Pourquoi combattre le chômage ?
La société s’est construite sur la « valeur travail » base de la reconnaissance sociale et de l’identité des personnes, et, comme le présidait déjà Hannah Arendt bien avant l’arrivée du chômage de masse, « il n’y a rien de pire qu’une société de travailleurs sans travail »
Or, le travail rémunéré n’a pas toujours été considéré comme une bénédiction. Il y a peu de temps encore, la principale revendication des salariés était de travailler moins, à condition, bien sûr, de ne pas gagner moins. Cependant, la pénibilité du travail - qui n’a pas disparu - n’était rien par rapport à la catastrophe du chômage.
Tant que l’identité des hommes passera par le travail
Bien sûr, il n’y a pas à chercher bien loin pour découvrir des valeurs humaines très supérieures à celle du travail. Non seulement certaines personnes peuvent être « reconnues » hors du travail - c’est encore le cas dans certains pays du tiers monde, ainsi que celui des enfants, des artistes, des contemplatifs, des saints…mais chacun éprouve aussi la puissance des valeurs « supérieures », telles que l’amour, la fraternité, le respect de l’autre, la solidarité… qui appartiennent au domaine du spirituel.
Mais le besoin d’être utile et d’être reconnu comme utile par les autres, par la société, ne se satisfait pas de ces valeurs essentielles mais cachées.
Sauf exception, l’identité de la personne se construit en référence aux valeurs dominantes de la société dans laquelle elle évolue. A notre époque et dans les pays riches, c’est le travail salarié qui « signifie » l’utilité de la personne en prouvant pour la contrepartie du salaire, aux yeux d’elle-même et aux yeux des autres : son utilité sa valeur.
Cette valeur n’est, bien sûr, pas une mesure exacte et des conflits sociaux permanents montrent bien que l’accord entre les parties, l’employeur et le salarié, avec le relais des syndicats n’est jamais que provisoire et obtenu de force plus que de gré et par des compromis souvent sans rapport avec les revendications réelles.
Par ailleurs, le salaire est loin d’être la seule contrepartie du travail. Il est affecté en plus et en moins par de nombreux facteurs annexes, liés à l’attribution d’avantages sociaux et au recouvrement de charges sociales, indépendamment souvent de la production.
Le « citoyen » de notre époque continue cependant à être reconnu d’abord comme travailleur, aussi bien dans sa propre famille que dans son entreprise et dans toute la société. Le chôme, travailleur sans travail, ne continue à être reconnu qu’en référence à son éventuel retour à l’emploi - ou à sa prochaine entrée dans l’emploi s’il est jeune, ou sortie de l’emploi s’il accède à la retraite.
L’homme n’est pas seulement un travailleur
Tout homme aspire au dépassement de la « valeur travail ». Dès qu’il se sent reconnu. Il recherche activement ce dépassement, comme si la cause même de cette reconnaissance perdait son importance.
La sécurité de base une fois obtenue - mais seulement dans ce cas - l’homme cherche son accomplissement dans les « valeurs supérieures invisibles » - liberté, égalité, fraternité par exemple. Il peut leur consacrer l’essentiel de son énergie, souvent gratuitement.
Devant la montée du chômage, certains n’hésitent pas à proposer la dissociation entre travail et revenu. Dans la mesure où toute la production utile de la société peut être réalisée par une partie seulement des citoyens, pourquoi ne pas accorder aux autres un revenu sans contrepartie ? Malheureusement ou non, cela ne correspond pas à la demande réelle des chômeurs et ne leur apporte pas la reconnaissance des autres citoyens travailleurs qui, eux, continuent à voir démontrée leur utilité par leur salaire.
Quand tout homme sera reconnu autrement le travail ne sera plus l’essentiel
Si dans l’avenir, d’autres moyens de reconnaissance de l’utilité des personnes que le travail rémunéré apparaissent - par exemple, par leur production non rémunérée d’œuvres d’art ou par la demande de rencontres qu’ils suscitent auprès d’autres personnes - l’obstacle majeur à un partage des revenus sans partage du travail tombera. Et bien des travailleurs « intoxiqués » du travail » découvriront à leur tour les bienfaits du temps libre. Mais, pour le moment, le temps du chômage n’est pas vécu ou ressenti comme un bienfait.
