A l’heure où l’on commémore les victimes du nazisme, on ne peut s’empêcher d’avoir peur aujourd’hui devant des phénomènes discriminatoires qui conduisent à ce que certaines personnes de nos sociétés sont considérées comme des sous-hommes. Il en est ainsi avec des familles du voyage vivant dans notre campagne. On pourrait s’arrêter à ce constat ou se révolter. Il faut pourtant aller au-delà, rechercher ceux qui refusent ces exclusions, et inventer avec eux un nouveau chemin de fraternité.
Etant voisine d’un terrain de voyageurs, j’ai fini tout simplement par rencontrer ces familles et proposer aux enfants de faire du rugby. Hormis un des responsables du club de rugby qui adhérait à cette action, les autres adultes ne la virent pas d’un si bon œil. Elle était pourtant ordinaire et simple dans mon esprit. Au fil de l’année, les attitudes discriminatoires flagrantes de certains qui ne se sont pas empêchés de manipuler d’autres parents se sont multipliées. Avant même la fin de la saison sportive, nous avons dû chercher comment répondre à l’enthousiasme de ces jeunes et enfants du voyage pour le rugby et surtout des adultes de ce groupe familial que cette proposition de participer à la vie ordinaire de la société avait touchés (qu’y a t-il de plus ordinaire que de proposer un loisir à son enfant ?) Nous nous sommes recentrés sur ce besoin d’amitié que vivent ces familles, amitié avec d’autres que les leurs. Adeline avait dit un soir : “ On en a marre du racisme. ”
Nous avons préparé notre “ Fête de l’amitié ” où furent invités gens du voyage et sédentaires. Les activités faites pendant une semaine d’avenir partagé renforcèrent les liens et nous donnèrent de belles photos des enfants, concentrés, intéressés, joyeux comme tout un chacun. Ce sont ces photos qui permirent à leur tour d’autres rencontres.
A une vingtaine de kilomètres, existe une maison familiale rurale. C’est une école qui reçoit des jeunes en BEPA (brevet d’études professionnelles agricoles) ou en 3eme et 4eme technologiques, avec une autre pédagogie (alternance stage et école). Une des formatrices ayant constaté beaucoup de mépris de la part d’élèves vis-à-vis des gens du voyage, leur proposa une redécouverte de ce que ces derniers sont et vivent. Elle s’était donnée là un grand défi. Mais ce qui lui a permis de croire possible une rencontre entre ses élèves et des jeunes du voyage, ce sont nos photos. En les regardant, elle n’y a vu que des enfants et des jeunes comme tous les autres. Le soir même, elle a montré des photos à sa fille de huit ans qui, dans le car scolaire ou à l’école, en avait déjà entendu beaucoup sur les “ manouches ”. A la vue des photos, sa fille a dit : “ Ah, mais alors, c’est ça, les manouches, c’est des gens, des enfants comme nous ! ” Qu’avait-elle pu imaginer ?
La rencontre entre jeunes de la maison familiale rurale et jeunes du voyage a donc été préparée par la fabrication, des deux côtés, de petits livrets, où tout simplement les uns et les autres présentaient leur vie, leur activité... Les jeunes du voyage ont apporté des gâteaux et leur banderole réalisée quelques mois plus tôt, sur laquelle il est écrit : “ C’est bien l’amitié entre tout le monde. ” Les jeunes en BEPA les ont accueillis dans leur gymnase. Quelques parties de basket et de foot ont conclu dans la bonne humeur cette rencontre. Celle-ci est devenue un moment de fierté pour tous parce qu’on y a vécu ce sentiment d’avoir une égale dignité et qu’elle est en chemin.