Directeur de l’Institut de Recherche et de Formation aux Relations Humaines.
La situation financière des plus défavorisés en France reste accablante. Ceux qui les côtoient et voient grossir leur nombre sont témoins de la destruction physique, de l’enfermement intellectuel et social, de la perte d’espoir dont ils sont victimes.
À ces situations, il n’existe évidemment pas de solution simple. Cependant, nombre de pays industrialisés ont déjà introduit dans leur législation la garantie d’un revenu minimum en toutes circonstances. La France voit poser la question de l’opportunité d’un tel revenu qui n’existe pas chez elle.
Le rapport Wresinski au Conseil Économique et Social français a abordé cette question et l’avis adopté par les conseillers recommande d’aller plus loin que ce qui est fait actuellement dans cette voie. (Se reporter à l’encadré de la page 11).
De nombreux dossiers ont été publiés ces temps-ci, dans différents périodiques, pour faire état du débat qu’entraîne une telle proposition. Les articles qui suivent ne doublent pas ces dossiers. Ils les complètent en privilégiant, comme c’est la vocation de cette revue, la recherche des chances à saisir avec les plus pauvres.
René Teulade qui préside les débats de la section des affaires sociales au Conseil Économique et Social montre ici, en se référant aux travaux du rapport Wresinski, pourquoi la perspective d’un revenu minimum garanti doit s’inscrire dans une démarche beaucoup plus globale de lutte contre la pauvreté.
Plutôt que d’exposer en détail les différents systèmes de revenus garantis mis en œuvre au niveau local en France, il a paru utile de faire part des réflexions élaborées avec quelques dizaines de bénéficiaires d’une expérience menée à Rennes pendant un an. Cette expérience s’adressait à un nombre limité de familles et ne constituait pas, par conséquent, un système local. Elle avait cependant l’originalité de garantir vraiment un revenu : les familles concernées savaient que, pendant un an elles ne risquaient pas de se voir contester la nécessité de disposer d’un plancher de ressources de l’ordre du SMIC.
Deux articles rendent compte de l’évaluation de cette période de répit dans leur vie.
Le premier, de Brigitte Jaboureck, situe cette phase du revenu garanti dans le développement de la vie d’une famille. On comprend bien alors en quoi le revenu garanti est indispensable pour échapper à l’asphyxie par la misère, mais aussi pourquoi il ne permet pas à lui seul, sur ce laps de temps, de se remettre du traumatisme occasionné et de réussir une réinsertion globale.
Le deuxième de Jean-Pierre Pinet et James Jaboureck, fait une sorte de bilan à partir d’une enquête auprès de 33 familles bénéficiaires, choisies parmi les plus pauvres. Ces familles ont été rencontrées plusieurs fois au cours de la période pour pouvoir réfléchir avec elles aux avantages et aux limites de ce revenu garanti.
On peu dire qu’en France, il n’existe pas de droit automatique et permanent à un plancher de ressources, même au niveau local où différentes restrictions rendent l’annonce qui en est faite par le plan Zeller un peu illusoire.
D’autres pays, au contraire, mettent en œuvre de telles mesures et certains depuis longtemps. Il a donc paru important d’exposer quelques exemples en se demandant, dans la mesure du possible, si ces systèmes bénéficient véritablement aux plus pauvres. L’article de Jean-Marie Anglade présente des caractéristiques de quatre systèmes, ceux de la Belgique, des Pays-Bas, de la République Fédérale d’Allemagne et du Royaume-Uni, et, apporte un début de réponse à ces questions.
Le droit à un revenu garanti est-il possible et souhaitable en France ? Les quasi-droits locaux abandonnent les plus pauvres à la discrétion de l’aide sociale des départements et des communes, voire des employeurs du secteur non marchand, administrations et associations. Ceux-ci, en effet, doivent leur permettre d’exercer la contrepartie de travail que le dispositif exige pour des raisons purement morales.
L’article de Jean-Michel Severino et Jean-Michel Debrat aborde la question du coût du revenu garanti. Cet article effectue d’abord un classement des dépenses de protection sociale qui aide à comprendre la situation actuelle puis à raisonner sur l’effet de l’introduction d’un minimum social.
Il appuie son analyse sur l’hypothèse d’un impôt négatif et d’un programme qui mettrait profondément en cause les institutions actuelles de la protection sociale française pour laisser jouer les lois du marché. C’est un point de vue. Il prête à débat surtout au moment où va s’engager, à travers les états généraux de la Sécurité sociale, une réflexion vitale pour ceux qui risquent de n’y être pas pris en compte faute d’emploi ou faute d’insertion stable dans le dispositif des assurances sociales !
Nourrir ce débat à partir des plus pauvres, tel est le sens de l’article suivant. Avec Christophe Guitton, nous essayons de montrer que les assurances sociales mises en place ou développées après guerre constituent un héritage précieux. Certes, elles sont initialement fondées sur l’emploi stable et prennent difficilement en compte les travailleurs les moins bien insérés. Cependant, au cours de leurs quarante années d’existence, elles ont évolué, se sont diversifiées et ont été complétées par des créations nouvelles et originales.
Un revenu garanti ne devrait pas casser cet édifice qui peut aider à diminuer les causes des risques sociaux, mais permettre d’y faire entrer les plus pauvres.