Reconsidérer la pauvreté ?

Jean Tonglet

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Jean Tonglet, « Reconsidérer la pauvreté ? », Revue Quart Monde [En ligne], 192 | 2004/4, mis en ligne le 05 mai 2005, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1316

Depuis une dizaine d’années, la lutte contre la pauvreté, l’élimination de la pauvreté ou sa réduction ont fait une apparition en force dans le langage et les objectifs de la communauté internationale, de ses institutions, des gouvernements et des organisations de la société civile. Du Sommet mondial pour le développement social de Copenhague en 1995 au Sommet du Millénaire, l’élimination de la pauvreté est présentée comme l’un des trois objectifs prioritaires des Nations unies.

Le caractère répétitif d’un tel discours est-il pour autant accompagné d’une analyse rigoureuse ? Sait-on vraiment de quoi l’on parle quand on évoque la pauvreté, la misère, l’extrême pauvreté, l’exclusion sociale ? Ces concepts recouvrent-ils les mêmes réalités ? La pauvreté est-elle vraiment « bien pensée » ?

Ne serait-ce pas d’abord la misère qu’il convient d’éradiquer, et pour y parvenir, ne conviendrait-il pas de « réhabiliter » la pauvreté ? C’est ce que se proposait, il y a près de trente ans déjà, Albert Tévoédjrè, dans son livre La pauvreté, richesse des peuples. Et s’il avait raison ? Et si le développement, entendu comme le développement sans limites de la richesse, de l’exploitation des ressources de la planète était un mythe et conduisait à une impasse, faisant passer dans la misère ceux et celles qui hier vivaient dans une pauvreté digne, la misère chassant la pauvreté selon les termes employés par Majid Rahnema ? Sommes-nous alors entrés dans l’ère de l’après-développement dont parle Serge Latouche ? Devons-nous redécouvrir les vertus de la sobriété, de la frugalité, de la maîtrise de la consommation ?

Comment le faire sans reconsidérer, à la suite du père Joseph Wresinski, la pauvreté, non plus comme une tare, mais bien comme un tremplin, un moyen de résistance à la misère, qui, elle, est un enfer. Mais comment reconsidérer la pauvreté sans faire de même avec la richesse, comme nous y invite Patrick Viveret ? N’est-ce pas, au bout du compte, une révolution culturelle et spirituelle que nous devons accomplir pour arriver à penser autrement développement, pauvreté et misère ? Penser autrement, en apprenant des plus humiliés, en écoutant leur souffrance, en nous laissant atteindre. Comme l’écrit Brigitte Jaboureck, le face-à-face avec les personnes qui souffrent « réveille en nous des émotions, la révolte, la colère qui les poussent à crier, la peine qui fait que nous restons sans voix, sans mots pour dire les choses.

Telles sont les questions que ce numéro de Quart Monde cherche à aborder. Non pas qu’il y ait une réponse, ce serait trop facile. Mais il y a une quête, un chemin, un débat à ouvrir. Un débat dans lequel les voix et les voies de celles et ceux qui viennent des pays pauvres ou qui vivent dans la grande pauvreté dans les pays riches doivent prendre toute leur place.

La discrimination positive serait-elle un chemin pour lutter contre la misère ? N’est-ce pas ce qu’Alwine de Vos van Steenwijk affirmait, en 1972, dans La Provocation sous-prolétarienne : « Pour élever le pied de l’échelle sociale, il s’agirait de mener une politique sélective en faveur des plus démunis, reconnaissant l’universalité de tous les droits mais donnant une priorité absolue aux ressortissants du quart monde ». Dans un article hors-dossier, Eric Keslassy renouvelle la réflexion sur ce thème et nous invite lui aussi au débat.

Jean Tonglet

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