Tout le monde doit avoir droit au travail
Gérard Lecointe, militant du Mouvement ATD Quart Monde
« J’habite à Saint Ouen l’Aumône, dans la cité la plus pauvre de la ville. Là les gens disent « Quand on n’a pas de travail, on va au club des bras morts »
J’ai connu ces moments où quand on perd son travail, on a l’impression qu’on est devenu plus rien. On perd son identité.
Dans ma vie, quand j’étais tombé très bas, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes du Mouvement ATD Quart Monde.
Ils sont venus me voir, j’ai participé à des réunions avec d’autres familles du Quart Monde ; j’y ai trouvé une certaine chaleur humaine.
J’ai vu que je n’étais pas jugé, qu’on était là dans le même but, celui de relever la tête. J’ai appris combien la confiance, le respect, le savoir sont importants.
Je fais des choses que je ne faisais pas avant.
Cette chance que j’ai eue en rencontrant le Mouvement, j’aimerais bien que tout le monde puisse en bénéficier (...)
Pour réinsérer des personnes très pauvres qui sont en dehors du monde du travail depuis longtemps, cela demande déjà de les connaître, de savoir ce qu’elles pensent, ce qu’elles veulent (...)
Perdre son travail, c’est perdre son honneur, sa dignité.
Tout dégringole
Après dans la famille, on n’a plus d’autorité.
J’ai connu la misère, le temps où la seule préoccupation,
C’est : Qu’est-ce qui va se passer d ‘ici ce soir ?
C’est « comment survivre ? »
On a le sentiment de n’être rien, de ne plus être soi-même.
On me parlait mais je n’entendais pas.
Quand j’allais à la mairie, j’y allais à la fermeture, j’avais honte, je fuyais le jugement des autres, j’avais peur d’être montré du doigt
C’est pour cela qu’aujourd’hui, je dis qu’avoir un travail, c’est indispensable. Le travail, cela apporte la dignité de l’être humain, la reconnaissance.
Quand on travaille on se sent utile, on est fier, on peut approfondir ses connaissances, on peut avoir les moyens de vivre (…)
Dans l’entreprise, il faut donner leur chance aux personnes sans attendre qu’elles soient « employables ». Dès le démarrage, il faut que la personne qui arrive ait une personne de confiance.
Je n’aime pas le mot « tuteur ». Une personne qui a un tuteur, cela veut dire qu’elle a commis un méfait ou qu’elle est incapable de se débrouiller toute seule.
Il ne faut pas paralyser les gens en leur mettant quelqu’un derrière le dos, tout le temps.
Quand on est en confiance et qu’on retrouve un emploi, après quelque mois, les choses changent, on se sent en confiance et qu’on retrouve un emploi, après quelques mois, les choses changent, on se sent responsable de plus en plus, et on s’en sort de pieux en mieux.
Je voudrais insister pour dire que ces accompagnements doivent se faire dans le plus grand respect (…)
Par mon expérience de vie, j’ai appris ce qui est important dans la vie humaine : la famille, l’amitié, la solidarité, le respect.
Je pense que les plus défavorisés peuvent apporter ces valeurs humaines dans le monde de l’entreprise.
Ils ont un savoir qu’ils peuvent et doivent partager. S’en priver est une perte pour tous (…)
Pour moi, le travail est indispensable à l’homme, et tout le monde doit avoir droit au travail.
Il peut y avoir du travail pour tous, si on le veut vraiment.
Pour moi c’est une question de gestion des richesses de notre pays et une question de redistribution du travail (…)
Pour moi tout homme a droit à un métier et est capable d’en apprendre un.
