Pastel FM à Roubaix : toutes les couleurs de la musique

Pascal Percq

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Pascal Percq, « Pastel FM à Roubaix : toutes les couleurs de la musique », Revue Quart Monde [Online], 226 | 2013/2, Online since 05 November 2013, connection on 12 December 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/5623

Depuis trente-trois ans, une des plus anciennes radios associatives, Pastel FM, cultive à Roubaix l’art de la rencontre entre cultures. La devise de la radio : « Pastel FM, toutes les couleurs de la musique », n’est pas seulement un slogan, c’est un défi permanent, contre le communautarisme, pour la découverte mutuelle.

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Audiovisuel, Médias

Le fondateur de Pastel FM, Slimane Tir, qui en est toujours le président, résume : «On travaille les oreilles des gens pour travailler leur intelligence ».

Histoire d’une « radio libre »

Tout est parti d’un quartier de Roubaix, l’Alma Gare dont les habitants se sont mobilisés dans les années 70 pour avoir voix au chapitre. C’est ainsi que l’Alma devint un « laboratoire urbain » inventant la participation des habitants avant beaucoup d’autres. La population de l’Alma est en majorité ouvrière et maghrébine mais pas seulement. Quartier pauvre dans une ville pauvre - Roubaix est réputée la plus pauvre de France - ses habitants n’en étaient pas moins courageux, fiers et actifs. Et leurs enfants, issus de la deuxième, troisième, voire quatrième génération des vagues d’immigration successives, sont devenus des jeunes, sans doute un peu turbulents, mais inventifs et très sensibilisés à la question de l’égalité des droits et de la citoyenneté. C’est dans ce contexte, qu’en 1980, quelques jeunes - dont Slimane Tir alors étudiant - décident de créer une radio « libre » pour écouter et diffuser les musiques qu’ils aiment mais aussi pour mieux faire connaître aux habitants leurs droits. Ainsi est née Radio Bas-Canal  hébergée par l’association pour la promotion des travailleurs étrangers, près du canal de Roubaix. D’emblée la radio se distingue en affichant à la fois multi culturalité et revendication « citoyenne ». Plusieurs de ses responsables participent à la « marche des beurs » en 1983 de Marseille à Paris « pour l’égalité et contre le racisme ».

Slimane Tir l’affirme : « Le socle de la radio n’était pas seulement la diffusion de la culture arabe ou berbère mais aussi d’informer sur les droits. La radio était un élément complémentaire à d’autres actions menées dans le quartier : sortir les gens de leur isolement pour monter ensemble des projets collectifs. » La radio est très écoutée. Les jeunes l’animent mais recueillent aussi la parole des anciens. Ils éditent un recueil de contes et histoires maghrébines, ce qui rend leur fierté aux anciens mais permet aux enfants de découvrir une culture inédite. « C’est comme cela que nous avons développé une culture du droit, indique Slimane Tir. En faisant reconnaître une culture authentique mais aussi en informant pour permettre à chacun d’avoir l’ambition d’une réelle citoyenneté. On a construit une culture collective avec les outils de la démocratie locale et de la citoyenneté. »

La radio s’adresse en priorité à un public maghrébin, mais pas seulement. Elle s’exprime en arabe, en kabyle mais aussi en français. Elle parle à toute à la population du quartier. «Dès le départ nous ne voulions pas être une radio cataloguée arabophone ou berbérophone. Oui, ce sont nos racines, mais notre projet philosophique et politique était d'être ouvert à tous, jeunes ou anciens, en priorité à ceux qui avaient le plus de difficultés». Illégale, la radio est reconnue officiellement en 1985. Mais ce n’est qu’en 1986 que les premiers financements arrivent. Paradoxe : « Nous avons été autorisés à émettre puis subventionnés au titre des ‘radios communautaires’ comme Radio Judaïca et d’autres » raconte Slimane Tir. Un comble alors que son projet est justement de s’ouvrir à toutes les cultures roubaisiennes, quels que soient l’origine et les goûts des uns et des autres. La radio est animée par des bénévoles qui habitent ou non le quartier. Deux autres radios portugaise et italienne sont créées dans le même temps à Roubaix ; quand elles disparaitront, leurs animateurs rejoignent l’équipe de Slimane Tir.

Une radio ambitieuse pour une « ville-monde »

Après avoir changé plusieurs fois d’adresse et de nom, tout en gardant le même cap, la radio prend le nom en 1987 de Radio Pastel FM. « Tout un symbole, dit Slimane Tir, la technique du pastel ignore les frontières ». Les couleurs franches s’estompent progressivement, s’imprègnent et se mélangent. Les tons pastel sont doux et non agressifs.

