Une collaboration entre ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford

Fran Bennett, Marianne de Laat, Xavier Godinot and Robert Walker

Translated by Alain Savary

p. 19-26

Translated from:
The hidden dimensions of poverty: reflections on NGO/academic partnership

References

Bibliographical reference

Fran Bennett, Marianne de Laat, Xavier Godinot and Robert Walker, « Une collaboration entre ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford », Revue Quart Monde, 258 | 2021/2, 19-26.

Electronic reference

Fran Bennett, Marianne de Laat, Xavier Godinot and Robert Walker, « Une collaboration entre ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford », Revue Quart Monde [Online], 258 | 2021/2, Online since 01 December 2021, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10314

Cet article rend compte d’un débat entre les membres de l’Équipe de coordination internationale (ECI) du projet, qui s’est tenu le 19 janvier 2021.
Il a été modéré par Fran Bennett (F) et a réuni Xavier Godinot (X), Marianne de Laat (M), Robert Walker (R). Rachel Bray (Université d’Oxford, membre de l’ECI) était excusée pour raison de santé. Alberto Ugarte, ATD Quart Monde, était également membre de l’ECI.
Le débat a été transcrit par Jo Porter (joporter@west-kirby.co.uk) et corrigé par Fran Bennett (fran.bennett.oxford@gmail.com).

Traduit de l’anglais par Alain Savary.

F : Notre propos aujourd’hui est d’examiner trois aspects de la collaboration entre ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford. Vous dites avoir décidé de travailler ensemble pour plusieurs raisons. Pour ATD Quart Monde, travailler avec l’Université d’Oxford apportait peut-être une crédibilité et une rigueur académique à cette recherche, et pour l’Université d’Oxford, ATD Quart Monde offrait un réseau international et des relations existantes avec les organismes internationaux chargés de mesurer la pauvreté. Je voudrais donc savoir ce que vous pensez de la valeur ajoutée du travail en commun et des difficultés éventuelles. La deuxième question est de savoir comment cela a fonctionné en pratique. Et enfin les résultats et les retombées, en ce qui concerne aussi bien le processus de recherche que ses conclusions.

Travailler ensemble en principe

F : Marianne, dites-nous ce que vous avez pensé de cette collaboration au sein de l’équipe de coordination internationale.

M : Oui… Avec l’approche en croisement des savoirs, nous nous trouvons dans le domaine des épistémologies radicales. Leur but est d’élaborer de nouveaux savoirs, mais aussi de lutter contre les inégalités, de lutter contre l’injustice épistémique - le fait que certaines personnes sont exclues de la production du savoir. Cela a longtemps été le cas pour les femmes, et pour les minorités, les exclus, comme ceux qui vivent en situation de pauvreté. Et pour permettre à ces gens de participer à la production du savoir, je crois qu’il nous faut travailler ensemble, universitaires et les ONG qui les rassemblent, pour leur permettre de se rencontrer, de transmettre leur savoir et leur propre cadre d’interprétation. Il faut donc que les universitaires veillent à ce que la recherche soit menée de façon scientifique - par exemple, ils doivent s’assurer que les ONG ne confondent pas recherche et plaidoyer. Mais je crois que la force d’ATD Quart Monde est d’avoir pu réunir des personnes vivant en situation de pauvreté. Et nous avons beaucoup travaillé avec elles en amont, parce que ce n’est pas possible d’aller simplement chercher des gens dans la rue et de leur dire « venez donc participer à cette recherche avec nous ».

F : Donc, une des questions qui se pose est de savoir si le but principal était de contribuer à l’élaboration des politiques, ou bien si c’était une façon de réunir des données sur la pauvreté et d’en améliorer la compréhension ?

X : Bon, je pense que la seconde étape est d’utiliser la recherche comme un instrument de plaidoyer. Mais son but principal était d’élaborer une connaissance de la pauvreté avec des personnes qui la vivent, des universitaires et des praticiens. Nous n’avons fourni aucune recommandation politique ; nous n’en avons pas eu le temps.