Notre société doit tout faire pour donner accès au savoir, à la culture et à un métier à tous (…)
Ces emplois doivent être rémunérés comme il se doit, c’est-à-dire au minimum au SMIC, pas avec des CES qui ne donnent pas les moyens de vivre dignement »
Source : exposé de M. Lecointe, militant du Mouvement ATD Quart Monde, à la première rencontre des Ovalies à Cergy-Pontoise le 5 mai 1995.
L’Exigence d’un travail rémunéré dignement pour tous
Si l’on ne peut se passer du travail proprement dit pour tous, on ne peut pas moins se passer d sa rémunération et même d’une rémunération capable d’assurer décemment le droit du citoyen d subvenir à ses besoins.
Mais là apparaît une grave difficulté : dans certains systèmes économiques et notamment dans le système libéral « pur »( excluant toutes interventions extérieures au jeu du marché), l’employeur paie le salarié selon la production et le salaire ne peut qu’être inférieur à la valeur de la production. Les salariés peu productifs, que ce soit en raison de leur manque de formation, d’expérience, de compétence, ou que ce soit en raison de l’organisation de l’entreprise, ou les deux, risquent donc de recevoir un salaire insuffisant.
L’obligation du salaire minimum (le SMIC en France) s’impose à tout employeur. C’est heureux du point de vu des salariés, mais constitue un frein évident à l’embauche des travailleurs les moins productifs. La société se doit donc de « subventionner » les emplois correspondants à un niveau optimal qui concilie l’intérêt général (combattre le chômage) et l’intérêt de l’entreprise (coût salarial inférieur à la valeur de la production)
On ne peut pas attendre pour partager le travail rémunéré
Il y a longtemps espéré une amélioration de la situation de l’emploi, grâce à des mesures adéquates. Même si la meilleure politique de l’emploi pouvait radicalement inverser l’augmentation du chômage, on ne pourrait en sortir que très lentement.
Si par conséquent l’on juge inacceptable de tolérer la situation actuelle faite aux chômeurs - et particulièrement aux chômeurs de longue durée - force est de partager, au moins provisoirement, l’emploi existant. Ou de moins de réintégrer les chômeurs dans les entreprises en partageant les rémunérations de manière acceptable à la fois pour les employeurs et pour les salariés.
Il ne suffit pas de la dire pour le faire et si l’Etat a de lourdes responsabilités - fiscalité, une citation à la négociation des partenaires sociaux, entre autres - ce partage doit être l’affaire de tous les citoyens.
L’identité passe aujourd’hui par le travail rémunéré
L’homme ne vit pas seulement de pain mais de considération. Il lui est essentiel de se sentir d’abord utile. Utile à qui ? Utile à quoi ? Utile dans la participation à la construction commune de la société.
Peu de gens sont capables de se sentir utiles sans aucun signe d reconnaissance de la part d’au moins quelques-uns de leurs semblables1. Ce besoin de reconnaissance est exprimé de manière prioritaire par toutes les personnes méprisées, qui croient ne compter pour rien dans la société.
C’est la raison pour laquelle les signes de reconnaissance ont tant d’importance. Aujourd’hui, le salaire est le signe visible le plus courant de la reconnaissance de la société. Bien sûr, on peut être acteur de la construction de l’humanité autrement que par le travail rémunéré- la poésie, la philosophie, la peinture, le théâtre, la musique, le sport, le jeu, le syndicalisme, la vie associative… sont particulièrement utiles à l’humanité - cependant ceux qui se consacrent à ces activités sans recevoir en retour une rémunération ont beaucoup de mal à se sentir « reconnus »2. Peut être évoluerons-nous vers d’autres valeurs. La part du temps que nous consacrerons globalement au travail ira certainement en diminuant. Mais tant que le signe quasi unique de la reconnaissance de la société sera le salaire, le principe de commune humanité l’obligera à fournir à tous un travail rémunéré.
Avancer enfin !
La société du chômage n’est pas acceptable. La plupart des citoyens en sont d’accord. Mais la sortie du chômage ne sera pas l’affaire du seul gouvernement, ou des seules entreprises ou des juristes, ou des chefs. Elle requiert l’engagement des citoyens.
