Henri Guillemin, Silence aux pauvres

Arléa, Paris 1989, 119 pages

Michèle Grenot

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Henri Guillemin, Silence aux pauvres, Arléa, Paris 1989, 119 pages

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Michèle Grenot, « Henri Guillemin, Silence aux pauvres », Revue Quart Monde [En ligne], 137 | 1990/4, mis en ligne le 01 juin 1991, consulté le 12 décembre 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8712

Au moment de la Révolution française, Paris compte alors quelques 600 000 habitants. Sur ce nombre, 100 000 environ vivent dans des conditions de sous-développement inférieures même à l’indigence classique.

Qui se souciera de leur sort ?

Le parti des humbles, nous dit H. Guillemin, c’est le choix de Rousseau contre Voltaire pour qui « le petit nombre fait travailler le grand nombre, est nourri par lui et le gouverne. » La question centrale, posée depuis l’été 1789 par les trois assemblées successives est plutôt, d’après l’auteur : « les gens de biens », ceux qui possèdent quelque chose (ou « honnêtes gens », le terme serait de La Fayette) ont peur des « gens de rien », ceux qui ne possèdent rien, la canaille.

De la Constituante à Bonaparte, les Voltairiens dominent. L’auteur explique avec véhémence, dans un style très pamphlétaire, et sans références de sources, combien en suivant les événements révolutionnaires, les pauvres ont été, soit utilisés, soit l’objet de répression sanglante, mais jamais partie prenante de la vie politique. Ils sont réduits au silence : exclus du droit de vote parce que non propriétaires (distinction entre citoyens passifs et citoyens actifs), et de la Garde nationale ; utilisés : lors des journées du 20 juin et du 10 août 1792, la foule des « passifs » envahit les Tuileries ; les Jacobins, pour affermir leur pouvoir avaient manipulé ces foules « flattant le désir trop naturel qu’éprouvent les démunis d’un réel changement social qui les arracherait à leur misère. »

Pour l’auteur, la Révolution française n’entra dans sa pleine réalité qu’avec le 10 août 1792, le suffrage universel et la République mais les plus pauvres s’abstiennent, « seuls ceux qui savent puisqu’ils lisent » votent et sont élus.

La levée des volontaires, à l’appel de Danton pour la Patrie en danger, et plus tard le tribunal révolutionnaire auraient eu pour but de débarrasser la capitale de la canaille.

Seule victoire de Robespierre avec le bas peuple : la loi du Maximum qui maintient le prix du pain fixe mais ravive la peur des possédants.

Les années 1794-1795 portent à son comble l’écrasement des pauvres : nouveau Maximum, celui des salaires. Cette fois, une mortalité multipliée par deux, une insurrection d’affamés réprimée et pour finir une nouvelle constitution qui décrète : « Un pays gouverné par les propriétaires est de l’ordre naturel. » (Boissy d’Anglas)

Ce livre fait l’apologie de Robespierre à partir de sa profession de foi électorale pour les Etats Généraux : « La plus grande partie de nos concitoyens est aujourd’hui réduite par l’indigence au seul souci de survivre, asservie à ce point, elle est incapable de réfléchir aux causes de sa misère et aux droits que la nature lui a donnés. » Pour Robespierre aussi, les indigents sont-ils dénués de pensée ?

Cependant, ce livre a le mérite d’exprimer haut et fort que les pauvres étaient exclus, non seulement du droit à la subsistance, mais aussi des droits politiques. On peut regretter une présentation manichéenne de la société, qui laisse peu de place à une humanité, même relative, en gestation.

Michèle Grenot

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