F : Quelle valeur ajoutée espériez-vous obtenir en faisant travailler ensemble ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford ? Et envisagiez-vous des difficultés ?

X : Eh bien, une des valeurs ajoutées pour nous était que, quand vous travaillez avec des grandes organisations comme l’OCDE ou la Banque mondiale, si vous n’êtes pas associé avec une grande université comme Oxford vous n’avez ni beaucoup de poids ni de pouvoir. J’ai découvert que la Banque mondiale accordait peu de crédit aux ONG et beaucoup plus aux universitaires. Alors si vous ne travaillez pas avec des universitaires, elle ne vous écoutera pas, c’est aussi simple que ça.

F : Et ce faisant, vous attendiez-vous à des difficultés ?

X : Ce n’est jamais facile quand on vient de différents contextes, avec des formations différentes. Ce projet était un grand défi pour chacun d’entre nous. Et c’est une leçon que nous pouvons tirer : quand on entreprend un tel cheminement, on est obligé de changer. Il faut constamment faire des compromis, sans renoncer à ce qui compte vraiment pour vous. Il était important d’avoir la contribution de personnes vivant en situation de pauvreté, et quelque chose qui puisse être considéré comme scientifique. C’était cela qui pouvait, à mon avis, donner du poids à notre projet.

F : Robert, saviez-vous ce que ce serait de travailler avec ATD Quart Monde ?

R : Non, je n’en avais pas la moindre idée. Et nous nous sommes engagés à cause de… pour trois raisons je dirais, peut-être quatre. D’abord, la similarité de point de vue entre ATD Quart Monde et le nôtre lors de notre travail sur la pauvreté et la honte. Nous parlions de la même chose avec les mêmes mots, ce qui était d’une importance fondamentale. Deuxièmement, nous ne pouvions qu’admirer l’intégrité du Mouvement. La troisième raison concerne les personnes elles-mêmes - elles peuvent avoir des opinions tranchées et nous pouvons tous nous montrer assez inflexibles, mais en fin de compte, nous échangeons les rôles et nous nous mettons d’accord, cela était évident dès le début. Enfin il y avait un aspect pragmatique. ATD Quart Monde est sur le terrain un peu partout et comprend la nature de la pauvreté dans beaucoup de cultures différentes. Nous voulions avoir un impact important sur la façon dont le monde pense la pauvreté, et le projet devait donc être international. De plus ATD est reconnu par les Nations Unies, et Xavier a aussi établi des liens avec la Banque mondiale.

Est-ce que j’avais une idée de la nature des relations et des rencontres que nous allions avoir ? Absolument pas ! Est-ce que je le regrette ? Absolument pas ! En fait je me suis fait de très bons amis. Et je suis en partie d’accord que toute cette démarche nous transforme. Je crois que je ne pense pas tout à fait comme je pensais avant de m’embarquer. Mais je pense que ces compromis ont un coût. Je crois que ce rapprochement rend très, très difficile de s’accrocher aux fondamentaux de nos différentes perspectives.

Ainsi je pense que le croisement des savoirs est un outil très puissant en termes de transformation pour rapprocher les gens et les faire penser ensemble. Vu la façon dont il a évolué à ATD Quart Monde, je pense qu’il s’agissait en quelque sorte de parvenir à des compréhensions et des décisions, mais ce n’est pas nécessairement de la recherche. L’expérience, de notre point de vue (universitaire), était de voir jusqu’à quel point le croisement des savoirs pouvait être une méthode de recherche solide. Il y avait là une tension ; une tension que nous avons résolue par des compromis, et nous sommes arrivés au bout, et nous avons maintenant un savoir dans lequel nous croyons tous. Est-ce de la bonne recherche ? La question se pose… Mais est-ce une recherche aura de l’influence ? Je suis persuadé que oui.