S’il faut du temps pour reconstruire une société acceptable, raison de plus pour commencer tout de suite. Et si cette société acceptable n’est pas pour aujourd’hui, du moins prenons immédiatement les mesures provisoires qui s’imposent pour assurer une vie décente à ceux que notre incurie collective a privé de travail rémunéré.
Il nous faut un programme cohérent pour avancer. Pour amorcer l’indispensable débat, nous nous permettons de donner ici des suggestions personnelles, sachant que bien d’autres manières de refuser le chômage peuvent être efficaces. Le secret vient de l’accord sur une solution acceptable plus que de la valeur technique de cette solution.
Nous nous plaçons ici dans le cadre d’un seul pays, voire d’une seule région expérimentale. Ce n’est pas pour ignorer les contraintes externes de l’économie mondiale mais beaucoup de décisions peuvent être prises sans être affectées par ces contraintes (toutes choses égales par ailleurs)
Proposer de nouveaux objectifs aux entreprises
Actuellement, une entreprise embauche quand elle en a besoin pour faire face à la demande de production de ses clients solvables ; elle licencie lorsque le niveau de cette demande diminue ou lorsque la croissance de la productivité le permet.3
Elle licencie actuellement sans frais supplémentaires importants. Il pourrait en être tout autrement si on la chargeait de produire de la « réintégration de chômeurs », que la collectivité lui « achèterait »
Hormis le discours appelant au civisme des entreprises - sans grand espoir dans la mesure où celles-ci restent soumises à une très forte pression de compétition pour leur survie même - rien n’a été fait depuis le début de la crise de l’emploi pour confier aux entreprises cet objectif de la réintégration des chômeurs (hors mesures ciblées, parfois utiles à court terme mais se traduisant toujours par des effets de substitution en faveur de l’insertion de catégories de chômeurs défavorisées)
Or cet objectif est atteignable. Il requiert naturellement des moyens financiers. Ceux-ci peuvent par exemple être négociés entre les partenaires sociaux et l’Etat. La plupart des entreprises accepteraient d’embaucher des chômeurs si le coût de leur salaire était financé en tout ou en grande partie par la collectivité.
Il est tout à fait possible de créer un « marché de la réintégration » des chômeurs dans les entreprises, à condition d’ajouter cette production à leur objet social qui ne concerne actuellement que leur production pour leurs clients.
La plupart des entreprises seraient efficaces sur ce marché dans la mesure où les coûts correspondants seraient couverts par des mandants solvables.
Ils peuvent l’être de bien des manières :
Par la réintégration des dépenses directes et indirectes consacrées à la lutte contre le chômage (500 milliards de F par an en France en 1995)
Par un partage équitable de la masse salariale des entreprises ou du PIB ( en constance augmentation, faut-il le rappeler ? )
Par toutes autres solutions de partage de leurs ressources entre les citoyens, notamment sur la base du volontariat ou sur celle de négociations entre les partenaires sociaux (au sens large)
On peut faire confiance aux entreprises pour trouver des activités utiles (en leur sein ou non) pour l’emploi utile des personnes réintégrées, dans la mesure où le surcoût correspond n’affecte pas négativement leur compte d’exploitation.
Pour assurer la pérennité de cette réintégration des chômeurs, le contrat de travail intégrerait logiquement pour tous les travailleurs une garantie de reclassement en cas de licenciement. Cette clause, qui consisterait en un paiement d’indemnité à l’entreprise d’accueil du salarié licencié - impensable dans le cadre de l’assurance chômage actuelle - viendrait tout naturellement remplacer la pratique inefficace d’une « levée » des cotisations chômage (et d’autres charges sociales) faite pour indemniser le licenciement et non pour financer le reclassement.
Si l’ensemble des chômeurs étaient réintégrés (avec garantie de reclassement), la régulation des effectifs se ferait toujours sur la base de la comparaison entre production vendable marginale et coût marginal correspondant mais en tenant compte pour celui-ci d’un avantage supplémentaire à licencier - le montant de la garantie de reclassement varierait selon le marché du reclassement.
