Dans les pays économiquement riches, les milieux les plus défavorisés sont confrontés à une vie très difficile. La conjoncture nouvelle est qu’ils perdent l’espoir d’un avenir meilleur pour leurs enfants.
Aux âges de la jeunesse c’est à cet espoir qu’il faut pouvoir donner corps. Comment y parvenir dans l’extrême précarité de l’emploi, et la grande incertitude sur les valeurs mêmes qui font tenir nos sociétés ?
Dans un tel contexte les générations aînées ont aujourd’hui tendance à penser que la jeunesse, en particulier défavorisée, est un problème. A la limite, que chaque jeune est un problème. Et, pire, que ces générations aînées doivent aux jeunes des solutions aux problèmes qu’ils sont. De plus en plus, la jeunesse est renvoyée vers des professionnels supposés détenir les solutions, des orienteurs, des formateurs, des organisateurs de stages, etc. De plus en plus, ceux-ci prônent une approche très personnalisées des réponses. C’est heureux dans une certaine limite. Car personnalisé veut souvent dire individualisé, et, plus rarement, basé sur l’initiative des personnes. Initiative à laquelle l’isolement est moins favorable que le groupe.
Ce dossier ne traite pas du tout des problèmes. Au moment de le voir complet, je crois même qu’il pêche et trahit un peu les jeunes les plus défavorisés : Il ne donne pas assez de place à leur souffrance d’être tenus pour incapables de contribution. Il ne dit pas assez leur isolement et l’étrangeté au monde qui en découle. Dans un monde où les techniques marquent profondément la précision de nos gestes les plus quotidiens, leur vue des choses, des droits, des relations en général, est souvent si floue que l’expression de leur expérience et de leur pensée apparaît d’abord peu crédible. Ce manque de crédibilité est leur prison.
D’un certain nombre d’expériences, ce dossier dégage une vision de ces jeunes. Vision de ce qu’ils sont capables de réussir, de découvrir. Vision de ce qui change profondément leur rapport aux autres et à l’avenir.
On les voit, dans les trois premiers articles, confrontés au monde du savoir, de la formation et de l’emploi. Ces articles ont en commun une ligne de force soulignée par l’animateur d’une expérience semblable : « Dans toutes ces années, nous avons eu le souci et l’ambition de les faire accéder à de vrais savoir-faire. Mais, eux considèrent comme le plus important acquis d’avoir pu sortir de leur isolement, d’avoir vécu une histoire d’amitié avec d’autres. »
Le second groupe de trois articles, porte sur l’aspiration des jeunes de milieux différents à abaisser des frontières sociales et culturelles qui les séparent. Cette aspiration ne prétend pas être nouvelle dans l’histoire récente de nos pays. Mais en fait-on un grand et un bon usage aujourd’hui ? N’est-elle pas, pourtant, un des moteurs de l’intégration véritable ? Bien sûr, la normalisation prétendrait intégrer en faisant oublier aux citoyens de quelles cultures, de quelles histoires et de quelles expériences ils sont porteurs. Nous voulons l’intégration-citoyenneté dans laquelle les apports de ces cultures, de ces histoires et de ces expériences éclairent la loi commune, lui donnent son relief et sa solidarité de sens.
Le troisième groupe d’articles contribue justement à la réflexion sur la citoyenneté, thème permanent de la revue Quart Monde. La citoyenneté, c’est-à-dire la relation mutuelle qui, dans le cadre d’une communauté, protège la dignité de l’autre. D’abord, un commissaire de police analyse, à l’intérieur d’une communauté locale, l’effet de son intervention sur la recherche de relations pacifiques, notamment avec ses jeunes. Dans le deuxième article, la misère et l’isolement extrêmes de familles et de jeunes rencontres dans des pays de l’Europe de l’Est questionnent un responsable du Mouvement Jeunesse Quart Monde. Quelles solidarités proposer aux jeunes d’entreprendre par delà les frontières ? Le troisième texte reprend une adresse du père Joseph Wresinski à mille jeunes de quatre continents et de tous milieux sociaux – à travers eux, un message à la jeunesse de tous les pays. Certes, la jeunesse n’est pas une cité. Mais chaque génération des nouveaux arrivants parmi les hommes, chaque génération entrant dans un « village planétaire » en plein changement, n’est-elle pas une communauté potentielle qui a l’intuition d’un monde sans frontières ? Au-delà des langues, des pouvoirs et des intérêts des communautés nationales, au-delà des inégalités qui se creusent dans la plupart des pays aujourd’hui, la jeunesse se sent capable de contribuer à un monde qui fasse sa place à chacun.
Autrefois, les générations aînées en savaient long sur les conditions d’un monde humain. Aujourd’hui, affolées par des changements dont le rythme est dévastateur, ne doivent-elles pas, plus que jamais, se laisser questionner par la jeunesse qui débarque dans ce monde et accepter de chercher avec elle ? Le signe de cette acceptation n’est-il pas, d’abord, de la rencontrer ? Non pour donner des solutions à ses soi-disant problèmes, mais pour vivre une histoire commune, pour recevoir de cette jeunesse, en particulier dans ses composantes les plus défavorisées, la contribution dont elle est capable.