Réinventer le R.M.I. ?
« Même si le RMI est sans doute une des mesures les plus avancées en matière sociale, il cumule, de fait, trois handicaps.
Sa nature contractuelle en fait une prestation conditionnée à une obligation de comportement : il faut être pauvre « méritant ».
Le RMI est révocable, ce qui place ses « bénéficiaires » dans une situation d'incertitude et de précarité peu propice à l'insertion dans un projet de vie à moyen et long termes.
Enfin, il n'est pas cumulable avec d'autres ressources : il l'est temporairement, mais pas structurellement...
Je privilégie une solution politiquement plus aisément acceptable (que l'allocation universelle), et dont le financement peut être envisagé sur la base de mécanismes existants de l'Etat-providence : un revenu minimum accordé sous conditions de ressources, quitte à ce que ces dernières soient imposées, par exemple à hauteur de 30% lorsqu'elles n'excèdent pas un quart du SMIC, et 50% au-delà. »
Alain Caillé,
in « Vers une économie plurielle. Un travail, une activité, un revenu pour tous » par Guy Aznar, Alain Caillé, Jean-Louis Laville, Jacques Robin, Roger Sue. Editions Syros, Paris 1997.
Ajuster le revenu minimum ?
« La principale faiblesse du système actuel réside dans le décalage entre les principes affirmés et la réalité de leur application. Une inconditionnalité de fait s'est imposée puisque moins d'un allocataire du RMI sur deux est signataire d'un contrat d'insertion...
Une telle distorsion tient largement au prisme réducteur à travers lequel ont été élaborés les contrats d'insertion. L'insertion étant appréhendée comme insertion professionnelle, elle a incité à un classement des bénéficiaires en « employables » et « inemployables ». Certes, pour les premiers, le contrat d'insertion a pu être l'opportunité de formations et autres actions dirigées vers l'emploi. En revanche, pour les seconds elle a conduit à de vagues formes d'insertion dites politico-administratives locales sous couvert de la fiction contractuelle. La vision individualisante du contrat empêche que celui-ci soit signé avec un collectif. C'est donc en dépassant une approche individuelle des bénéficiaires et un imaginaire traditionnel de l'insertion professionnelle qu'il est possible d'envisager un système de droits plus approprié...
Si l'on approfondit le caractère négocié du contrat et si l'on élargit les possibilités d'action qu'il confère, une meilleure articulation entre protection et initiative devient concevable. Ces remarques conduisent à préconiser un système à trois étages.
- Au premier étage, un revenu minimum est octroyé à ceux qui ne disposent pas pour vivre de ce montant de ressources. Il doit être cumulable avec d'autres ressources, le revenu minimum étant alors diminué d'un montant inférieur à ces ressources. Il s'agit bien de renouer avec la logique initiale d'un RMI accordé « à toute personne ne bénéficiant pas du niveau minimum de ressources garanti, quand bien même les actions de réinsertion envisagées ne pourraient déboucher ».
- Au deuxième étage, il est indispensable, pour que ce revenu inconditionnel ne rémunère pas l'exclusion, que soit construit un dispositif de soutien aux contrats d'insertion. Toute initiative socio-économique, individuelle ou collective, marchande ou associative, émanant d'un bénéficiaire ou d'un groupe auquel il participe doit être écoutée, aidée dans sa formulation et accompagnée. Sa validation par la commission locale d'insertion déclenche l'attribution d'un complément au revenu minimum.
- Au troisième étage, nul ne saurait prétendre pour autant que l'initiative peut être accessible à tous immédiatement. C'est alors que la puissance publique peut assumer la responsabilité de fournir des activités d'utilité sociale aux personnes qui, à défaut, s'enfonceraient dans l'exclusion. Et c'est ici, mais ici seulement, que peut jouer une logique d'obligation, éthiquement intenable autrement. Et que doit être proposé l'accès à une activité et à un complément de revenu, à des conditions qui peuvent dès lors être strictes, puisque la liberté est ménagée par ailleurs.