Parallèlement, en ce qui concerne les syndicats, leur contre pouvoir traditionnel redeviendrait efficace dans la défense des plus faibles. En outre, les syndicats pourraient participer sans arrière pensée au débat sur la réduction et l’aménagement du temps de travail et sur le choix de nouvelles activités.
Que chacun fasse son possible tout de suite
Bien entendu, les actions coordonnées sont les plus efficaces : l’essentiel passe par la négociation des partenaires sociaux. Cependant toute personne de bonne volonté peut agir efficacement et sans délai et pas uniquement en intervenant comme elle le doit dans le débat social.
Tout citoyen peut orienter son épargne vers les placements qui favorisent l’emploi.
Tour salarié peut contribuer au partage de l’emploi en acceptant de travailler à « temps partiel choisi » avec diminution correspondante de sa rémunération - bien entendu les mesures publiques d’encouragement seront les bienvenues, mais le temps choisi est, d’ores et déjà possible.
Toute entreprise - ensemble des salariés et employeur - peut programmer et organiser une réduction négociée du temps de travail4
Tout ensemble d’entreprises d’un même bassin d’emploi peut envisager la réintégration de ses chômeurs avec partage entre tous de sa masse salariale (et des économies réalisées sur l’indemnisation des chômeurs)
Tout syndicat (l’ensemble des syndique) peut proposer de donner la priorité absolue à l’emploi dans ses revendications.
L’Etat avec le législateur, se doit, par la fiscalité et la parafiscalité de réconcilier l’intérêt général et l’intérêt des entreprises, et de rendre efficace ses incitations à l’embauche et plus coûteux les licenciements. On peut observer que le contraire se produit actuellement, compte tenu de prélèvement des charges sociales, véritable incitation au licenciement qui fausse les calculs de rentabilité des entreprises au détriment de l’emploi, de l’intérêt général.
Ce sur quoi on ne peut transiger
La dignité nous impose quelques règles tout à fait simples sur lesquelles nous ne pouvons transiger. Elles sont souhaitées par la plupart des chômeurs et des citoyens solidaires. Elles devraient être la base du nouveau contrat social que beaucoup attendent désespérément. Bien entendu, d’autres formulations et d’autres exigences peuvent faire l’objet du consensus nécessaire. Il s’agit donc ici d’un exemple de formulation, choisie pour avancer :
Tout adulte de la population active a droit à un travail, rémunéré au minimum au SMIC et toute formation professionnelle est considérée comme un travail. L’Etat est le garant de ce droit ; à défaut il verse la subvention publique - ou organise le financement correspondant - nécessaire à l’entreprise qui accepte d’embaucher la personne qui, sans cela, serait chômeur.
L’entreprise assure le reclassement de tout salarié licencié, quitte à payer pour cela la somme nécessaire à son reclassement à la nouvelle entreprise qui accepte de l’accueillir.
Nous avons tous à gagner
Dans l’idée de partage du travail, on peut sous-entendre que certains auraient à gagner - les chômeurs - et d’autres auraient à perdre et qu’alors il faudrait limiter les sacrifices de ces derniers. En réalité, nous avons tous beaucoup à gagner à une société de justice. Car nous en sommes responsables et l’humanité d’aucun homme n’est complète quand l’humanité de tous n’est pas assurée.
Il est donc impératif pour tous de trouver ne solution assurant les conditions de notre commune humanité. Bien sûr, cette solution ne peut résulter que d’une négociation organisée dans laquelle les principaux intéressés, les chômeurs sont représentés et appuyés par tous ceux qui veulent avec eux la justice.
Avant la période de chômage massif, il s’est toujours trouvé des hommes5, syndicalistes entre autres, pour faire progresser le droit des plus faibles, des salariés dans les entreprises en particulier, et dans l’économie en général. La non - visibilité des chômeurs les fait oublier. Il est temps qu’ils aient à nouveau la parole.
