ONU : nouvelle étape dans la reconnaissance du 17 octobre

Thierry Viard

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Thierry Viard, « ONU : nouvelle étape dans la reconnaissance du 17 octobre », Revue Quart Monde [En ligne], 202 | 2007/2, mis en ligne le 05 novembre 2007, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/914

« Les personnes pauvres sont en première ligne dans la lutte contre la pauvreté » reconnaît Kofi Annan dans le rapport consacré à la célébration de la Journée internationale pour l'élimination de la pauvreté, qu'il a adressé à l'assemblée générale des Nations unies le 1er septembre 2006. L’auteur commente quelques aspects de cet important rapport et rappelle les attentes concernant cette journée exprimées lors du séminaire de Montréal (mai 2006)

«L’élimination de la pauvreté et le respect des droits humains sont intimement liés. (...) La défense et la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels tout comme des droits politiques et civils sont par conséquent un instrument essentiel dans la lutte contre la pauvreté.

La Journée internationale a été célébrée à travers le monde essentiellement comme un jour pour se rappeler et honorer les luttes quotidiennes des personnes vivant dans la pauvreté. Elle est l’occasion de reconnaître les efforts et combats des personnes vivant dans la pauvreté, une chance pour elles de faire connaître leurs préoccupations et un moment pour reconnaître que les personnes pauvres sont en première ligne dans la lutte contre la pauvreté. Depuis que la Journée a commencé à être célébrée, la participation des individus pauvres eux-mêmes a été au centre des célébrations de la Journée internationale.

(...) La Journée internationale peut être un important outil pour appuyer les efforts que font les pays pour éliminer la pauvreté, en favorisant le dialogue et la collaboration entre les parties prenantes. Celle-ci n’est pas seulement l’occasion de sensibiliser à la nécessité d’éliminer la pauvreté, elle peut être l’occasion d’une mobilisation dans des campagnes mondiales et nationales en vue de réaliser les objectifs du Millénaire pour le développement, notamment ceux consistant à éliminer la pauvreté et la faim. Il faudra, pour ce faire, adopter une démarche qui assure une participation plus grande qu’actuellement. » 1

Des liens fondamentaux entre pauvreté et violation des droits

Le rapport du secrétaire général reconnaît largement l’importance de se baser sur les droits de l’homme dans la lutte contre la pauvreté qui « n’est pas une question d’assistance sociale ou de charité », mais plutôt une question d’obligation qui « oblige les décideurs à recenser et à identifier les personnes les plus vulnérables et à mettre en œuvre des stratégies appropriées pour les aider à échapper à la pauvreté et à la misère. »2

« La violation des droits de l’homme est ainsi à la fois une cause et une conséquence de la pauvreté (...) Il en découle que l’élimination de la pauvreté est non seulement un objectif de développement, mais également un enjeu central pour les droits de l’homme, (...) »3 Le rapport constate l’interdépendance et l’indivisibilité des droits de l’homme, la non-jouissance de l’un entraînant la non-jouissance d’un autre et que « La pauvreté est plus qu’une absence de revenu. (...) Il est donc essentiel d’appliquer une stratégie multidimensionnelle qui intègre la défense de tous les droits de l’homme à la lutte contre la pauvreté, dans ses multiples aspects. »4 Considérer les droits de l’homme comme un outil dans la lutte pour l’élimination de la pauvreté comporte plusieurs avantages. Cela conduit à « dé-marginaliser les pauvres », à mettre l’accent sur les « détenteurs d’obligations » qui peuvent être « les communautés, les gouvernements à tous les niveaux, le secteur privé, la société civile et les partenaires extérieurs de développement, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux » et à assurer un droit de recours aux personnes en situation de pauvreté.