Enfin, pour réguler l'ensemble de ces dispositions et pour que l'insertion ne soit plus une question technique réservée aux spécialistes mais une question de société, la représentation des bénéficiaires dans des organismes comme les commissions locales d'insertion s'avère essentielle, comme l'ont dit les associations de chômeurs. »
Jean-Louis Laville
in « Une troisième voie pour le travail ». Editions Desclée de Brouwer, Paris 1999.
Obligation de travail ?
« Il n'est pas légitime, dans un pays démocratique, d'obliger les gens à travailler contre leur gré, même si leur appartenance à la collectivité leur fixe des obligations. Il est trop dangereux, dans un contexte général de déréglementation, de bouleverser de fond en comble l'édifice européen de la protection sociale, au moment précis où ses adversaires sont si puissants. Quant aux victimes elles-mêmes de l'exclusion du marché du travail, il n'est pas nécessaire d'être expert en sociologie pour savoir que, jeunes ou moins jeunes, les chômeurs et chômeuses veulent de l'emploi et non des allocations...
Le travail est toujours une contrainte physiquement et psychologiquement épuisante, mais le non-travail est une malédiction sociale et psychologique ».
Jean-Claude Barbier
in « Les politiques d'emploi en Europe », Editions Flammarion-Dominos, 1997.
« Toute personne devrait se voir garantir un revenu de base décent »
Dans un discours prononcé le 6 juillet 1999 alors qu’il recevait un titre académique honoraire, John Kenneth Galbraith, a évoqué deux problèmes particulièrement visibles et urgents de la fin du siècle et du millénaire. Le premier est le stock massif d’armes nucléaires. Le second est le très grand nombre de personnes très pauvres, même dans les pays riches. Voici des extraits de ce discours. L’auteur âgé de 90 ans est, rappelons-le, critique économique et professeur émérite de l’université d’Harvard.
« La réponse, ou une partie de la réponse est très claire : toute personne devrait se voir garantir un revenu de base décent. Un pays aussi riche que les Etats-Unis a tout à fait les moyens de maintenir chacun hors de la pauvreté... Jusqu'à présent, mon approche du problème de la pauvreté a été très traditionnelle : nous devrions aider les pauvres à s’aider eux-mêmes... Le temps est venu de réexaminer ces bons vieux principes calvinistes... Nous devons considérer la seule solution rapide et efficace à la pauvreté, qui est d’attribuer à chacun un revenu minimum. Les arguments contre cette proposition sont nombreux, mais la plupart sont des excuses pour n’imaginer aucune solution, fut-elle extrêmement plausible. On nous dit qu’un revenu minimum détruirait les motivations à travailler. Pourtant nous avons actuellement un système d’assistance sociale qui ne pourrait pas être mieux conçu pour détruire la motivation. Nous donnons un revenu aux nécessiteux, et nous le leur retirons s’ils trouvent l’emploi le plus mal payé qui soit. Ainsi, nous taxons le supplément de revenu des assistés sociaux à des taux de 100% ou plus. Un revenu minimum, nous dit-on, maintiendrait les gens en dehors du marché du travail. Mais nous ne voulons pas que toutes les personnes aux revenus insuffisants travaillent. En 1994, parmi les 14,8 millions d’enfants considérés comme pauvres par le Département de la santé et de l’éducation, presque un tiers vivaient dans des familles monoparentales conduites par une femme... La plupart de ces femmes ne devraient pas travailler... Nous pouvons facilement nous payer un revenu plancher. Cela coûterait environ 20 milliards de dollars d’élever chacun au niveau de ce que le Département de la santé considère comme un minimum raisonnable... Et il n’y a pas d’antidote à la pauvreté plus certain dans ses effets que l’attribution d’un revenu ».
Extraits d’un texte de John Kenneth GALBRAITH, publié dans la lettre n°33 (automne 1999) du Basic Income European Network (BIEN), dont le secrétaire est Philippe Van Parijs, Chaire Hoover, 3 place Montesquieu, B-1348 Louvain-la-Neuve, (WWW.ets.ucl.ac.be/BIEN/bien.html).