La radio est un vrai carrefour culturel proche des habitants. « Cela s’est construit progressivement» reconnaît-il. En dépassant les préjugés des uns et des autres, en les incitant à se découvrir dans leur diversité. La plus ancienne émission - les Oldies  - a plus de trente ans. Celle sur le rock métal existe depuis vingt-cinq ans. On y diffuse du raï, du rap, du jazz, de la musique classique. Ou encore une émission très « terroir de Roubaix». Depuis vingt ans, tous les dimanches matin pendant deux heures, l’émission Polonia s’adresse en polonais à la communauté polonaise. Radio Pastel diffuse deux émissions laotiennes La voix du Mékong, ou encore Loso noite en portugais. Mais 40% des chansons programmées sont en français. Au gré des bénévoles  qui passent ou s’en vont, la radio accueille Sénégalais, Grecs, Kurdes, Turcs, Italiens…

Cette diversité est un objectif qui n’est pas gagné d’avance. « L’auditeur est sollicité, un effort lui est demandé », affirme Slimane Tir. Pour lui, l’antenne reflète bien la réalité de Roubaix : « une ville-monde » !

Pastel FM a un budget d'environ 110.000 euros, subventionné pour moitié par le fonds de soutien à l'expression radiophonique. Depuis 2001 la ville de Roubaix assure les frais de loyer du local. Deux salariés à temps partiel y travaillent, en plus d'une centaine de bénévoles.

Une « république radiophonique » en quelque sorte

Slimane Tir est fier du chemin parcouru, jalonné de joies, de difficultés, de critiques aussi, parfois sévères. « Certains nous reprochent encore de ne pas être à 100 % arabophone ou berbérophone quand d’autres, nous refusent tout simplement d’exister ». Méfiante à l’égard des religions, la radio s’ouvre à la religion musulmane en 1993. « Il fallait sortir l’Islam des caves et des garages et lui permettre d’avoir pignon sur rue et sur l’antenne ». Sur 168 heures de programme hebdomadaire, Radio Pastel diffuse deux heures d’émission musulmane le vendredi soir. Ce qui a suscité bien des commentaires.

Régulièrement la radio s’ouvre aux débats. Sur la citoyenneté, la laïcité, la dignité humaine ou la lutte contre le racisme. Radio Pastel fait campagne chaque année pour l’inscription sur les listes électorales. « Nous sommes une république radiophonique ! » affirme son président.

« Ce qui nous caractérise le mieux, c’est ce lien avec un territoire, mais aussi l’interactivité qu’on a su créer » dit-il. Plus de six cents messages associatifs sont diffusés chaque année et rediffusés une vingtaine de fois par semaine. Le répondeur bourdonne en permanence. Les messages des auditeurs diffusés à l’antenne sont devenus un rendez-vous apprécié. Certains d’entre eux, grands voyageurs, appellent du bout du monde. Pastel FM contribue en production et diffusion, avec onze autres radios, un « pot commun » de cinq heures d’émissions par jour. Et grâce à l’informatique, la radio diffuse 24 heures sur 24.

Avec un rôle certain de modérateur social

Comment mesurer après trente ans l’impact de la radio en faveur de ce « vivre ensemble » à Roubaix ? « S’il n’y avait pas eu Pastel FM, sans doute y aurait-il plus de tensions en ville » pense-t-il. Lors de soirées particulièrement «violentes» dans certains quartiers, la radio a joué un rôle de modérateur. Slimane Tir en est persuadé : « Là où il y a de l'échange et du débat, il y a de la vie, et moins de violence ». Il ajoute : « Face au séparatisme social de plus en plus marqué, il faut créer du lien, des ponts entre les personnes. Mais aussi montrer que les habitants de ces quartiers ont des choses à dire. C’est le vrai secret de Radio Pastel. Ce n’est pas parce que les habitants sont pauvres économiquement qu’ils sont pauvres culturellement : notre radio l’exprime tous les jours. Le défi c’est de créer des espaces pour faire ensemble société. Pour cela il faut parler ensemble, agir ensemble. C’est toute l’alchimie des projets. Trop souvent on parle ‘ d’adaptation’ ce qui à mes yeux constitue une abdication. L’absence de projets communs, c’est l’abandon de l’idéal républicain. »

Pascal Percq

Journaliste, Pascal Percq, est aussi ancien directeur de la démocratie participative et de la citoyenneté à Lille (France), et membre du Mouvement ATD Quart Monde dont il a été responsable du pôle mobilisation, communication, publications. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Quelle école pour quelle société ? Réussir l'école avec les familles en précarité (Éd. Chronique Sociale / Éd. Quart Monde, 2012).

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