 « C’est souvent le manque de ressources qui est invoqué comme étant l’obstacle à l’élimination de la pauvreté et à la réalisation progressive des droits de l’homme (...) La croissance économique est un important moyen de réaliser ces objectifs. Cependant, l’accroissement des ressources économiques n’entraîne pas automatiquement la réalisation des droits ou une réduction de la pauvreté (...) Les progrès vers la réalisation de tous les droits de l’homme dépendent également de la volonté politique (...) »

 « Un processus de décision participatif et transparent est un préalable important à la mise en œuvre d’une approche de réduction de la pauvreté fondée sur les droits de l’homme. » Il n’est pas « facile d’associer les personnes vivant dans la pauvreté à ces processus du fait qu’il s’agit plus que d’une simple consultation. Bien souvent il s’agit d’abord d’identifier et de recenser les plus pauvres dans la société, notamment ceux qui ne peuvent se faire entendre. »

Les points énumérés ci-dessus confirment qu’une approche basée sur les droits de l’homme est un outil dans la lutte contre l’extrême pauvreté.

Notons que sur les vingt cinq Etats membres qui ont répondu à la consultation du Département des affaires économiques et sociales des Nations unies, cinq font partie de l’Union européenne. Cette diversité dans les réponses montre bien que la persistance de la pauvreté est une réalité qui dépasse les pays en développement et existe dans tous les pays du monde. Cependant, alors que la résolution 47/196 de l’assemblée générale des Nations unies qui a institué la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté reconnaissait que la pauvreté et l’extrême pauvreté existaient dans tous les pays, ce rapport ne le dit pas explicitement.

De plus, il aurait été utile que le rapport insiste sur le fait qu’il est nécessaire de partir des situations les plus graves, car c’est en partant d’elles que l’on peut s’assurer que l’ensemble d’une population est prise en compte par une politique. Une telle approche s’est déjà révélée très opérationnelle et a servi de référence dans de nombreuses instances nationales et internationales. Elle se fonde notamment sur la définition de l’extrême pauvreté proposée en février 1987 par le Conseil économique et social français, dans le rapport Wresinski Grande pauvreté et précarité économique et sociale.

Renforcer le courant du refus de la misère

Le secrétaire général des Nations unies reconnaît que la Journée mondiale du refus de la misère se révèle comme un outil pour avancer dans la lutte contre l'extrême pauvreté. Elle sert de plus en plus de support à des mobilisations locales, nationales et internationales et le message inscrit sur la Dalle en l’honneur des victimes de la faim, de l’ignorance et de la violence est de plus en plus repris par des associations, des groupes communautaires, des coalitions, des pouvoirs publics, des organisations intergouvernementales, etc.

Il est indispensable que la journée ait plus d’impact et se développe à travers le monde. Pourtant, en s’amplifiant, le sens de la journée ne doit pas être déformé. C’est le défi des prochaines années.

Les risques sont divers, par exemple, si les événements organisés le 17 octobre ne donnent pas une place digne, libre et active aux plus défavorisés eux-mêmes, si la journée sert uniquement à vanter des politiques nationales ou internationales, ou seulement à faire des revendications ou à être le support de collectes financières.

Au terme du séminaire organisé par ATD Quart Monde à Montréal en mai 2006, les participants ont publié une déclaration de solidarité qui fixe les exigences pour que la journée soit bien une journée de commémoration, de mobilisation et de solidarité avec les plus défavorisés (voir des extraits ci-dessous). Au cours de ce séminaire, ils ont également abordé trois autres points :

  • a) Quel nom pour la journée ?

En 1992, après la reconnaissance par l’assemblée générale des Nations unies du 17 octobre comme Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, ATD Quart Monde a continué à utiliser le nom de Journée mondiale du refus de la misère. Il ne s’agit pas pour ATD Quart Monde de s’enfermer dans une querelle de mots, mais d’insister sur plusieurs aspects essentiels à ses yeux.

En effet, dans les instances internationales, la notion d’élimination de la pauvreté fait souvent référence à un objectif de développement qui concerne les pays en développement et non l’ensemble des pays. Elle ne fait pas, non plus, référence à des atteintes aux droits de l’homme. Le terme de misère choisi par ATD Quart Monde affirme la volonté de partir de la situation des personnes qui se trouvent dans les situations les plus graves. L’expression « refus de la misère » signifie le refus de la fatalité de la misère, c’est-à-dire le refus de considérer que la misère est inévitable.