F : Je me demande si le croisement des savoirs, ce n’est pas de la délibération, plutôt que de la recherche ?

M : Bonne question ! Si vous prenez dix chercheurs et que vous leur demandez ce que c’est, de la bonne recherche, je ne suis pas certaine qu’ils vous répondront tous la même chose ! À mon avis, le croisement des savoirs est très proche de la recherche participative. C’était donc important pour moi qu’il y ait deux universitaires dans notre équipe, parce qu’aucun universitaire ne peut détenir la vérité à lui tout seul. C’était vrai aussi pour Xavier et moi ; c’est très important d’avoir au moins deux personnes venant des ONG, et deux universitaires, car alors on peut voir qu’il y a différentes écoles de pensée. Je reste persuadée que le croisement des savoirs peut être un bon outil pour la recherche.

X : Et je crois que nous n’avons pas simplement mis côte à côte différentes opinions, comme le font les méthodes délibératives. Si on se réfère à ce que dit Amartya Sen sur l’objectivité et l’objectivité trans-positionnelle1… Quand vous travaillez avec des personnes qui vivent en situation de pauvreté, vous tendez à élaborer une objectivité positionnelle sur leurs conditions de vie. Et ensuite quand vous confrontez les positions collectives de personnes en situation de pauvreté, d’universitaires et de praticiens, vous obtenez une objectivité trans-positionnelle. Mais il ne s’agit pas simplement d’une délibération sur différentes opinions, c’est beaucoup plus solide, parce qu’il y a eu un travail collectif.

R : En fait, c’est presque une question d’ontologie : qu’est-ce que le savoir ? Pouvons-nous vraiment faire la distinction entre opinion, savoir et vécu ? Je suis d’accord avec ce que dit Xavier sur la nécessité de rassembler les gens et d’obtenir une position. Lui l’a présenté en termes de personnes en situation de pauvreté, et cela est une priorité, je crois, pour ATD – de donner une voix à ce point de vue, qui est généralement très ignoré. Mais comme moi je voyais le processus, il s’agissait de mettre ensemble tous les points de vue, d’obtenir une compréhension collective sur l’expérience de la pauvreté. Et je crois que nous avons essayé d’amener les gens à parler de leur expérience – ce qui est le plus proche possible de la réalité, mais ce qui est évidemment tempéré par le point de vue, les mots, la réflexion, qui vous distancient de l’expérience directe. Il ne s’agit donc pas de dire « je pense comme ça », mais « je pense comme ça parce que… ». Nous avons essayé de reconstituer pourquoi ils comprennent le monde comme il est, et de peaufiner en les poussant un peu : » c’est vraiment ce que vous pensez ? ». On ne peut donc pas parler de délibération. Cela s’en rapproche, mais ce qui est mis en commun, c’est « du vécu », rapporté par les groupes selon leurs différents points de vue. Chaque groupe a été confronté à son propre vécu et au vécu des personnes avec qui il a parlé.

M : Oui, je pense qu’il s’agit de perfectionner les connaissances, ensemble, mais en venant de différentes perspectives, et de se confronter les uns aux autres, expliquant pourquoi on pense ce qu’on pense, puis d’amener les autres à réfléchir à ce que vous avez dit. Il ne s’agit donc pas de mélanger les savoirs, les connaissances, chacun défendant ce qu’il pense et ce qu’il dit, mais d’inviter chacun à remettre en question son propre point de vue, à la lumière des contributions de l’autre – de façon à construire ensemble une vision commune, à construire ensemble le savoir.

Travailler ensemble en pratique

F : J’allais enchaîner sur le processus du travail en commun - que ce soit au sein de l’équipe de coordination internationale, ou bien entre cette équipe et les équipes nationales des six pays.

