que le phénomène concerne un quart des Français.

3 Voir son article p. 24.

4 Voir les observations de Qyuen Tran, p. 27.

5 Participants à l’Université populaire Quart Monde du Grand Ouest, voir l’article p. 22.

6 Voir l’article p. 29.

Martine Hosselet-Herbignat

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