Riche de relations humaines et de cultures partagées

Antoinette Compaore-Kantoucar

p. 14-17

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Antoinette Compaore-Kantoucar, « Riche de relations humaines et de cultures partagées », Revue Quart Monde, 252 | 2019/4, 14-17.

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Antoinette Compaore-Kantoucar, « Riche de relations humaines et de cultures partagées », Revue Quart Monde [En ligne], 252 | 2019/4, mis en ligne le 01 juin 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8336

Du Burkina Faso, en passant par le Sénégal, la banlieue pari­sienne, Rennes et Marseille, les étapes de l’engagement d’une volontaire permanente d’ATD Quart Monde persuadée qu’une vie meilleure pour tous est possible, et décidée à y contribuer…

Index de mots-clés

Militantisme

Index géographique

France, Sénégal, Burkina Faso

Propos recueillis par Martine Hosselet-Herbignat.

Les étapes qui, petit à petit, m’ont amenée jusque dans le volontariat ?…

Ceux que je n’oublie pas

Dans mon histoire, il y a une personne que je n’oublie pas. C’est un homme de mon village, mon cousin Patrice, qui avait bien les moyens. Il avait des terres, des amis européens, il connaissait beaucoup de monde dans les ONGs… Il aurait pu être encore plus riche, et même partir à l’étranger, mais il avait choisi de soutenir le développement du monde rural et de prêter des terres à des femmes de mon village, pour qu’elles puissent cultiver et avoir un revenu. Sa femme, Elise, était ma copine, et j’étais donc très souvent dans leur famille.

Son attitude me posait des questions. Je cherchais à comprendre pourquoi il ne s’échappait pas de son village, puisqu’il en avait les moyens. Partir et chercher une vie meilleure ailleurs, c’était le rêve de tous.

Je pense aussi à mon père, qui était directeur d’école. Il recevait beaucoup d’enfants d’amis et de cousins chez lui pour leur scolarisation ; il se préoccupait beaucoup de la scolarité de tous. Du coup, il n’y avait pas beaucoup de place pour nous, ses propres enfants…, mais j’ai compris peu à peu que c’était un enseignant engagé. Il se battait pour que tous les enfants puissent lire, écrire, puissent accéder au certificat d’étude et entrer en sixième. Il faut savoir qu’à cette époque, si un enfant redoublait deux ou trois fois, il était exclu de l’école.

Je les admirais, mais je me posais des questions car mon père et Patrice auraient pu être riches, au lieu de chercher à ce que tout le monde avance ensemble, au lieu d’essayer que tous deviennent respectés.

J’avais beaucoup de questions

Vers 17-18 ans, je suis allée dans un Centre de formation loin de ma famille, où j’étais interne. C’était une formation en deux ans pour devenir animatrice sociale dans le monde rural (travailler avec des groupements de femmes pour leur autonomisation). À cette époque, je participais également avec d’autres jeunes à une ONG, l’Association burkinabé pour la survie de l’enfance1.

C’est en revenant au village pendant les week-ends que j’ai ren­contré Grégoire.

Au retour de ma formation, je n’avais pas encore de travail, j’avais donc installé un salon de coiffure sur une parcelle de terrain prêtée par Patrice, en face de chez lui. Je stockais le matériel du salon chez lui. Grégoire était souvent avec lui le week-end. C’était en 96. Petit à petit, des liens se sont tissés entre nous. Patrice m’a expliqué qui était Grégoire ; par la suite, celui-ci amenait souvent des familles de Ouagadougou pour des rencontres avec des familles de mon village, mais je ne savais pas trop pourquoi. Et moi je soutenais la femme de mon cousin Patrice pour faire la cuisine pendant ces rencontres…

Peu à peu une histoire d’amour s’est installée…

Une première chose qui m’a frappée, c’est quand Grégoire m’a invitée chez lui à Ouaga pour les fêtes de fin d’année. Au lieu de faire la fête avec des jeunes, d’écouter de la musique, de s’amuser, il m’a demandé de cuisiner en grande quantité, et puis nous avons visité plein de familles en leur apportant un bol de nourriture. Là-bas, c’est la coutume pendant les fêtes. Je me suis aperçue ensuite que ces familles n’avaient reçu pour la fête que notre visite, un ou deux invités, pas plus. Elles n’étaient pas entourées par d’autres personnes.

J’ai ensuite découvert la Cour aux cent métiers2. Et le 17 octobre, Grégoire m’a emmenée sur la dalle du refus de la misère à Manega3.

Pendant deux ou trois ans encore, j’avais toujours des questions. Nous avons décidé d’habiter ensemble, et Bruno est né. Et là, j’ai découvert ce qu’est vraiment la vie de volontaire. Il arrivait que les collègues de Grégoire viennent le réveiller en pleine nuit parce qu’un enfant vivant dans la rue avait été blessé, ou qu’il y avait eu un décès et qu’il fallait accompagner quelqu’un dans son village… Là, je recommençais à questionner… Il ne me donnait pas beau­coup d’argent pour préparer les repas… Je me disais : c’est quoi ce mari ?… J’ai compris peu à peu combien il gagnait en tant que volontaire permanent : pas grand-chose.