M : Au niveau national, d’abord. Les équipes de recherche dans les différents pays étaient composées de personnes avec une expérience de la pauvreté, de professionnels travaillant avec des personnes en situation de pauvreté, et de chercheurs universitaires. Pour permettre à chaque groupe d’élaborer son savoir, on a organisé des groupes de pairs pour chaque catégorie. Puis on a croisé les savoirs… Mais ce n’a pas toujours été facile dans les équipes nationales. Dans certains pays, il a été difficile de trouver des chercheurs universitaires en activité disposés à participer ; dans d’autres pays, la culture locale rend difficiles les échanges sur un pied d’égalité entre différents groupes. Ou bien il pouvait arriver que les praticiens prennent trop de place. De ce fait il y a eu dans les différents pays beaucoup de défis, et en tant qu’équipe de coordination internationale, nous avons essayé de voir avec chaque pays comment procéder au mieux.

On a rencontré les mêmes défis au cours des rencontres internationales avec des complications supplémentaires du fait que nous parlions cinq langues différentes – anglais, espagnol, français, swahili et bengali. De plus nous venions tous de cultures très différentes, entre pays du Sud et pays du Nord, mais aussi, par exemple, entre l’attitude individualiste des États-Unis (« Yes, you can ! ») et l’attitude française plus orientée vers les droits humains.

Tout cela entrait donc en ligne de compte quand nous nous sommes réunis. C’était un vrai défi de mener à bien un échange où chacun puisse contribuer et apporter son savoir, de telle façon qu’à la fin chacun puisse se reconnaitre dans les résultats. Il nous a fallu inventer une façon de faire.

Travailler ensemble – résultats et conséquences

F : D’abord, en termes de résultats, qu’est-ce ce processus de recherche nous a appris ?

X : Je me souviens que Rachel a formulé l’idée d’un « effet multiplicateur ». D’après elle, ceux qui avaient participé à la recherche pensaient qu’ils en avaient bénéficié, et ils voulaient faire partager cela à d’autres.

R : C’est aussi ce que j’ai compris. Chacun est impliqué émotionnellement et intellectuellement, et cela a des conséquences pour les personnes au cours du processus, et sur leur désir de le perpétuer.

M : Je voudrais ajouter que les résultats appartiennent à tous les partenaires, à tous les participants. Les personnes en situation de pauvreté et les praticiens membres des équipes de recherche connaissent les résultats, ils peuvent en parler, les défendre ; c’est vraiment là à mon avis un résultat du processus.

R : La liberté même qu’ont eue les équipes de recherche nationales de faire les choses comme elles l’entendaient a constitué un défi. Si nous avons un modèle où le monde réel est si fort qu’il s’impose à vous, quelle que soit la manière dont vous l’explorez, alors nous pouvons être assurés que les résultats seront solides et comparables. Par contre, si nos résultats sont fonction de la manière dont on s’y est pris, je pense qu’on a un problème – en ce qu’ils ne peuvent pas être comparés conformément à la tradition scientifique. D’une manière générale, je pense que nous devons apprendre à vivre avec ça. Mais se pose alors la question de notre rôle en tant qu’équipe de coordination internationale. Nous avons soutenu un processus de bas en haut, parce que ce n’est pas nous qui sommes sur le terrain pour appréhender le problème, ce sont les équipes nationales et les participants. Nous avons donc décidé qu’il n’était pas question d’être directif. Nous demandions aux équipes nationales de recherche : qu’allez-vous faire ? Si vous faites cela, quelles seront les conséquences ? Et nous amenions les personnes à essayer d’y réfléchir. Mais il y a quand même eu un rôle de coordination, au début : que voulons-nous atteindre ? Et à la fin, quand nous avons réfléchi ensemble au niveau international à la manière de rassembler les idées, de les relier entre elles, et de les renvoyer aux équipes.