Mais il ne s’agit pas que de bons sentiments : la mobilisation des forces de contestation les plus crédibles est nécessaire. On ne peut plus se passer de la solidarité traditionnelle des syndicats de travailleurs. Leur mobilisation contre le chômage est possible et capable d’aboutir.
La réintégration des chômeurs. Qu’attendons-nous ?
Tout plutôt que le chômage !
Les sommes que nous consacrons à l’indemnisation et à la gestion du chômage1 dépassent désormais la rémunération moyenne qui serait celle des chômeurs s’ils étaient réintégrés dans l’emploi.
C’est pourquoi, comme le disait le candidat Jacques Chirac lors de la dernière campagne présidentielle, « tout vaut mieux que le chômage ». Mais les pesanteurs bureaucratiques semblent plus puissantes que cette simple remarque de bon sens. Pourtant, en plus de l’exigence qu’elle représente pour la justice et l’honneur de tous les citoyens, la réintégration des chômeurs est possible dans des conditions supportables pour toutes les parties ; Etat, entreprises, salariés.
Bien sûr, on aurait pu espérer qu’un grand débat national sur l’emploi définisse un « nouveau contrat social » par un partage équitable du travail et des ressources rares. Mais la réduction du temps de travail n’est pas envisagée à brève échéance et aucune pression sociale suffisante n’est malheureusement en vue.
C’est pourquoi, au lieu de chercher à « travailler moins pour travailler tous », (comme le proposent avec raison et depuis longtemps notamment André Gorz et Guy Aznar) cherchons d’abord à " travailler tous". Dépensons les mêmes sommes après réintégration de tous les chômeurs dans de vrais emplois – rémunérés au moins au SMIC dans des entreprises et les associations. Il sera temps alors par la négociation, de consacrer l’excédent de temps disponible soit à l’entretien et au développement des compétences des salariés, soit à la réduction du temps de travail, soit à la création de nouvelles activités, internes ou externes, soit à l’aménagement des conditions de travail.
Pour un accord immédiat
Un « accord historique »2entre l’Etat et les partenaires sociaux pourrait aboutir, par exemple, au processus suivant :
- Première phase : réintégration de tous les chômeurs de longue durée (y compris les jeunes n’ayant pas encore accédé à l’emploi) dans des emplois rémunérés, en entreprise ou en association d’utilité sociale reconnue de gré à gré avec financement par l’ensemble Etat Unedic au niveau du SMIC pendant un an3
Naturellement, les entreprises seraient libres de compléter ce salaire4. Elles renonceraient parallèlement à tout licenciement, sans reclassement (aux conditions de la troisième phase, ci-dessous)
- Deuxième phase réintégration de tous les autres chômeurs sur les mêmes bases.
- Troisième phase : suppression progressive (sur deux ou trois ans) des cotisations de chômage en contrepartie du maintien dans l’entreprise, des chômeurs réintégrés et remplacement de l’assurance chômage par une garantie de reclassement de tout salarié licencié (indemnité suffisante pour permettre le reclassement dans une autre entreprise correspondant par exemple au SMIC pendant un an) versée à l’entreprise d’accueil .Apparition des instruments du marché du reclassement : disparition de ceux de la gestion du chômage.
- Quatrième phase : rattachement définitif de chaque ancien chômeur au statut des autres salariés.
- Cinquième phase : reprise des négations régulières entre partenaires sociaux (emplois, salaires, horaires, formation, activités …) mais alors sans élimination des chômeurs.
Conséquences attendues
- Détente dans le cercle vicieux autodégradant du chômage.
- Suppression des inquiétudes des entreprises quant au coût du partage du travail et à l’imposition de nouvelles contraintes.
- Apaisement des craintes des salariés quant au partage non maîtrisé de leur rémunération.
- Arbitrages supprimant la rivalité objective ente salariés et chômeurs.
- Insertions devenant enfin efficace du fait d’un avenir devenu possible dans l’emploi réel durable et grâce au temps désormais disponible pour la formation de tous.
- Facilitation des choix et des financements en matière de création de nouvelles activités utiles.
- Liberté de manœuvre maintenue quant aux orientations économiques futures.