De mon côté, je continuais la coiffure à Ouaga, et cela nous permettait de vivre un peu mieux. La coiffure est ma passion. J’aime beaucoup les relations avec les femmes pendant que je les coiffe pendant des heures. On a le temps de parler, de rire, de nouer des relations.

À ce moment, voyant mon étonnement, mon cousin m’a expliqué que lui-même était un ami du Mouvement ATD Quart Monde depuis des années. C’est comme cela qu’il avait rencontré

Grégoire. Il m’a dit : « Tu trouves beaucoup d’amitié dans ce Mouvement, des relations humaines et des valeurs qui respectent chaque homme… mais pas d’argent ! » Et en effet, mon cousin a beaucoup voyagé, beaucoup bougé pour des rencontres avec le Mouvement (à Rome, etc.)… mais il n’est pas pour autant devenu riche ! Il est riche de relations humaines, de cultures partagées.

… Mon père aussi me disait : « Si j’avais voulu être riche, j’aurais pu, mais j’ai plutôt choisi les gens et ma famille… » On l’a compris plus tard.

Nous sommes allés ensuite pendant deux ans au Sénégal, le pays de Grégoire. S’engager ne me disait toujours rien. La coiffure restait ma passion. J’ai été pendant deux ans à l’École interna­tionale de coiffure au Sénégal, pour avoir le diplôme. J’aime le contact naturel avec les gens (alors que dans ma famille, tous sont professeurs ou infirmiers, avec une relation plus d’autorité avec les gens). Au Sénégal, il y avait la barrière de la langue ; je ne parlais pas wolof, mais je participais aux grands rassemblements du Mouvement.

En France, je découvre une autre famille

En 2003, nous sommes venus en France, à Méry-sur-Oise, à la Grande Maison4. Là, nous avons été accueillis comme dans une grande famille avec beaucoup de chaleur humaine, comme s’ils me connaissaient déjà, par des gens simples et disponibles, Hélène, Brigitte, Véronique, Maria qui m’a entraînée partout avec elle. C’était très important pour moi car je suis la seule de ma famille à avoir quitté le Burkina Faso et être partie si loin à l’étranger.

Là, je donnais des coups de main à la Grande Maison. J’ai aussi commencé avec Véronique un groupe Tapori5 dans la cité de la Bonneville. Cela me plaisait, je voyais que cela faisait plaisir aux enfants, ils nous attendaient chaque semaine. Je ne me posais plus trop de questions. Les mamans africaines se sont reconnues en moi, je les motivais pour participer aux fêtes de l’école, je leur donnais confiance parce qu’elles se sentaient souvent jugées. Par exemple, elles avaient peur de faire des gâteaux pour les fêtes car si un enfant était tombé malade, on aurait pu le leur reprocher…

Les temps de solidarité, dans mon village, c’est naturel. On passe du temps ensemble, on s’entraide, c’est naturel. Ici en France, c’est plus rude. Les gens sont dans des appartements, ils ne se connaissent pas forcément,… J’ai vu comment on peut s’enfermer facilement. C’était un choc pour moi. Ou alors si le courant ne passe pas entre parents, les enfants ne peuvent pas jouer ensemble. Et le plus dur, c’était le placement des enfants. C’est très différent de chez moi.

Comment ne pas choisir de continuer ?

À Rennes, où nous avons déménagé ensuite, cela a été une belle étape, même si ce n’était pas facile au début. Nous avions une mission de présence dans le quartier du Blosne. Il fallait s’intégrer, se faire une place, comprendre qui vivait là. Moi, je disais bonjour à tout le monde en bas des tours. Mais parfois tu discutes avec des gens qui t’ignorent le lendemain. Il a fallu comprendre, accepter que les gens ne s’attachent pas facilement. Les relations ont été facilitées par nos enfants qui étaient petits et qui fréquentaient la PMI, l’école,… Et quand tu fais partie d’un grand Mouvement comme ATD Quart Monde qui a des partenaires sur place, ça t’ouvre des portes dans d’autres associations. Quand tu rentres dans un lieu, tu es vu autrement. Et puis il y avait aussi la bienveillance de notre équipe de travail. Grâce aux volontaires sur place, j’ai appris cela à Rennes.

Nous avons rencontré beaucoup de gens, et réalisé une mosaïque avec de nombreux partenaires, les habitants du quartier, les enfants de la bibliothèque de rue, et avec le soutien d’alliés anciens fonctionnaires. Les fresques ont été posées en bas des tours d’immeubles. J’ai vu la fierté des habitants quand ils se sont sentis écoutés par les bailleurs sociaux pour la première fois. Ceux-ci n’étaient jamais venus les rencontrer en dehors des poursuites judiciaires pour impayés… Cette action a eu pour conséquence que les bailleurs ont repeint et refait tous les halls des tours où ont été posées les fresques, qui appartiennent maintenant au patrimoine culturel de Bretagne.