X : Oui, la tension était permanente. Parce que si nous laissions une autonomie complète à chaque équipe, il n’y aurait rien eu en commun. Mais si nous imposions des directives, il n’y aurait plus d’autonomie. Alors il a fallu jongler entre autonomie et directives, d’où un défi permanent pour toutes les équipes, et il a fallu s’adapter à chaque équipe.

F : Pour finir je voudrais que nous parlions de l’impact éventuel des résultats et de ce qu’on va en faire. Cette recherche n’était commanditée par aucune institution internationale – et en fait, elle pourrait même mettre en question la manière dont les institutions internationales mesurent la pauvreté, voire comment elles pensent la pauvreté. Alors, sera-t-elle promue auprès de la communauté politique, qui ne l’a pas initiée ?

X : Tout d’abord, nous avions constitué dès le début un conseil scientifique avec des personnes de la Banque mondiale, de l’OCDE, de grandes universités, de l’Agence française de développement… C’était vraiment important parce que, à la fin des travaux, la représentante de l’OCDE a accepté que la conférence finale se tienne au siège de l’OCDE à Paris, où le secrétaire général, Angel Gurria, a dit le plus grand bien de la recherche. Les résultats ont donc été reconnus par l’OCDE. Nous essayons de faire de même avec la Banque mondiale et d’autres organismes.

R : Je crois qu’on aurait tort de voir le processus d’élaboration des politiques comme eux d’un côté et nous de l’autre, nous et les grandes institutions, comme si nous étions les uns contre les autres. Evidemment chaque organisme international a ses propres intérêts, ses contraintes et ses politiques. Mais je crois que, en règle générale, tous ceux qui travaillent dans ces organisations sont engagés à faire quelque chose contre la pauvreté. La porte n’est donc pas verrouillée, mais c’est à nous de la pousser. Je crois qu’impliquer le conseil scientifique - et ça n’a pas toujours été facile - aura permis d’entrebâiller les portes. Maintenant, nous savons que le processus d’élaboration des politiques est incroyablement complexe, influencé par les politiques et les personnalités, et s’inscrit dans le long terme. Mais l’OCDE nous a réservé un accueil incroyablement positif.

La difficulté maintenant est de ne pas perdre l’élan acquis - et le COVID n’aide pas. La Banque mondiale et le FMI nous ont ouvert leurs portes, jusqu’à ce que le COVID nous tombe dessus. Le défi est de ne pas laisser cet intérêt retomber, et nous avons besoin de la force d’ATD Quart Monde avec, disons, l’OCDE, et d’autres ONG de par le monde, pour aller de l’avant.

La plus grande complexité de notre recherche débouche-t-elle sur un nouveau paradigme ? Je crois que nous avons intégré dans notre concept de pauvreté la notion de pouvoir d’agir individuel, et que nous y avons ajouté une compréhension de la nature relationnelle de la pauvreté ; dans quelle mesure l’individu et la société sont connectés, et comment nous, en tant que société, contribuons directement à l’expérience de la pauvreté - en gros, nous aggravons la situation au quotidien. D’autre part nous avons aussi révélé des éléments positifs de la pauvreté, ce qui n’est vraiment pas à l’ordre du jour et dont on ne parle jamais. Je pense donc qu’on peut voir ça comme un nouveau paradigme.

F : Pensez-vous que la recherche est plus utile pour l’élaboration des politiques, ou pour mesurer la pauvreté ?

X : On aborde souvent la pauvreté de façon simpliste, comme la mesure d’un dollar par jour de la Banque mondiale. Nous apportons davantage de complexité. J’aimerais que les grandes institutions et les bureaux nationaux de statistique introduisent plus de complexité dans leurs mesures. Le bureau français de la statistique, l’INSEE, accepte maintenant d’essayer de mesurer la maltraitance institutionnelle. Il a élaboré un questionnaire qui nous a été soumis, et nous avons fait des commentaires dont il a largement tenu compte. Voilà une façon d’apporter davantage de complexité dans la mesure de la pauvreté. Ce n’est pas ça qui va changer le monde, mais c’est quand même mieux qu’avant.