  • b) Un logo international

Créer un logo pour la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté est indispensable. Ce logo, dont la création incombe à l’ONU, facilitera le rassemblement mondial de tous ceux et celles qui luttent, partout dans le monde, pour résister à la misère et l'éliminer. Il devra à la fois exprimer l’espoir, l’ouverture et la libération des plus pauvres et ne pas rappeler des formes de dépendance ou d'assistance dont ils sont victimes.

  • c) Des comités pour garantir l’esprit de la journée du 17 octobre

Pour permettre d’élargir la participation à cette journée tout en veillant à maintenir son esprit originel, ce qui représente un véritable défi, on devrait pouvoir s’appuyer sur des comités locaux, nationaux, et internationaux pour le 17 octobre, dont le rôle serait de fournir une orientation générale pour cette commémoration et de promouvoir l’esprit de la journée tout au long de l’année.

Le développement de tels comités au niveau local et national susciterait une participation plus importante aux efforts d’élimination de l’extrême pauvreté et pourrait fournir un lieu pour une consultation régulière avec des groupes appropriés, incluant les personnes vivant en situation d’extrême pauvreté.

À l’échelle internationale, la coopération entre les organisations non-gouvernementales (ONG) et les agences intergouvernementales compétentes devrait être intensifiée. Dans la perspective de la collaboration intense et continue qui existe déjà entre les ONG et le Département des affaires économiques et sociales de l’ONU (DAES) et en raison du rôle du DAES dans l’orientation des célébrations mondiales de la journée, les ONG et le DAES devraient travailler, avec d’autres, à accroître la mobilisation autour de la journée au sein d’un comité international.

Perspectives

Le rapport du secrétaire général sur la célébration de la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté constitue une reconnaissance remarquable de la journée du 17 octobre. Au cours de sa prochaine session, l’assemblée générale des Nations unies doit examiner un rapport du Secrétaire général sur la mise en œuvre de la première décennie pour l’élimination de la pauvreté. Ce rapport devrait notamment tenir compte du rapport sur la célébration de la journée pour l’élimination de la pauvreté, examiné plus haut.

Nous espérons que l’assemblée générale fera siennes ses conclusions et prendra en considération les attentes d’ATD Quart Monde. Elle renforcera ainsi la mobilisation et le rassemblement de tous pour créer un monde sans misère.

Déclaration de Solidarité : Refuser la misère, un chemin vers la paix

  1. Nous sommes solidaires avec celles et ceux qui luttent, partout dans le monde, pour résister à la misère et l’éliminer.

  2. Nous voulons contribuer à faire respecter la dignité et l’accès effectif de tous aux droits de l’homme.

  3. Nous voulons nous joindre aux efforts qui permettent la participation des personnes en situation d’exclusion et de misère à la vie de nos sociétés, notamment au 17 octobre, Journée mondiale du refus de la misère.

  4. Nous demandons que les citoyens, les autorités locales, nationales et les Nations unies :

  5. Considèrent les plus pauvres comme les premiers acteurs de la lutte contre la pauvreté.

  6. Associent les plus pauvres à la conception, la mise en place et l’évaluation de politiques qui les concernent et portent l’ambition d’un monde sans pauvreté, un monde où les droits à la vie familiale, au travail décent, à la participation sociale, culturelle et politique sont respectés.

  7. Soutiennent les événements organisés chaque 17 octobre afin que la participation des personnes en situation de pauvreté reste au cœur de la Journée mondiale du refus de la misère.

  8. Participent aux dialogues qui doivent se mettre en place tout au long de l’année avec les personnes qui, en refusant la misère, créent des chemins vers la paix.

Il est possible de retrouver cette Déclaration de solidarité et de la signer sur le site : www.oct17.org/site/Declaration-de-solidarite.html

Signée par le plus grand nombre, elle sera transmise aux Nations unies et rendue publique le 17 octobre 2007 à l'occasion du vingtième anniversaire de cette Journée mondiale du refus de la misère.

2 Opus cité, paragraphe 4
3 Opus cité, paragraphe 6
4 Opus cité, paragraphe 7
2 Opus cité, paragraphe 4
3 Opus cité, paragraphe 6
4 Opus cité, paragraphe 7

Thierry Viard

Thierry Viard est secrétaire exécutif du Mouvement international ATD Quart Monde

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