… Comment ne pas choisir de continuer, après ces événe­ments ?… Malgré notre faiblesse, notre impuissance souvent. Mais le lendemain, quelque chose, une rencontre te fait continuer.

Apporter ce que je peux apporter

Venir ensuite rejoindre l’équipe de Marseille me faisait peur. Je craignais de recommencer les moments difficiles, comme à Rennes dans les débuts. Les relations humaines sont très compliquées, mais j’aime beaucoup être dans les quartiers.

Après cinq ans à Marseille, je peux dire que je me suis fait une place dans l’équipe, la ville, les quartiers, pour essayer de comprendre vraiment ce qui se vit ici pour les plus pauvres. J’anime des groupes Tapori dans les écoles chaque semaine et j’essaie de faire des pas vers l’extérieur pour rencontrer les parents et les familles. Également avec les militants qui viennent à la maison Quart Monde pour les rencontres culturelles, nous essayons de sortir vers les quartiers pour rencontrer de nouvelles personnes.

Être utile, entraîner les gens, c’est ce que j’aime faire. Je ne suis pas mon père, ni mon cousin Patrice, je suis simplement Antoinette, avec ce que je peux apporter. Dans le Mouvement, j’ai vu que j’étais accueillie. Je n’ai pas trouvé des mines serrées, mais j’ai vu des gens heureux chez les membres du Mouvement, des gens soudés dans le combat qui nous unit. Ce sont eux qui m’ont donné envie et qui m’encouragent dans mon engagement.

1 Voir le site https://fr.horyou.com/org/association-burkinabe-pour-la-survie-de-l-enfance-abse

2 Au Burkina Faso, le Mouvement ATD Quart Monde est présent depuis 1981 à Ouagadougou et, depuis 2001, dans une zone rurale du Ganzourgou située à 130

3 Dans deux quartiers péri­phériques de Ouagadougou, dans sept villages et quartiers du Ganzourgou et à Our-gou-Manega, ATD Quart Monde mène des

4 Lieu d’accueil et d’hébergement pour les sessions organisées au Centre international d’ATD Quart Monde, en région parisienne.

5 Branche enfance d’ATD Quart Monde, pour favoriser un courant mondial d’amitié et de rencontre entre enfants de tous milieux. Voir le site https://

1 Voir le site https://fr.horyou.com/org/association-burkinabe-pour-la-survie-de-l-enfance-abse

2 Au Burkina Faso, le Mouvement ATD Quart Monde est présent depuis 1981 à Ouagadougou et, depuis 2001, dans une zone rurale du Ganzourgou située à 130 kilomètres de la capitale. L’équipe est constituée de cinq volontaires permanents. L’ensemble des actions menées s’articule autour d’un objectif : favoriser la réussite éducative de tous les enfants, à partir et avec les populations les plus pauvres, en prenant appui sur leurs savoirs. Une fois par mois, une trentaine de familles qui vivent dans la grande pauvreté et des amis du Mouvement se retrouvent à « la Cour » pour réfléchir à des sujets touchant à la lutte contre la pauvreté et pour s’exprimer, notamment à travers des moyens artistiques. C’est aussi un lieu de formation pour ceux qui veulent mieux comprendre la vie et les difficultés des personnes les plus isolées.

3 Dans deux quartiers péri­phériques de Ouagadougou, dans sept villages et quartiers du Ganzourgou et à Our-gou-Manega, ATD Quart Monde mène des animations pour les enfants, scolarisés ou non. Environ 500 enfants découvrent ainsi, à travers les livres, le monde qui les entoure et développent leur capacité grâce à des activités manuelles. Les animations favorisent l’implication de toute la communauté autour des enfants. Parallèlement, un soir par semaine, la « bibliothèque sous les lampadaires » permet de rejoindre, en confiance, une trentaine d’enfants et jeunes en situation de rue, dans une demi-douzaine de sites où ils se regroupent pour dormir. Enfants et jeunes sont invités à passer le lendemain à « la Cour » siège d’ATD Quart Monde à Ouagadougou. Des ateliers sont alors le support à des conversations pouvant déboucher sur des projets de « renouement familial », long processus qui suppose notamment des visites régulières aux familles.

4 Lieu d’accueil et d’hébergement pour les sessions organisées au Centre international d’ATD Quart Monde, en région parisienne.

5 Branche enfance d’ATD Quart Monde, pour favoriser un courant mondial d’amitié et de rencontre entre enfants de tous milieux. Voir le site https://www.atd-quart-monde.org/nos-actions/penser-agir-ensemble/tapori/

Antoinette Compaore-Kantoucar

Volontaire permanente d’ATD Quart Monde depuis 2003 Antoinette Compaore-Kantoucar est originaire du Burkina Faso. Avec Grégoire, ils sont parents de quatre garçons. Actuellement dans l’équipe de Marseille, elle est responsable des activités culturelles, membre de l’équipe d’animation locale et soutien à l’équipe d’animation régionale.

CC BY-NC-ND