M : Ils n’ont pas seulement tenu compte d’une de nos dimensions ; ils nous ont reconnus comme partenaires dignes d’intérêt. Nous réussissons à mobiliser les gens. Je crois que c’est important de le dire : avec la recherche, on peut mobiliser les gens qui y ont travaillé pour penser aux étapes suivantes.

R : Nous parlons d’ajouter de la complexité, ce dont les décideurs politiques ne voudraient surtout pas entendre parler. Ils veulent de la simplicité et des solutions simples, mais le monde est complexe… Cela ne me pose pas de problème que les décideurs retiennent une ou deux de nos dimensions, qu’ils les incorporent. Et je suis convaincu que mesurer la pauvreté est important aussi. Vous savez, c’est un des outils ; cela fait partie du langage dans l’élaboration des politiques, et cela y ajoute une certaine crédibilité.

Mais je suis également d’accord avec vous sur la notion de grille d’analyse politique. Il s’agit de dimensions auxquelles nous pourrions penser dans le cadre de l’intégration de la pauvreté - chaque fois que nous mettons en œuvre une politique, pensons à ces dimensions, essayons de voir comment nos idées politiques vont affecter chacune d’entre elles. Je pense que cela fonctionne à différents niveaux – cela s’applique aussi bien à des praticiens comme les travailleurs sociaux qu’à quelqu’un au ministère des finances.

Il y a une proposition, en relation avec la rencontre prévue avec le FMI et la Banque mondiale, que j’aimerais relancer, qui serait de réfléchir aux moyens de développer ce cadre d’analyse, et aux questions que nous pourrions rajouter à chaque dimension. Et peut-être même envisager différents outils pour les différentes étapes de l’élaboration des politiques.

Mais je crois que nous serons tous d’accord pour dire que le processus est important en ce qu’il peut transformer les personnes et les institutions. Et certaines choses que Rachel a dites, en termes de crédibilité accrue ou d’introduction dans l’arène de la prise de décision de personnes qui savent vraiment ce qu’est la pauvreté - sont puissantes en elles-mêmes. Marianne a mentionné l’appropriation large des résultats… Quelle que soit leur valeur scientifique, ils vont faire leur propre chemin, ce qui à mon avis ne pose pas problème. Je considère que c’est une part importante dans le processus d’élaboration des politiques. Après tout, la recherche ne représente qu’une petite partie, si on veut, de l’information ou du savoir qu’on utilise lors de l’élaboration des politiques. Plus nous pouvons la présenter comme crédible, plus elle aura d’influence.

Je voudrais ajouter l’autre point soulevé par Rachel - que le croisement des savoirs fait partie d’un ensemble de démarches de recherche participative, avec ses propres caractéristiques uniques - et de le considérer comme tel. Nous avons entrepris de le tester comme méthode de recherche, de le piloter même avec des enfants et des jeunes, ainsi que pour élaborer des conclusions scientifiques valables. Je ne voudrais pas qu’on omette cet aspect de notre démarche.

1 Sen A., Positional Objectivity, Philosophy and Public Affairs, 1993, vol. 22, No. 2, p. 126-145.

1 Sen A., Positional Objectivity, Philosophy and Public Affairs, 1993, vol. 22, No. 2, p. 126-145.

Fran Bennett

Fran Bennett, de l’Université d’Oxford, est sympathisante de longue date d’ATD Quart Monde.

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Marianne de Laat

Marianne de Laat, volontaire permanente d’ATD Quart Monde, est membre de l’équipe de coordination internationale (ECI) et de l’équipe nationale de recherche en France.

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Xavier Godinot

Xavier Godinot est volontaire permanent d’ATD Quart Monde, membre de l’ECI.

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Robert Walker

Robert Walker est Professeur émérite de l’Université d’Oxford, maintenant attaché à la Bejing Normal University, et membre de l’ECI.

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