Arlette Farge, Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle

Editions Gallimard/Julliard, Paris, 1979 , 247 pages. (collection Archives)

Geneviève Tardieu

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Arlette Farge, Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle

Editions. Gallimard/Julliard, Paris, 1979, 247 pages (collection Archives)

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Geneviève Tardieu, « Arlette Farge, Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle », Revue Quart Monde [En ligne], 129 | 1988/4, mis en ligne le 01 juin 1989, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8740

Faire de la rue un objet historique ? C’est ce que propose Arlette Farge. Paris au XVIIIe siècle devient l’objet d’une enquête ; grâce à elle, on pressent l’histoire du petit peuple.

La recherche est fondée sur des archives judiciaires. L’auteur cherche, non pas la trace des justiciables, mais des événements qui mettent en scène un déroulement d’actes, de gestes, de paroles. A. Farge n’a pas négligé les plaintes non poursuivies, les minuscules rapports conservés au jour le jour dans les registres de guet, les notes hâtives des carnets des commissaires de police, en quelque sorte le silence des sans-aveux.

La rue est un espace que l’on ne choisit pas. C’est un espace pour vivre pour la seule raison qu’on n’en possède guère d’autre. Il n’y a pas « d’ailleurs » pour les pauvres, pour ceux que la subsistance quotidienne préoccupe matin et soir.

La mendicité et le vagabondage sont interdits. Il ne faut pas être trouvé par le guet sous peine d’être conduit en prison. La rue est un lieu où l’espace public et privé se confondent, où se joue le destin.

Celui qui ne peut avancer l’argent d’une semaine de loyer cherche plutôt les chambres louées à la journée, celles qu’on prend un matin et qu’on quitte le lendemain si par bonheur on trouve mieux ailleurs.

Une quantité de menues activités sont exercées autour du fleuve : blanchisseuses, porteurs d’eau, portefaix, conducteurs de trains en bois. Le petit peuple oscille le plus souvent entre le manque d’emploi et l’accession à de menus travaux : gagne-deniers, décrotteurs, vendeurs à l’étal. Ambulants, ils disparaissent du jour au lendemain pour se retrouver un temps parmi les mendiants.

La rue est le refuge de ceux qui n’ont jamais rien gagné et que la vie oblige à perdre l’essentiel : aimer et vivre. Ceux-là tendent la main pour mendier, portent quelques hardes au Mont de Piété, abandonnent au coin de la rue un enfant de quelques mois. L’enfant abandonné n’est pas toujours oublié ; on retrouve dans les carnets des commissaires les lettres quasiment indéchiffrables d’une mère cherchant à retrouver son enfant.

Dans la rue, tout se voit et met autrui en cause. La parole fait inlassablement courir les réputations, bonnes ou mauvaises. Il faut savoir se préserver car la réputation est un capital essentiel.

le peuple ne peut se passer ni de moralité ni d’honnêteté.

l’ouvrage n’évoque pas uniquement les pauvres mais situe bien comment ils vivaient parmi le peuple ; les limites entre les deux sont d’ailleurs fragiles.

L’auteur s’interroge sur les lacunes de ses propres sources, sur les absents des archives ; elle y voit le silence qui a très souvent pesé sur l’histoire des pauvres.

Geneviève Tardieu

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